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Micha Wald et les Folles aventures de Simon Konianski

Publié le 01/12/2009 par Antoine Lanckmans et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Micha et Simon


Les folles aventures de Simon Konianski vient de sortir en salles. Nous vous en avons parlé dans le webzine du mois passé et nous avons rencontré Micha Wald, son réalisateur.
Entretien.

Cinergie : Avant l'INSAS, tu étais déjà intéressé par le cinéma. Tu as joué avec et pour Boris Lehman. Quel âge avais-tu ?
Micha Wald : J'ai joué dans  Bruxelles Transit de Samy Szlingerbaum dans lequel, Boris Lehman jouait mon père. Sept ans plus tard, Boris m'a demandé de jouer dans Muet comme une carpe. À 21 ans, il m'a repris dans Leçon de vie pour le rôle d'Adam. J'ai décidé d'arrêter, parce qu'on risquait de penser que Boris était mon père… Mais j'ai continué à lui donner de petits coups de mains tout en sachant que c'était surtout ma voiture qui l'intéressait (rires). Ce qui m'a permis de rédiger mon mémoire à l'INSAS sur Boris Lehman.

C. : Est ce que ce sont ces expériences cinématographiques qui t'ont donné l'envie de poursuivre cette voie et d’entrer à l'INSAS ?
M.W. : Il est difficile de dire d'où viennent les choses. J'aime bien raconter des histoires, depuis très longtemps. Pour moi, l'origine de tout, ce sont les Playmobils. J'y ai longtemps joué avec mon frère, jusqu’à l'âge de 10, 11 ans. On se faisait de grands scénarios, de grandes histoires : les croisades, la découverte de l'Amérique, l'invasion de la Pologne par les Allemands. Je crois que mon goût pour les histoires est venu de là. Après, j'ai commencé à m'intéresser aux Jeux de rôle vers 11-12 ans. J'ai arrêté, il n'y a pas très longtemps, parce que je n'ai plus le temps.
Ce qui m'a plu dans le cinéma, c'est le côté futile de l'entreprise. Passer des semaines à faire des trucs bizarres pour finalement arriver à un résultat infime que peu de gens verront. Passer une journée dans un appartement avec une grue qui prend toute la place, faire une dizaine de prises de vue en sachant qu'au final, cela ne sera que quelques secondes dans le montage final. Il y a un côté merveilleux et un côté futile. Mais l'art est toujours futile, c'est pour cela qu'il est beau.
À 16 ans, le professeur de math, nous a demandé d'indiquer sur un papier ce qu'on voulait faire plus tard. J'ai d'abord marqué avocat, puis j'ai barré, et j'ai mis réalisateur.
Il y a un côté très ludique, et moi je me disais, super ce n'est pas un travail, on dirait que c'est un jeu.

C. : Simon Konianski, c'est la version longue d'Alice et moi. Pourquoi as-tu commencé avec le court pour arriver au long ?
M.W. :
Pour moi, il est beaucoup plus compliqué d'écrire un court métrage qu'un long. J'ai eu beaucoup de problème pour écrire les 3 courts métrages que j'ai réalisés. C'était trop long, cela débordait. Le travail de coupe était ardu, et j'ai toujours gardé une frustration parce que je n'avais pas envie de jeter tout ce que j'avais écrit. Pour Alice et moi, il y avait plein d’autres choses, et je me suis dit que j'allais développer un traitement pour un long en même temps. Je l'ai enfermé dans le tiroir. Lorsque j'ai écrit Alice et moi, ce n'était pas du tout une comédie, ce n'en est devenue une qu'en cours de route. A priori, la comédie, ce n'était pas vraiment ma tasse de thé, mais c'était tellement agréable et jouissif à faire, que cela m'a donné envie de continuer. Donc, j'ai ressorti le scénario du tiroir, et c'est devenu Simon Konianski.

