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Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage

Publié le 01/05/1999 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

A 38 ans, après de multiples aventures, le cinéaste Benoît Mariage emprunte enfin la voie du long métrage de fiction. Son film, dont l'accouchement a demandé près de cinq ans, est nourri de ses nombreuses expériences de vie et très proche de son interprète principal, Benoît Poelvoorde. Evoquant ceux de chez nous, le scénariste-réalisateur pose sur ses personnages un regard d'une tendre cruauté, et nous renvoie leur réalité comme le miroir de nos petits travers, qui souvent nous met en joie parce qu'il nous venge des autres,... et de nous-mêmes. 

Les convoyeurs..., c'est l'histoire d'un quartier populaire des environs de Charleroi, d'une famille et finalement d'un homme: Roger Closset.

Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage

Père de deux enfants, reporter photographe dans le journal local et grande gueule au front bas, Roger, qui n'est pas franchement satisfait de sa situation, cherche désespérément le moyen d'améliorer le sort de sa famille. Aussi, lorsqu'il, apprend que l'association des commerçants offre une voiture au premier de leurs concitoyens qui figurera au célèbre Guiness Book, Roger ne se sent plus. Après "mûre" réflexion, son choix portera sur le plus grand nombre d'ouverture de portes en 24h.


Son fils Michel sera le champion. Peu importe que le gamin soit davantage passionné par sa copine Jocelyne et son émission de radio locale que par l'exploit sportif, il subira bon gré mal gré l'entraînement "à l'américaine" concocté par son père et un de ses amis.
Refusant d'écouter autre chose que son obsession, Roger poursuivra son rêve jusqu'au bout. Mais cela n'ira pas sans dégâts et c'est dans la douleur qu'il prendra conscience que l'important est peut être ailleurs que dans ses rêves de gloire et d'argent.

 

Poelvoorde fait exister ce personnage d'ordinaire crétin avec sa faconde habituelle. Il habite Roger Closset et brille de tous ses feux au risque de déséquilibrer le film et de le détourner quelque peu de son propos.

 

La place prise dans le film par Benoît Poelvoorde n'est pas sans conséquence : le succès des Convoyeurs... dépendra en grande partie de la manière dont son personnage sera reçu par le public du film.

 

C'est que, a priori, on n'a pas franchement envie de s'attacher à ce monstre d'égoïsme carburant à la connerie ordinaire comme un cycliste à l'EPO.
Or, un film qui repose sur les épaules d'un personnage repoussant court le risque de ne pas accrocher ses spectateurs.

 

Là aussi, l'épreuve est passée avec succès. Certes, on ne peut s'empêcher d'être révulsé par l'épouvantable indifférence aux autres manifestée durant les trois quarts du film par Roger Closset. Mais on se dit en même temps que le quotidien de ce triste sire ne doit pas être drôle tous les jours, comme le notre d'ailleurs. Ses manques et ses frustrations sont ceux que la vie lui inflige, nous inflige, un peu tous les jours en cette fin de siècle grisâtre, dans ce pays en déliquescence où, comme dans la chanson de Semal, les convoyeurs n'en finissent pas d'attendre qu'il se passe enfin quelque chose de motivant.

 

Et finalement le film enfin attache et séduit parce qu'il sonne juste. Son histoire, Benoît Mariage l'a nourrie de son passé. De son expérience de réalisateur à StripTease, il tire son regard désabusé où la tendresse se fait cruelle et le cynisme jovial. Le métier de Closset, Mariage l'a pratiqué des années (photographe à Vers l'Avenir) et le quotidien de son personnage en est nourri d'anecdotes "qui ne s'inventent pas". De son reportage sur Radio Chevauchoir, il tire la séquence de l'émission de radio du fils Closset Et jusqu'à sa manière de filmer, ce noir et blanc granuleux, ces longs plans, ces cadres fixes et souvent larges, qui nous renvoie comme dans un miroir l'absurde et grise banalité du quotidien.

 

Toutefois, parce que Benoît Mariage déborde de sensibilité, le film abonde en moments de grâce touchante: la déclaration d'amour de Jocelyne et Michel qui passe par la porte dressée sur nulle part, dans le jardin, le ballon que Roger offre à sa fille pour la consoler d'une de ses nombreuses "gaffes" et qui refuse de s'envoler, le regard de Félix, voyant partir son pigeon, la prunelle de ses yeux, qu'il vend pour venir en aide à ses amis. Ajouté au regard sur l'insensibilité quotidienne de certains personnages (le père de Jocelyne sur la robe de mariée de sa fille, "louée 3000 balles parce que cela coûte moins cher et que c'est quand même pour se marier à l'hôpital") et à l'humour absurde au quotidien, le résultat donne au final une comédie sociale attachante dont le moindre des mérites n'est pas de nous restituer notre identité alors que tant d'autres films, au contraire, ne cherchent qu'à nous en couper.

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