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Noël Magis, directeur de screen.brussels

Publié le 22/12/2022 par Malko Douglas Tolley, Marwane Randoux et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Bilan 2022 et perspectives 2023 pour le cinéma francophone belge et bruxellois en compagnie de Noël Magis, directeur de screen.brussels

Cette rencontre exclusive avec le directeur de screen.brussels permet de revenir sur l’investissement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel. Noël Magis partage son ressenti sur l’évolution du secteur et évoque les grands défis pour 2023.

Cinergie : Vous aviez rencontré mon collègue David Hainaut juste avant le début de la pandémie. Lors de cette entrevue de février 2020, screen.brussels fêtait ses 4 années d’existence et le bilan du développement de la filière à Bruxelles était plutôt positif avec un nombre de tournages record dans la capitale. Les confinements successifs ainsi que les différentes crises des deux dernières années ont-elles affecté cette dynamique positive et ce renouveau du secteur de l’audiovisuel à Bruxelles ?

Noël Magis : En 2020, suite à la pandémie, la Région de Bruxelles-Capitale a réagi de manière efficace en octroyant à screen.brussels un budget supplémentaire d’1 million d’euros, qui s’ajoute à notre budget annuel habituel fixé à 3.140.000 euros. Cette allonge nous a permis d’intervenir sur les projets impactés entre mars et juillet 2020 mais également de soutenir plus de projets cette année-là. Ce fut extrêmement positif. Cette démarche a permis d’amortir et d’atténuer un peu les difficultés suscitées par cette pandémie.

La crise sanitaire n’était pas terminée en 2021 et un montant supplémentaire de 500.000 euros a été alloué par la Région afin de surmonter différents types de blocages et difficultés exceptionnels. On a ainsi pu retenir et soutenir un nombre plus important de projets en augmentant notre taux de projets subsidiés.

En 2022, nous n’avons plus obtenu d’aides supplémentaires et nous sommes revenus à notre budget annuel traditionnel de 3.140.000 euros. Malheureusement, de nouvelles crises sont à nouveau apparues cette année dont le conflit russo-ukrainien et la conjoncture économique, notamment la crise de l’énergie. Il ne s’agit donc pas désormais de difficultés en termes de tournages mais par rapport à l’inflation des coûts, des salaires, des frais de production. C’est le financement de certains projets qui a ainsi été mis en péril par ces nouvelles contraintes. Les budgets des autorités publiques sont également sous tension, notamment à Bruxelles. Il est à prévoir une très légère diminution du budget de screen.brussels en 2023.

Nous allons donc devoir nous questionner sur notre processus afin de dégager des solutions pour continuer à être efficaces et créer des effets structurants en sachant que ces nouvelles contraintes budgétaires vont de pair avec un grand nombre de dossiers de postulation par session. Au niveau régional, nous sommes le fond régional le plus sollicité en disposant du budget le plus restreint. Nous recevons fréquemment plus de 30 dossiers par session.

 

C. : Les sessions, au nombre de 3 par année, sont donc les moments où il est possible de rentrer son dossier pour obtenir un financement auprès de screen.brussels la liste des projets soutenus présente sur votre site met en évidence une hausse en 2021 et 2022 grâce aux montants supplémentaires alloués comme vous venez de nous l’expliquer. Vous avez soutenu une quarantaine de projets ces deux années « spéciales » et une trentaine en moyenne les autres années. Tous les dossiers sont-ils systématiquement acceptés ?

N. M. : En 2016, lors du lancement du fonds, nous avons reçu 43 projets. Ensuite, nous avons reçu en moyenne 25 projets pendant plusieurs années. Ce nombre n’a pas changé durant la pandémie même si les dossiers étaient moins complets ou avancés à cause des circonstances que tout le monde connaît. En 2022, nous avons reçu 30 dossiers lors des deux premières sessions et seulement une vingtaine lors de la dernière. Mais tous les dossiers ne sont pas validés et certains projets n’étaient pas assez mûrs pour nous. Nous leur avons demandé de se représenter à la première session de 2023. Il s’agit tant de longs-métrages que de séries télévisées. Mais également des documentaires, des web-séries et même un peu de podcasts. Nous sommes donc actifs sur plusieurs segments.

 

C. : Quels sont les critères qui définissent qu’un projet est assez « mûr » et qu’il peut être subventionné par screen.brussels ?

N. M. : Nous sommes un fonds régional économique. Notre action vise le « Gap Financing » et on intervient vraiment en fin de parcours quand le projet a déjà au minimum 40% de financement pour les longs-métrages et les séries. Notre grille de points favorise les financements plus aboutis. En d’autres termes, plus le financement est assuré, plus un projet a des chances d’obtenir une aide supplémentaire de notre part, vu qu’on sera dès lors à peu près certain que le projet sera bouclé dans l’année ou dans les deux ans maximum, notamment pour les longs-métrages d’animation ou certains types de documentaires. C’est un facteur important pour nous car nous sommes également tenus de rendre des comptes à l’administration. Un des critères principaux est donc d’avoir un financement acquis bien solide.

