Sur le tournage de l'émission de l'Envers de l'écran
Tout comme la première série de l’Envers de l’Ecran, la troisième série s’enregistre au Centre Wallonie-Bruxelles. Dès notre arrivée, on est happé par un décor qui s’apparente à un temple de la cinéphilie (si, si, il y a des colonnes, des boîtes de bobines de films), au milieu duquel émergent, face à des invités sagement assis pour écouter l’office, Bouli Lanners et Philippe Reynaert. On évite de justesse de se prendre les pieds dans les câbles électriques et dans les rails du travelling placé derrière les invités. On rejoint, hors cadre Anne Hislaire concentrée sur la marche à suivre de l’émission et on attend que tout se coagule autour d’un silence qui permet au réalisateur de lancer ses cinq caméras (deux sur pieds, deux mobiles et l’une sur la dolly du travelling). Pour meubler l’attente on se scotche sur le retour vidéo d’une caméra qui nous montre Bouli Lanners en plan moyen. 5.4.3.2.1. Action.
Tourné résolument vers l’avenir Philippe Reynaert (l’émission est censée être diffusée en mai) démarre en nous parlant d’un cinéma belge qui ne cesse d’afficher une santé artistique qui suscite la curiosité de nos voisins. En effet. Car l’étonnant n’est pas tant que le cinéma belge francophone affiche une telle vitalité artistique mais que ses différents acteurs n’en aient pas conscience. Les belges font du cinéma comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans s’en apercevoir. Ils lancent des prototypes tout azimut déconcertant un cinéma européen fragilisé artistiquement par le rouleau compresseur d’une industrie dont la seule préoccupation semble être le rapide retour sur investissement. Ultranova de Bouli Lanners (retour au présent du film) est à l’affiche. Philippe Reynaert, qui a choisi les extraits des films illustrant l’entretien, mène celui-ci comme une discussion entre amis. Bouli – qui se prénomme Philippe, ayant de guerre lasse adopté le surnom que ses copains lui ont attribué – nous confie que Travellinckx, son cinquième court métrage, est né au cours des voyages en voiture en Ardenne, qu’il effectuait durant l’enfance. Du défilé des paysages à travers les vitres de la voiture, comme un long travelling ininterrompu. D’où le départ d’un court métrage tourné en Super 8 et que son réalisateur ne s’attendait pas à voir sur écran. Le père Noël de cette aventure est Jacques-Henri Bronckaert qui a découvert le potentiel du film et permis à Bouli Lanners de continuer à s’exprimer. Mieux, après les tâtonnements, du début de tournage lorsque Bouli a décidé de « se lâcher », il le lui a permis tout en mesurant les risques encourus.
Ultranova fascine par sa prise en compte des petits riens qui tissent la relation entre les êtres humains. L’une des scènes les plus émouvantes est sans doute celle où Dimitri rencontre ses parents, par hasard, dans un complexe commercial. Une gêne s’installe entre des êtres qui se sont côtoyé des années durant, s’aiment, ne savent comment l’exprimer et manient le langage pour maîtriser leurs émotions. La scène est d’une justesse rare. Du grand art.
Cut. Le repas de midi permet à tout le monde de se retrouver et de retrouver Lucas Belvaux, second invité de l’émission. Le réalisateur de Parfois trop d’amour avec un Jean-Pierre Leaud plus keatonien que jamais) et de la trilogie (Un couple épatant, Cavale, Après la vie) dont nous vous avons longuement parlé dans nos webzine68 et 77).
De retour sur le plateau, Lucas Belvaux demande au directeur photo s’il peut garder ses lunettes et nous confie qu’il tournera son prochain long métrage à Liège. On vous en parlera dès qu’on en saura davantage.