C : Ton personnage est hypocondriaque, l'es-tu aussi ?
M.W. : Beaucoup moins que Simon ! C'est un signe d'intelligence d'être hypocondriaque. En plus, on dit que les hypocondriaques vivent plus vieux. Je pense que c'est une manière de s'occuper de soi comme une autre. Il y a des gens qui sont coquets, d'autres qui sont égocentriques, et puis il y a des gens qui sont hypocondriaques. Moi, je fais plutôt attention à ma santé. Je n'ai pas l'impression d'être tout le temps malade.

C: Dans le film, on voit bien que Simon en a assez d'être confronté aux histoires sur les camps de son père. Peux-tu nous expliquer ?
M.W. : Ce n'est pas parce que tu rejettes quelque chose complètement que cela disparaît de ta vie. Je pense que le passé de Simon est tragique. Il est celui de l’histoire des juifs ashkénazes du 20ème siècle. Moi-même, je voulais être comme tout le monde, je ne voulais pas faire partie de cette histoire. Etre un enfant de rescapés, de personnes qui se sont cachés pendant la guerre, cela ne m'intéressait pas. Pourtant, j'ai souvent fait des rêves dans lesquels des Allemands défonçaient la porte de la maison et je m'enfuyais par la fenêtre, parcourais les jardins et devais me cacher.
Plus tu rejettes quelque chose, plus cela revient facilement. Le mieux est de vivre avec, de s'en faire une raison. Bon ici, c'est une comédie. Le père a un besoin de raconter sans cesse les histoires de son passé dans les camps et Simon y réagit de manière allergique, presque physique. Le conflit entre les deux personnages est drôle, mais il raconte quelque chose qui ne l'est pas. Dans les familles juives, les grands parents ont souvent besoin d'en parler, et puis il y a ceux qui ne disent rien. Les deux sont durs à vivre.

C : Schmouly, le fils de Simon, est un superbe personnage. Il est très vivant, il ressemble beaucoup à sa mère. Comment as-tu réfléchi à ce rôle ? Est ce que le fait d'être père de deux enfants t'as inspiré pour créer le personnage ?
M.W. :
Le film est construit par génération. Il y a Popeck qui a connu les camps, qui a été marqué au fer rouge par l'histoire, puis, il y a Simon, qui est de la deuxième génération comme mon père ou moi, enfin un peu un mixe des deux (il y avait un twist au niveau des âges par rapport à la réalité). Schmouly, c'est la 3ème ou la 4ème génération, comme mon fils.
Il y a l'histoire du père et de l'oncle, des gens qui ont été complètement détruits et ont eu du mal à se reconstruire. On voit que tous leurs travers découlent de ça. Après, on a leurs enfants qui ont subi soit l'absence de mots, soit le trop plein de mots, soit quelque chose de lourd qui est quand même passé d'une manière directe.
Ensuite, il y a leurs enfants pour qui tout ce passé n'est réel qu'à travers la parole des grands-parents, des gens avec qui ils n'ont pas vécu au quotidien. Ce n'est qu'une parole, pas des actes, des manières de se comporter. Les 3ème et 4ème générations ont un rapport plus simple, ils ont envie de savoir, de comprendre. Je pense que leur vie sera plus simple. Le petit Schmouly, j'en ai fait un gamin curieux, qui met les pieds dans le plat. Il pose des questions, il est avide des histoires de son grand-père. Pour lui, ce sont des histoires de guerre avec les bons et les méchants. Cela fait aussi partie de la comédie, avoir un gamin qui est avide des histoires de rescapés des camps, c'est un petit peu croquignolesque. C'est à la fois atroce et drôle.