Un second critère important est le montant des dépenses générées en Région de Bruxelles-Capitale. Il s’agit des dépenses en salaires et rémunérations de professionnels de la filière audiovisuelle et de dépenses dans les entreprises de prestation de services et de post-production notamment. Par exemple, si un projet qui fait 1 million de dépenses dans la Région est en compétition avec un autre qui en fait deux fois moins, même si le ratio demandé par rapport à l’investissement est identique, on favorisera généralement le projet qui en valeur absolue est le plus lucratif pour la Région. Mais de nombreux critères sont pris en compte et chaque projet est considéré individuellement.

Un autre facteur en voie de devenir de plus en plus important dans le futur est lié au marketing territorial. On ne va pas bouder notre plaisir si la série ou le long-métrage se passe à Bruxelles et que l’on identifie les lieux. C’est intéressant en termes de visibilité, d’image et de notoriété. Ce sont des opportunités de voir Bruxelles à l’écran sous la houlette de créatifs qui, on le voit, s’emparent de plus en plus notre capitale en l’intégrant dans le scénario. Mais il y a également les productions internationales qui viennent chercher des décors originaux et intéressants.

C’est la combinaison du Tax Shelter, des fonds régionaux, des fonds culturels francophones et flamands qui, ensemble, constituent le fameux  « pot belge ». Près de 70% de nos fonds soutiennent des projets majoritaires belges et 30% des productions sont minoritaires, et donc de l’étranger. La filière audiovisuelle bruxelloise a bien entendu besoin de projets majoritaires belges mais la nature même de la ville et l’ouverture du marché à l’international font que cette même filière a également besoin de co-productions internationales. Nous devons dès lors veiller à maintenir cet équilibre entre projets majoritaires et minoritaires. Cela fait partie de l’équation également pour en revenir à la question des critères de sélection.

 

C. : Parmi l’ensemble de ces projets qui ont mis Bruxelles en lumière, certains passés ou futurs vous ont-ils semblé plus marquants que d’autres ?

N. M. : Dans les séries récentes, Pandore est probablement la série qui a le plus mis Bruxelles à l’honneur. Il y a également Fils de qui a été essentiellement tourné à Bruxelles. Il y a le dernier long-métrage de David Lambert intitulé Les Tortues. Parmi les réalisations futures, je pense également au long-métrage Le Syndrôme des amours passées avec Lucie Debay ou encore Amal de Jawad Rhalib qui sortiront en 2023. Il y a toute une série de projets qui se déroulent à Bruxelles.

 

C. : En parlant d’évolution, qu’en est-il de celle du Médiapark, ce fameux pôle audiovisuel bruxellois qui a fait couler beaucoup d’encre depuis son lancement ?

N.M. : Le projet est très visible aujourd’hui puisque les travaux de la RTBF ont commencé et ceux de la VRT devraient suivre. Le bâtiment « Frame » de BX1 est en train de sortir de terre près du boulevard Reyers. La fin des travaux est prévue pour 2024. Celui de la RTBF un an plus tard et encore une année ou deux supplémentaire pour celui de la VRT.

La stratégie est de créer un quartier mixte à la fois dédié aux médias et à l’audiovisuel avec le siège de la VRT, de la RTBF et de BX1 ainsi qu’une série de prestataires de services. Mais également d’avoir une mixité de logements et d’équipements avec de l’activité économique essentiellement liée aux médias et à l’audiovisuel.

 

C. : De nos jours, le cinéma belge semble plus valorisé et apprécié qu’il ne l’était il y a 10 ou 20 ans. On remarque que de plus en plus de réalisations belges rencontrent un large succès et que des talents belges, et bruxellois, participent à des projets d’envergure mondiale. Comment expliquer cette évolution récente et ce renouveau du cinéma belge et local ?

N.M. : Je constate également qu’il y a une nouvelle génération d’autrices et d’auteurs, de réalisatrices et de réalisateurs, de productrices et de producteurs, qui ont clairement envie de raconter des histoires et que ces histoires trouvent leur public. Que ce soit dans le cinéma de genre, dans le policier, dans l’humour, les Belges ou, de manière plus large, les résidents belges ne craignent plus de raconter des histoires et de tenter leur chance. Mais il faut également pouvoir accompagner tout ça. Le potentiel de diffusion et la distribution du projet est un autre critère important. En tant que fonds régional, ce critère n’est pas à négliger, que ce soit en salle ou en plateforme. En tant que fonds économique, et d’un point de vue de marketing territorial, on a intérêt à ce que les productions soutenues par screen.brussels touchent un public large et varié.

 

C. : Le film de cinéma est-il en péril ? Si l’on observe les statistiques de 2022, comment se répartissent les types de projets entre longs-métrages pour le cinéma, séries tv ou autres types de médias ?

N.M. : Sur base des statistiques, on remarque que les longs-métrages et les séries télévisées représentent 85% des projets que nous soutenons. Mais on note également le développement des web-séries développées pour le digital, avec une première diffusion sur Arte ou Auvio, Streamz ou VRT Max par exemple. Cela permet à une nouvelle génération d’autrices ou d’auteurs de développer des contenus avec des budgets plus maîtrisés, mais de tout de même accéder à des plateformes qui font partie de groupes nationaux ou internationaux. Il s’agit bien évidemment de pépinière pour ces auteurs et autrices avant un projet de plus grande ampleur. Tant au niveau belge francophone, flamand ou à l’international, on remarque plus d’audace pour ce type de projets web.

