À l’occasion de la vision de Sortie de clown, son premier court métrage, Cinergie s’était enthousiasmé pour le film et avait rencontré Nabil Ben Yadir qui nous avait parlé du long métrage qu’il était en train d’écrire. Nous voici quelques années plus tard sur le plateau de tournage de son premier long, Les Barons. Après une journée de labeur toute en effervescence et enthousiasme, après avoir plusieurs fois essayé de nous accorder du temps – sans succès, chaque fois rattrapé par son équipe, il s’assoit enfin. Ce qui frappe le plus chez Nabil Ben Yadir, outre une grande propension à la rigolade et à la dérision, son énergie et son enthousiasme, c’est le plaisir certain, démonstratif et communicatif qu’il prend à réaliser son film. Et il en parle de la même manière.
Nabil Ben Yadir pour Les Barons
Cinergie : Ton premier court métrage, Sortie de clown, était un film grave, silencieux. Tu passes à la comédie avec Les Barons. D’ordinaire, les réalisateurs font l’inverse, présente des courts métrages légers puis font des longs métrages "sérieux".
Nabil Ben Yadir : Je ne me suis pas posé la question comme ça. J’étais depuis longtemps en écriture de ce projet de long métrage quand j’ai réalisé Sortie de clown. Je n’avais encore rien réalisé, mais sachant que justement, je préparais une comédie, je voulais arriver avec quelque chose de totalement différent. Je savais qu’on s’attendait à ce que je fasse un film avec des mecs sur un banc… J’ai voulu contrecarrer ça et faire un premier film différent. Sortie de clown raconte aussi l’histoire d’un croque-mort qui est clown. Moi, je faisais du cinéma, et je travaillais à côté. J’avais cette espèce de double vie : les gens avec qui je faisais du cinéma ne savaient pas que je travaillais dans un parking, et les gens avec qui je travaillais ne savaient pas que je faisais du cinéma. J’ai raconté un peu mon histoire, mais d’une autre manière. En sachant que je préparais Les Barons, je voulais arriver avec quelque chose de très différent, qui était du cinéma, mais qui ne se situait pas dans la même configuration. Un seul personnage, muet... Ici, c’est une comédie, chorale, avec plus de phrases que de plans.
C. : Quelle décision as-tu pris en termes de plans, justement, ici ?
N.B.Y : C’est une comédie, il faut beaucoup découper pour avoir le rythme. Si je tourne en plan séquence, au montage, je serai bloqué. Après, bien sûr, certaines choses fonctionnent en plan séquence. Mais comme il y a beaucoup de dialogues et de comédiens, je me protège pour le montage et je préfère bien découper. Pas au point de faire des inserts à tout va quand même…. Enfin, c’est assez compliqué, mais notre super scripte me rappelle à l’ordre (rires) ! Faire un film choral, c’est un très très gros défi. Tourner avec des gosses aussi ! Je n’ai pas commencé par la facilité !
C. : Tu tournes en pellicule 35mm. C’est un choix ?
N.B.Y. : Ah ben oui ! On fait du cinéma, on tourne en pellicule ! En plus, on tourne en scope. On m’a donné la possibilité de tourner en pellicule. J’ai dit « Je veux tourner en scope ». On m’a dit « Oui ». J’ai dit « Je prends » ! Et voilà !
C. : Et comment diriges-tu autant de comédiens si différents ?
N.B.Y.: Au feeling ! Mounir (Ayit Hamou), qui joue Aziz, fait son premier film. J’ai, avec lui, une manière de communiquer. Avec Nader Boussandel, c’est autre chose. Avec Jan Decleir, c’est beaucoup plus doux. Il est venu très humblement jouer dans mon film : il s’amuse, il se marre et c'est super. Il y a aussi une confiance qui s’installe peu à peu. Mais on tourne, on propose des variantes, on délire. Chaque comédien a à sa personnalité et j’essaie de m’adapter. Ce qui est compliqué, c’est de se retrouver avec sept comédiens dans une scène comme on vient de faire, et de diriger sept comédiens de manières différentes.
