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50/50 - Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage

Publié le 08/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Licencié en Droit de l’UCL, Benoît Mariage obtient en 1987 un diplôme de réalisation de l’Institut national supérieur des arts du spectacle de Bruxelles. Il entame sa carrière professionnelle par des reportages photographiques pour le journal Vers L'Avenir avant de faire ses premiers pas comme réalisateur dans le magazine de télévision de la RTBF Strip-tease, pour lequel il réalise de nombreuses séquences. En 1992, il interprète un journaliste dans le film C'est arrivé près de chez vous et il réalise en 1997 son premier film de fiction : Le Signaleur, court métrage tourné en noir et blanc, avec lequel il décroche, entre autres, le Grand prix de la critique à Cannes ainsi que le Prix du Jury du festival de Clermont-Ferrand en 1998.

50/50 - Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage

Julien Brocquet : Avant de réaliser Les Convoyeurs attendent, vous aviez notamment travaillé pour « Striptease » et suivi un père de famille tyrannique bien décidé à faire de son jeune fils un champion de motocross (A fond la caisse). En quoi cette expérience a marqué votre premier film ?

Benoît Mariage : Déjà, il y a une filiation entre les deux sujets, à savoir le transfert parental sur un enfant. On est dans la même thématique. Mais j’ai été à la fois influencé par Striptease et par mon boulot de photographe de presse. Avant de devenir cinéaste, j’ai travaillé pour le journal Vers l’avenir et ça m’a marqué. Je faisais de tout. Du fait divers, comme on en voit dans le film, du sport, de la politique. C’était tout un patrimoine d’émotions, de sujets. Certains, comme Radio Chevauchoir, que j’allais ensuite couvrir pour Striptease. Avec Les Convoyeurs, je voulais reprendre ce sujet du motocrossman, où je n’avais pas vraiment laissé la chance au mec de s’en sortir. Je voulais qu’on ait envie de le prendre dans ses bras à la fin même si, objectivement, on n’est pas loin du crétin. Je m’étais dit qu’avec la plume, avec la liberté de pouvoir réécrire une histoire, je pouvais aborder cette question avec plus de nuances. En tout cas, avec plus d’empathie. Il y a aussi sans doute quelque chose, peut-être pas d’expiatoire, mais qui renvoie à cette difficulté avec Striptease de trouver la juste distance. Puis, faire les accidents de la route, ça te met quand même dans un certain malaise. Fallait prendre l’identité des victimes… Il y a un tas de choses qui m’ont mis en porte-à-faux. Ce sont des émotions que j’ai gardées en moi et que j’ai restituées dans l’écriture.

 

J.B. : Vous êtes-vous senti (beaucoup) plus à l’aise de raconter avec la fiction plutôt qu’avec la réalité ?

B.M. : Définitivement. Parce qu’avec Striptease, on était tout le temps, à un moment donné, confronté à l’obstacle moral. On était immergés chez les gens et on voulait dénoncer des situations, mais on était toujours dans une position un peu délicate. Alors qu’avec l’écriture, on paye des comédiens. Il n’y a pas ce problème. Dans le documentaire, on sent toujours qu’à un moment on doit s’arrêter par respect pour la personne qu’on filme. Dans la fiction, il n’y a pas cet obstacle. On peut parler de l’intime sans mettre à mal le matériau-même que l’on a devant l’objectif.

 

J.B. : Pourquoi avoir tourné ce film en noir et blanc ?

B.M. : J’étais assez fan de la photographie classique française. D’ailleurs, la scène avec le réfugié caché sous sa veste est un hommage à Depardon. Je viens de la photo, c’était ma première passion. La comédie italienne m’a, elle aussi, un peu inspiré. Ce sont deux références en noir et blanc. Puis, je me suis dit qu’il offrirait peut-être un élan poétique, qu’une certaine poésie s’en dégagerait. Quelque chose que j’aurais sans doute eu plus de mal à obtenir en couleurs. Pour Benoît Poelvoorde, c’était un deuxième gros rôle en noir et blanc après C’est arrivé près de chez vous mais ce n’est qu’une coïncidence. On a pu constater par après que sa tête fonctionnait aussi très bien en couleurs !

 

J.B. : Dans quelle mesure le succès de votre court-métrage Le signaleur vous a aidé avec Les Convoyeurs ?

B.M. : Grandement. J’avais déjà écrit une première version du film. Mais mon producteur m’avait dit: « Benoît, tu n’as jamais fait de fiction. (Je n’avais fait que du docu). Donc, si tu veux être crédible devant la Commission des films, il faut que tu fasses un court-métrage ». J’étais, dès lors, parti d’une anecdote de ma vie de photographe de presse. Ce signaleur, je l’avais rencontré comme il est à l’écran. Un vieux monsieur endimanché au bord d’une route. J’ai mis des potes, Bouli et les autres, dans l’histoire. Ce court a eu une vie incroyable. Il a voyagé. On a gagné un prix à Cannes. Donc, forcément, quand j’ai remis le scénario des Convoyeurs à la Commission, je pense que ça a facilité les choses. On était encore dans la résonance de son succès.

 

J.B. : Le personnage de Michel dans Les Convoyeurs cherche les petites erreurs dans les films. Vous avez ce rapport obsessionnel au cinéma ?

B.M. : Non. J’avais vu ça dans le magazine Première. Des mecs qui passaient leur vie à ausculter les moindres détails d’un film. Je trouvais ça dingue, hallucinant. Ca me faisait beaucoup rire. Moi, ce n’est pas du tout ça. D’ailleurs il y a des erreurs de script énormes dans Les Convoyeurs. Notamment avec les chiffres au-dessus des portes. Je ne vais pas faire le malin. Moi, soit je suis pris dans le film et tout passe, soit j’arrête en cours de route.

 

J.B. : Quel réalisateur ou quel film francophone belge vous a profondément marqué ?

B.M. : En fiction, C’est arrivé près de chez vous. Parce que c’était des gars que je connaissais. Je me suis dit: « Ils l’ont fait. Pourquoi je ne pourrais pas, moi aussi, réaliser un film ? » C’est une énergie qui m’a fait comprendre qu’il est possible de faire ce métier. Je leur en serai toujours immensément reconnaissant. J’étais allé comme photographe de presse sur le film. On était les seuls à en avoir fait des photos. Mon rédacteur en chef m’avait dit: « ouais, c’est ça, tu vas juste t’amuser, faire des photos pour des copains ». Donc, j’ai failli ne pas y aller. Mais, avec le succès du film par la suite, je pense que Vers l’avenir a revendu les photos à toute la presse internationale (rires). Sinon, c’est plus du documentaire. Les travaux d’Olivier Smolders en noir et blanc. Thierry Knauff aussi. J’ai étudié à l’INSAS. Mort à Vignole est l’un des plus beaux films que j’ai vus et c’est un docu. Il m’a beaucoup inspiré.

 

Julien Brocquet

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