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Marion Hänsel à propos de La Tendresse

Publié le 22/10/2013 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Cinéaste exigeante, cultivant le goût de la belle image, et soignant à l'extrême le rythme de ses films, metteuse en scène s'attachant à tirer la quintessence de comédiens toujours soigneusement choisis, Marion Hänsel est une des valeurs sûres de notre cinéma. Elle s'est imposée comme une adaptatrice rigoureuse de romans où des personnages blessés peinent à s'extirper de rapports familiaux et intergénérationnels torturés, à la violence exacerbée. Comme réalisatrice, elle attend de son public qu'il aille chercher au-delà des apparences, dans le non-dit des personnages, la vraie motivation de leurs actions. Et parfois, comme avec Nuages ou Sur la terre comme au ciel, elle nous prend par surprise en se situant là où on ne l'attend vraiment pas. C'est le cas de son dernier film, la Tendresse, présenté en avant-première au Festival du film francophone de Namur, avec lequel elle offre au public un film léger, chaleureux et… tendre. Nous avons rencontré la réalisatrice autour de cette histoire familiale de notre époque, avec rupture et famille recomposée donc, mais dont mère, père, enfant ont dépassé ce traumatisme et ont su reconstruire des rapports harmonieux et naturels.

Marion Hänsel : Ce sont des rapports équilibrés, sereins, non conflictuels, joyeux parfois, peut-être un peu mélancoliques … J’ai voulu faire quelque chose de non-violent parce que je crois que c’est ce dont j’ai envie, maintenant, en tant que spectatrice. Aujourd’hui, cela me fait du bien de voir un film positif : pas mièvre, pas nunuche, mais où les gens sont heureux. Une œuvre optimiste, avec un regard bienveillant sur la jeunesse : des jeunes qui ont trouvé leur place, ou la cherchent encore, sans être en conflit avec le monde et avec les parents.

C. : Et pour ce faire, vous êtes allée chercher dans votre propre histoire ?
M. H. :
La trame de départ est en effet assez autobiographique. J’ai réellement un fils moniteur de ski dont je connais la passion pour la neige et pour le blanc. Je connais aussi la montagne et cette station de Flaine. Et puis, j’étais tentée de faire un road movie, J’ai tourné des films en mer ou sur des bateaux, des films à pied, dans le désert, mais me confronter à des voitures et faire un film sur la route, c’était très neuf pour moi ... Techniquement, c’est compliqué. Si on veut profiter du voyage, du paysage, varier les plans pour qu’ils ne soient pas lassants pour le spectateur, cela demande beaucoup de technologie, beaucoup d’invention dans la recherche des cadrages… Au niveau de la mise en scène, c’est difficile aussi. Cela m’a beaucoup intéressée de travailler sur quelque chose de plus technique. C’était un véritable challenge.

C. : Vous aviez pourtant déjà l’habitude de travailler dans des espaces confinés, une petite chambre, un bateau... ?
M. H. :
Oui, mais c’est autre chose. Il y a le mouvement… puis l’habitacle d’une voiture, c’est encore plus renfermé qu’une cabine de bateau… C’est totalement différent comme travail.

C. : Et vous conservez cette pratique de l'alternance entre des plans serrés sur les personnages et des plans larges sur la nature et sur le monde.
M. H. :
J’aime filmer la nature, même si elle est ici moins exotique que les déserts de Djibouti dans Si le vent…, ou la mer infinie et un atoll avec l’eau turquoise, comme à la fin de Noir océan. Beaucoup de gens sont allés de Bruxelles dans les Alpes au moins une fois dans leur vie, ne serait-ce que pour aller au ski. Ils ont pris ces autoroutes, traversé la Champagne, sont passées sur le viaduc de Chamonix ou de Nantua. Ce sont des paysages que les spectateurs peuvent reconnaître. J’espère qu’en faisant ces voyages, ils ont eu le temps de les regarder parce qu’ils sont très beaux, surtout à la période de printemps où je les ai filmés. Les couleurs sont magnifiques : le vert chlorophylle, le jaune colza, la neige vierge dans le plan d’ouverture…

marion hansel, réalisatriceC. : Je pense aussi à ce plan où vous filmez de loin deux voitures qui se suivent sur l’autoroute en restant à la même distance l’une de l’autre. C’est en filé et quasiment jamais les voitures ne quittent leur position dans l’image. Je trouvais cela techniquement bien réalisé.
M. H. :
C’est un beau plan, mais pas évident à faire. Heureusement, on avait de bons conducteurs car les voitures doivent rouler à la même vitesse sans varier et respecter la distance entre elles. Des plans de ce type ne se tournent pas en trois minutes. Ils doivent se repérer, il faut les mettre en place. C’est un travail minutieux.