C. : Mais alors, c’est quoi un baron ?
N.B.Y. : Mais si je vous explique ça, je vous raconte le film… ! Bon, un baron, c’est un mec qui a décidé de contourner le système de manière intelligente. Ou plutôt, qui est hors système. Mais leur manière de voir la vie est poétique et belle et non-violente. Au-delà d’une philosophie de vie, Les Barons, c'est aussi l’histoire d’Hassan, un mec qui a beaucoup d’humour et qui se rend compte que le seul endroit où il est vraiment à l’aise, c’est sur scène. Il se rend compte que quand il raconte sa vie, cela fait rire les gens, mais que lorsqu’il invente des vannes, cela ne fait rire personne. Alors il se demande : « Est ce que ma vie est une vanne ? Ma vie est une vanne ! Est-ce que j’ai du talent ? ». Et il se pose des tas de questions. À travers la vie d’Hassan, c’est aussi l’histoire de ses relations. C’est plusieurs petites histoires mais le nœud, la colonne vertébrale, c’est lui. Le film aurait pu s’appeler Le Baron mais étant donné qu’il s’agit aussi d’une histoire de potes et d’amitié, ça s’appelle Les Barons.
C. : As-tu de nouveau puisé dans ta vie pour écrire ce film ?
N.B.Y.: Ah oui, je me suis inspiré de ma vie. Cela a été très compliqué d’ailleurs. Et puis j’ai trouvé le ton, celui de la comédie, qui permettait d'avoir la bonne distance et de raconter plus de choses. C’est, entre guillemets, l’histoire de ma vie mais avec beaucoup plus de liberté et de délire. Au début, ce n’était pas une comédie. Le film a beaucoup évolué. J'ai appris à écrire, avec ce film. Il est né de la rencontre avec Diana Elbaum, la productrice et Laurent Brandenbourger, le coscénariste du film. Mais au début, ce n’était pas du tout une comédie, j’étais dans des thématiques comme celles de l’intégration. À un moment donné, je me suis dit que cela me faisait chier, je me suis dit que j’allais me piéger avec des questions que je ne me posais plus. Le défi était là, faire un film sur des mecs qui sont nés à Bruxelles, sans parler d’intégration, sans parler de flics. Ces mecs s’appellent Hassan, Mounir ou Aziz et se posent les mêmes questions que Jacques, Jean, Pierre ou Paul. Je fais un film bruxellois, avec des bruxellois. C’est ça qui est intéressant ! C’est une vraie histoire bruxelloise, qu’on tourne dans des quartiers populaires où mises à part les caméras de RTL qui passent nous dire bonjour au moment des faits-divers, personne ne vient. Alors nous, on pose nos caméras, on raconte notre histoire et on fait une comédie.C’est aussi une fierté!
L’enjeu de mes personnages c’est : qu’est-ce qu’on fait demain ? Qu’est-ce qu’on mange ? Où on va ? Qu’est-ce qu’on veut être et devenir ? Hassan se dit « Voilà, j’ai tel âge. Mon père est chauffeur de bus, il veut que je devienne chauffeur de bus. Moi, j’ai envie de monter sur scène. Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je recrée les mêmes schémas que mon père et je deviens chauffeur de bus ou est-ce que je prends mes responsabilités, je monte sur scène, je fais mon stand up et je raconte ma vie ? » En montant sur scène et prenant des risques, il va passer du statut de gamin à celui d’adulte responsable. Il va prendre des responsabilités que peu de personnes, je crois, pourraient prendre. Et il rentre dans le monde des adultes par la grande porte. Et puis, grâce à ce ton de comédie, on peut aller loin… Je vous laisse la surprise. Je ne vais pas me faire que des amis (rires !).
C. : La comédie, est-ce un genre que tu affectionnes particulièrement ?
N.B.Y. : Moi, je veux faire du cinéma, j’adore le cinéma. Là, avec ce film, je me sens bien dans ce ton. Mais j’ai envie de faire du cinéma, de toucher à tout. Je suis tellement content de faire du cinéma que j’ai envie de m’inscrire dans tous les genres.