C : Il y a cette séquence assez osée, dans le camp, avec « radio-chiottes ». Tu l'as faite entre humour et tragédie. C'est réussi, mais cela aurait pu aussi ne pas l'être. Comment as-tu trouvé les plans justes ?
M.W. : C'est comme pour tout. Si tu n'essayes pas, tu ne sauras jamais si cela est bien ou pas. Depuis le début, tout le monde me disait qu'il fallait enlever la scène au camp de Majdanek parce que c'était casse-gueule et qu'elle n'apportait rien à l'histoire. Or, leur voyage est le trajet à l'envers de la vie d'Ernest. On part de l'endroit où il est mort, Bruxelles, et on remonte vers la Pologne, les camps et ensuite, on arrive à son village natal, le shetel à la frontière ukraino-polonaise. Les camps sont une des choses qui ont le plus marqué Ernest, il fallait qu'on les voie ou qu'on les évoque dans ce parcours. Pour moi, cette séquence était importante. Je voulais filmer Majdanek comme je l'ai vu pour la première fois. On a filmé ce camp vide, exposé au vent, c'est un endroit qui dégage une impression de mort assez forte.

 
C : Il y a plus que cela, ce n'est pas qu'un documentaire comme tu es en train de nous le décrire.
M.W. : Le début est un documentaire. Après, lorsque l'on entre dans le baraquement, l'histoire reprend son cours. Je voulais en parler. C'est une tragicomédie qui s'adresse plutôt à un public jeune qui ne va pas voir tous les films sur la Shoah comme La Liste de Shindler (Spielberg), des films qui sont plus faits pour un public d’initiés, des gens qui ont 40, 60 ans et qui connaissent cette histoire. Pour toute la jeune génération, ce sont des films inaccessibles, et la Shoah reste dans cet univers sanctifié, quelque chose qu'on ne comprend pas si on n'en a pas les clés ou si l'école ne nous y prépare pas. Dans mon film, j'aborde, par la petite porte, cette période de l'histoire qui, pour moi, est très importante. C'est vraiment typique de la 3ème génération quand on voit Safran Foer qui a fait « Tout est illuminé », en livre puis en film. À notre âge, on a envie de s'y frotter, mais pas de façon grandiose et spectaculaire, plutôt de la manière la plus simple possible. Donc, je me disais que je ne pouvais pas me planter. On n'est pas avec Lars Von Trier qui veut faire des comédies musicales dans les camps ou Roberto Benigni qui prend de grandes libertés, tout à fait contestables, avec l'histoire. Dans mon film, des fantômes sont dans les latrines, mais c'est vrai. Beaucoup de gens se sont cachés dans les toilettes lorsque les Allemands ont vidé les camps. Ce sont des histoires qu'on connaît. Je suis allé visiter Auschwitz et Majdanek. Un gars nous a dit qu'il était resté trois jours caché là-dedans, et c'est comme cela qu'il a survécu. Radio-chiottes, on n’en parle pas dans le film, mais c'est comme cela qu'on appelait les latrines à Auschwitz, parce que c'était le seul endroit où les gens pouvaient se parler. Quelque part, c'était un peu le dernier lieu de vie dans les camps de la mort.
 
C. : Comment as-tu trouvé les personnes âgées de tes films ?
M.W. : Très difficilement ! Pour trouver ces personnages, ça été la croix et la bannière. Déjà, il n’y en a plus beaucoup. Moi je suis très attaché à l'accent russo-polonais, des gens qui ont parlé le yiddish pendant longtemps. Il y a un côté chantant imagé dans ce langage que j'aime bien, mais pour cela, il faut trouver des gens de plus de 80 ans, en bonne santé, avec encore un peu de mémoire et qui acceptent de jouer dans un film qui n'est pas spécialement casher. On les compte sur les doigts de la main ! On a donc fait un long casting en Belgique et en France. Pour finir, je les ai trouvés. C'était merveilleux et très compliqué à la fois. On ne peut pas tourner 8h par jour avec eux, et on doit se limiter au niveau du texte. Abraham a 84 ans, il est sourd à 95% et doit lire sur les lèvres. Par contre, il a une très bonne mémoire donc l'un compense l'autre. Irène est en pleine forme, elle prend l'avion 3 fois par an pour aller en Australie, au Canada parce qu'elle a de la famille un peu partout, mais n'a aucune mémoire. C’était compliqué à gérer, on s'est un peu arraché les cheveux.
Pour l'accent yiddish, Popeck le fait très bien, mais il en a une bonne pratique. Lorsque les autres le font, cela sonne faux.
 