C. : D’ordinaire, vous êtes une réalisatrice extrêmement retenue quant aux émotions. Il faut vraiment aller les chercher à l’intérieur de vos personnages alors qu’ici, beaucoup de choses travaillent sur l’émotion.
M. H. :
C’est un travail sur l’intériorité, le souvenir, ce qui reste entre ces deux personnes qui se sont aimées, qui ont vécu et fait un enfant ensemble, et qui sont séparées depuis quinze ans. Cela touche l’émotionnel, mais d’une manière que je qualifierais quand même d’extrêmement pudique parce que la femme, Lisa, répond aux questions, mais fait souvent une demi-réponse et puis, par un petit trait d’humour, une pirouette, elle évite d’entrer, justement, dans l’explicitation de ce qu’elle ressent ou de ce qu’elle a ressenti à l’époque. Le spectateur peut le deviner, mais elle ne le dit pas. Même chose pour l’homme. Est-il encore attiré par elle ? Il vit avec une autre femme avec laquelle il a l’air heureux, mais on sent que Lisa l’émeut encore, l’étonne encore. Comme probablement elle l’a étonné quinze ou vingt ans avant quand ils se sont rencontrés. Il va l’exprimer, mais par de petites phrases… Ce sont des sentiments émotionnels, mais que je trouve quand même très retenus.

C. : L’histoire du film, c’est aussi celle d’un ré-apprivoisement mutuel. On sent qu’au début ils sont méfiants, réticents vis-à-vis de l’autre…
M. H. :
Ils sont encore un peu timides. Sans doute se sont-ils encore vus ou parlés au téléphone. Quand on a un enfant ensemble, sauf si cela s’est très mal passé, on a encore des rapports. Mais partir ensemble pendant 24 heures dans un endroit confiné comme un habitacle de voiture, c'est autre chose. Au début, cela y va un peu doucement et puis, au fur et à mesure, ils se reconnaissent, avec leurs habitudes, leurs défauts, ce qui peut les faire sourire ou rire.

C. : Une telle complicité, une telle entente après un divorce, des disputes autour des enfants etc. Vous n’avez pas peur qu’on vous dise que cela ne peut pas exister ?
M. H. : Cela m’est égal qu’on me dise cela parce que je crois que c’est faux. Il y a plein de personnes assez adultes pour surmonter une séparation. Bien sûr, toute séparation est douloureuse. On a décidé de faire un enfant. On pense donc peut-être qu’on va rester ensemble toute une vie et puis, à un moment, il se fait que cela ne marche pas exactement comme on veut, et on se sépare. Donc il y a toujours la notion de "j’ai raté quelque chose ". Mais je pense qu’en travaillant sur soi, on peut faire de ce négatif quelque chose de positif. En pensant d’abord et toujours aux enfants. Parce que si on se déchire, qu’on s’engueule qu’on dit à l’enfant, "ton père, c’est quand même un connard" , "ta mère n’est qu’une garce", ou d’autres choses du même genre, le tort qu’on lui fait par cette attitude est terrible. Chaque couple qui se sépare doit d’abord se dire "mon enfant souffrira, mais il faut faire un maximum pour que cette rupture puisse se vivre sereinement et harmonieusement", en tous cas par rapport aux enfants.

C. : L’enfant ici est quelque chose de très important pour les deux.
M. H. :
Il n’y aurait pas l’enfant, il n’y aurait pas d’histoire et pas de film. Ce sont des parents très aimants et le père comme la mère sont très proches de ce fils, même s’il est à l’étranger, qu’il vit sa vie et commence une histoire d’amour. On sent que c’est un enfant aimé. Lui, c’est un jeune adulte. La période adolescente où il y a davantage de rejet ou d’agressivité par rapport aux parents est derrière lui.

marion hansel, réalisatriceC. : Mais il y a encore ce reste d’enfance qui fait qu’il reforme d’instinct avec eux un trio nucléaire, même si c’est parfois pour faire "papa je t’aime, mais papa tu m’énerves" ou "maman je t’aime, mais maman tu me lâches".
M. H. :
Cela aussi, peut-être qu'on pourra dire que ce n’est pas vraisemblable. Moi, je pense que c’est possible, et surtout que c’est très fréquent de pouvoir avoir des rapports avec ses parents qui soient joyeux et où l’enfant est content d’avoir tels père et mère comme les parents peuvent être fiers et heureux d’avoir tel fils.

