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The Chapel de Dominique Deruddere

Publié le 08/02/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Battle Royale

En 2019, le Brussels Art Film Festival projetait Imposed Piece, un documentaire de Brecht Vanhoenacker qui suivait une pianiste coréenne dans les coulisses du Concours Reine Elizabeth, notamment son séjour au sein de la « Chapelle », surnom donné à cette grande maison où les finalistes sont enfermés pendant sept jours, sans le moindre contact avec le monde extérieur, pour apprendre et répéter les deux partitions qu’ils devront jouer : un morceau de leur choix et une partition imposée. Cet isolement, ce stress étaient propices à un drame, voire à un thriller, et c’est exactement ce que Dominique Deruddere (Bandini, Iedereen Beroemd !) nous propose aujourd’hui.

The Chapel de Dominique Deruddere

Diplômée de la prestigieuse Juilliard School, la virtuose pianiste flamande Jennifer Rogiers (l’intense Taeke Nicolaï, une révélation), 23 ans, spécialiste de Rachmaninov, revient de New York, où elle vit depuis des années avec sa mère Sara (Ruth Becquart), pour participer au Concours Reine Elizabeth.

Les 12 finalistes sont séquestrés dans la « Chapelle » sous la supervision bienveillante de la directrice incarnée par Anne Coesens. Jennifer souffre du stress de la compétition, de l’isolement et de la peur de décevoir une mère qui place tous ses espoirs en elle. Très vite, de mauvais souvenirs refoulés depuis son enfance refont surface. En effet, la Belgique fut pour Jennifer le lieu d’un drame : la mort mystérieuse de son père Tony (Kevin Janssens), un homme alcoolique, violent et abusif, qu’elle aimait pourtant beaucoup.

Se moquant sans cesse des ambitions artistiques de sa femme et de sa fille, Tony, saoul du matin au soir, tentait à tout prix d’éloigner la gamine de la musique, notamment en détruisant son premier piano à coups de hache. Pour une raison qu’elle ne comprend pas encore, Jennifer a aujourd’hui une peur panique du froid. Sa fragilité émotionnelle va en faire une proie facile et permettre à ses adversaires de s’adonner à un cruel jeu de domination. 

Portrait étouffant d’une jeune prodige souffrant de troubles mentaux, notamment d’un stress post-traumatique non-diagnostiqué, The Chapel s’avère particulièrement intéressant lorsqu’il décrit ces petits jeux psychologiques. Coups bas, manipulations, petits mensonges pernicieux jalousies professionnelles, tout y passe, au point où Jennifer, peut-être la plus douée des finalistes, finit par se persuader que tout le monde s’est ligué contre elle pour ruiner ses chances de réussite.
Parmi ses « ennemis », le russe Nazarenko (Zachary Shadrin), qui lui donne de fausses informations sur la partition imposée, Ivanka (Lydia Indjova), qui semble aussi nerveuse qu’elle et la prend directement en grippe, mais aussi Alexandra (Abigail Abraham), d’une grande douceur, qui lui offre son amitié et son soutien, mais dont Jennifer questionne l’honnêteté. Qui manipule qui ?

Evoquant notamment Black Swan de Darren Aronofsky (l’élément fantastique en moins), The Chapel est passionnant lorsqu’il montre la lente progression de la descente aux enfers de cette jeune femme dont le monde et les repères s’écroulent un à un alors qu’approche le moment le plus décisif de sa carrière. Malmenée par ses camarades, hantée par le fantôme de son père qui l’empêche toujours d’atteindre son potentiel, tourmentée par les notes complexes écrites par Rachmaninov (le Piano Concerto n°2) et George Van Dam (Scarbo’s Nocturne), Jennifer perd pied, dans l’attente d’un nouveau drame imminent. Aucune harmonie, donc, au Concours Reine Elizabeth, mais une nouvelle preuve que l’art et la compétition, montrée ici comme une guerre psychologique sans pitié, font rarement bon ménage.

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