C. : Comment as-tu pensé à Popeck pour jouer le rôle du père de Simon ?
M.W. : Je n'ai pas du tout pensé à lui. Il est venu incognito au casting en France. Je ne savais pas que c'était lui, ni à quoi il ressemblait. Il a passé le casting, et puis j'ai dit : le petit Roumain là, pas mal quand il prend l'accent, c'est léger. C'est comme avec un potentiomètre, tu peux faire plus d'accent ou moins d'accent et un ami m'a dit que c'était Popeck. On s'est revu, et il s'est emballé pour l'histoire.

C. : As-tu été influencé par Woody Allen dans ta manière de filmer?
M.W. : Non pas du tout. J'ai vu tous les films de Woody Allen, comme beaucoup de monde, mais il y a longtemps. J'ai revu Manhatan pendant la préparation, et c'est tellement éloigné. À part le fait qu'on aime tous les deux les grosses lunettes et que lui les porte… C'est un humour plus raffiné, plus subtil. Il joue plus sur les mots, le langage, sur des références culturelles assez importantes, sur le cinéma. On vient de milieux tellement différents. Je viens d'un milieu ouvrier, des tailleurs qui ont fuit la Pologne dans les années 20, qui sont arrivés en Belgique sans un sou, des clandestins qui n'ont pas fait d'études. La génération de mes parents a eu l'occasion d'en faire. L'autodérision reste un des points communs, mais elle n’est pas propre à Woody Allen, elle fait partie de l'humour juif. On aime bien rire de nous, et comme notre passé est tragique, on finit par rire des choses tragiques.
Je m'inspire plutôt de réalisateurs plus contemporains, les frères Coen et Wes Anderson.

 
C. : Ton film fait justement penser à La famille Tennenbaum. Pourtant Wes Anderson est très peu connu en Europe.
M.W. : Wes Anderson, c'est très particulier. C'est un cinéma de la forme. Il n'y a quasiment pas de contenu. Il s'agit plus d'une démarche d'artiste que de conteur. Avoir une bonne galerie de personnages est plus important que de raconter une histoire. On est peut-être moins sensible à cela en Europe. La Nouvelle Vague est en train de disparaître complètement de l'actuel processus de réalisation et ne devient plus qu'un vague souvenir. Du coup, on a moins le goût de la forme. C'est aussi l'industrie du cinéma qui impose cela.

C. : Tu ne crois pas que le point commun que tu as avec lui, c'est le côté d'éternel adolescent ?
M.W. :
Il n'y a pas de jouets dans le monde des adultes. Dans le monde des ados, il y a un côté fétichiste avec les objets. L'adolescence est le moment propice pour jouer avec tous ces objets.

Dans mon film, l'histoire est très forte, donc cela a fini par bouffer tout le côté « Wes Anderson attitude » du film que j'avais prévu avec les costumes et le décor.
Ce qui m'impressionne chez les frères Coen, c’est de découvrir une forme finalement très forte qui raconte autre chose que l'histoire. On voit des personnages colorés, des attitudes, des postures, des décors qui s'opposent. Avec Burn After Reading  ou  No country for old man, on assiste vraiment à de la pure mise en scène avec des personnages fabuleux.
Ce n'est que mon deuxième long, j'en suis encore loin, mais je me rends compte que c'est plus vers ce genre de cinéma que j'aimerais me diriger. J'ai l'impression que la comédie me contamine de plus en plus… faire le croquis de ces personnages drôles, touchants, colorés et différents.
Simon Konianski, pour moi, c’est une étape. Pour arriver à faire des films dans lesquels la forme est importante, il faut des histoires moins fortes, qui soient moins ancrées dans le réel.

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