C. : Quant on a écrit des personnages aussi proches de soi, cela ne doit pas être évident d’aller chercher des comédiens qui puisse les incarner sans trahir l’idée très précise que vous en avez ? Comment s’est passé le casting?
M. H. :
Pour Olivier Gourmet, cela a été très simple parce que, dès que j’ai commencé à écrire cette histoire, je voyais un homme de 50 ans, grand, plutôt masculin, qui peut avoir un physique relativement autoritaire, mais qui, en même temps, est aussi, par certains côtés, une sorte de gros nounours. J’ai tout de suite pensé à Olivier que je considère comme un immense comédien, pour qui je rêve d’écrire un personnage depuis de longues années. On ne se connaissait pas, mais quand il a lu le scénario, il m’a dit "j’aime vraiment bien. C’est tout simple, c’est en finesse. Il n’y a pas d’énormes choses qui se passent, mais tout est dans les non-dits. J’ai vraiment envie de jouer ce personnage ". Pour le rôle de Lisa, c’était un peu plus compliqué parce que je n’avais pas de comédienne dans la tête. Donc, j’ai fait un casting assez classique. J’ai vu des femmes de 45 ans : des Françaises, des Belges, des Canadiennes, des moins connues, des plus connues, des très connues,… j’avais des doutes. Et puis, j’avais vu aussi plusieurs films avec Maryline Canto, que je trouvais excellente : vive, pétillante, avec énormément de charme sans être une beauté à faire se pâmer la terre entière. Maryline, c’est le sourire, le rire, la vivacité, l’éclat dans l’œil, et quand on s’est rencontré, je me suis dit : "Ben oui, c’est elle". En plus, Maryline et Olivier se connaissaient. Ils avaient déjà une vraie connivence, car quand deux comédiens ont joué ensemble et que cela s’est bien passé, il reste quelque chose entre eux. Maryline sait comment joue Olivier, comment il réagit et vice-versa, et cela a beaucoup facilité la direction de ces deux acteurs. Pour Jack, j’avais envie de retravailler avec Adrien Jolivet dans un rôle complètement différent de mon film précédent, mais j’ai attendu parce que je devais avoir les deux parents avant de pouvoir me décider sur le fils. Et quand cela a été Maryline, il y a aussi eu une sorte d’évidence. Physiquement, Maryline et Adrien ont des traits communs. Il a un visage très fin, il est brun,… dans la scène du restaurant, quand on les voit côte à côte, assis ensemble, on ne doute pas que cela pourrait vraiment être son fils.

C. : Et puis, il y a un élément extérieur aussi ? Sergi Lopez ?
M. H. :
C’est un joli petit caméo, cette scène de l’autostoppeur qui arrive à la deuxième partie du film. Je ne l’avais pas du tout écrite pour Sergi, mais pour Bouli Lanners. Bouli avait accepté, et puis il y a eu le tournage et la promotion de son film Les Géants. Il était extrêmement fatigué, il voulait partir se reposer et écrire son nouveau film en Ecosse, et j’étais à quatre jours du tournage quand il m’a dit qu’il ne pouvait pas le jouer. Je ne savais pas trop quoi faire, et c’est mon premier assistant, Dominique Guerrier, qui m’a suggéré Sergi Lopez. J’ai dit : "J’adore, mais il ne me connaît pas, ni mon travail. Pourquoi voudrais-tu qu’il fasse, dans quatre jours, un petit caméo dans mon film … mais on peut toujours essayer". Il se fait que Maryline Canto a fait plusieurs tournages avec Sergi Lopez. Ils sont très copains et quand j’ai envoyé le scénario à Sergi et qu’il a su que c’était Maryline qui faisait le rôle principal, il a été intéressé... Il ne connaissait pas vraiment Olivier, mais les deux avaient depuis longtemps aussi envie de se rencontrer. Donc Sergi a lu très vite et a beaucoup aimé le personnage. C’est une très jolie scène, je pense. On ne l’oublie pas. Cela a été un bonheur de travailler avec lui. Avec ce genre d’acteurs, on est gâté. Si on a bien préparé le tournage, en une prise, maximum deux, c’est bon. C’est vraiment très agréable.

C. : On est un peu étonné par cette scène qui s’intègre assez bizarrement à l’histoire. On se demande un peu ce qu’elle vient faire là, come si elle avait été rajoutée.
M. H. : Ce n’est pas une scène rajoutée. Elle était dans le scénario et je pense qu’elle a sa place, son sens, qu’elle donne une autre ouverture à ce personnage de femme, quelque chose qui peut faire rêver, qui est joyeux. Elle était conçue pour être là, vers la fin du film, et redonner une petite dynamique.

marion hansel, réalisateurC. : Voilà donc un film de Marion Hänsel qui pourrait presque être un Feel good movie…
M. H. :
Mais le qualificatif ne me dérange pas. Si les gens sortent de ce film en se sentant bien, heureux, en se rappelant peut-être de leurs souvenirs à eux, je suis contente. Je n’ai pas voulu faire beaucoup plus que cela. Donner un peu de bonheur, un peu de joie, faire sourire. Je n’avais pas l’ambition de faire rire, ce n’est pas vraiment une comédie, mais je pense qu’il y a des moments où les gens sourient dans le film. Enfin j’espère.

C. : Cette expérience vous a donné envie de continuer dans cette voie, plus chaleureuse, plus légère ?
M. H. :
Peut-être demain referai-je un film plus dur ou plus agressif, mais en même temps, j’ai pris énormément de plaisir à faire cette chose plus douce. Donc, pourquoi pas ? Moi, je suis un peu ouverte à tout… sauf les choses que je sais que je ne suis pas capable de faire. Un film d’action, ou un thriller, je sais que je ne pourrais pas les mettre en scène, donc je ne vais pas me lancer là-dedans. Mais sinon, j’accueille tout.

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