Le cinéma ne va jamais mourir. Cependant, tous les films, dits de cinéma, n’auront plus une diffusion en salle. L’important à mon sens, c’est que le contenu trouve son public au bon endroit et au bon moment. Certaines histoires seront probablement plus efficaces sous forme digitale qu’au cinéma et inversement.

 

C. : En ce qui concerne le cinéma d’animation, la Belgique jouit d’une réputation internationale depuis de nombreuses années. Quelle est la place du cinéma d’animation à Bruxelles ?

N.M. : Cela fait quelques années que l’on est très attentif aux projets d’animation en long-métrage. Un peu moins au niveau des séries, même si on en produit de temps en temps. Il s’agit de projets très intéressants du point de vue d’un fonds régional. Pourquoi ? Car des projets de ce type donnent un emploi à un grand nombre de personnes durant un délai important. Un tournage d’un film d’animation représente la mise à l’emploi de personnes pendant 1, 2 voire 3 ans à Bruxelles.

Nous avons également une série de studios indépendants à Bruxelles. Ils sont d’ailleurs presque tous situés près du Canal. On parle de la « Brussels Animation Valley » avec Squarefish,  Studio l'Enclume, Studio Souza, Walking The Dog, Panique, Nwave, et beaucoup d’autres. Toutes ces sociétés actives dans l’animation à Bruxelles nous proposent régulièrement des projets. Nous y sommes très attentifs car les retours pour Bruxelles sont toujours très bénéfiques et structurants sur le long terme. On compte également quelques bonnes écoles d’animation à Bruxelles. On y revient encore mais le pot belge du Tax Shelter, des fonds régionaux, des fonds culturels pour certains types de projets ainsi que le savoir-faire des professionnels et des studios bruxellois font que le cinéma d’animation est très présent dans le paysage de l’audiovisuel bruxellois. Si l’on observe le bilan 2022, on remarque d’ailleurs que 28% de nos budgets sont dédiés à des projets d’animation.

 

C. : Vous avez mentionné un nouveau critère qui prend la forme d’un incitant pour une approche plus responsable dans l’audiovisuel. Pouvez-vous nous en dire plus ?

N. M.: Il s’agit des points « eco bonus » introduits depuis début 2022. Pour analyser les différents projets soumis, nous avons une grille de points à attribuer en fonction de critères précis, dont certains ont déjà été abordés. On a décidé l’an dernier d'ajouter deux points « eco bonus » afin d’encourager les sociétés à mettre en place leurs productions audiovisuelles avec une stratégie plus responsable en termes d’environnement et d’impact environnemental. Nous avons la chance, en Région de Bruxelles-Capitale, de disposer d’un label éco dynamique mis en place par Bruxelles Environnement depuis une dizaine d’années. Il s’agit d’un label attribué aux entreprises, pas aux projets. Depuis 2022, si la société de production possède ce label ou s’est engagée dans le processus pour l’obtenir, le projet reçoit un point bonus. Pour les sociétés de production flamandes et wallonnes, il n’y a pas d’équivalent exact, mais elles peuvent prouver la chose par un label régional ou international par exemple.

L’autre point bonus est attribué si la société de production démontre dans son dossier qu’elle fait appel à un eco manager en charge des aspects environnementaux sur la gestion du projet. Il faut que cette présence soit vérifiée et certifiée bien entendu.

 

C. : Pour conclure, vous mettez à disposition du grand public un répertoire des professionnels du secteur de l’audiovisuel. Que faut-il faire pour figurer dans ce répertoire ? Quelles autres informations utiles aux professionnels sont disponibles sur votre site ?

N.M. : Nous sommes assez fiers de ce répertoire. Nous essayons d’établir des bases de données des sociétés et des personnes actives dans le secteur de l’audiovisuel en Région de Bruxelles-Capitale. Cela facilite aussi la vie des producteurs lors des sessions de remises de dossiers de financement par screen.brussels Pour y apparaître, il suffit de se rendre sur le site de screen.brussels https://screen.brussels/fr/search/professionnels/profiles et de s’inscrire en tant que personne physique ou société. À partir du moment où quelqu’un est répertorié sur notre base de données, c’est une garantie pour la société qui la recrute qu’elle est considérée comme active en Région de Bruxelles-Capitale. Toutes les personnes ayant participé à des projets soutenus par le fonds ou presque y sont répertoriées.
Pour les lieux de tournages, nous avons également une page qui fournit un aperçu des lieux disponibles. Pour plus de renseignements, nos collègues de la Film Commission sont spécialistes en la matière.

Chaque projet soutenu par le fonds dispose d’une fiche projet la plus complète possible avec une affiche du film, les budgets du film, l’état d’avancement du projet, les montants alloués, les équipes et plus encore. Tout est disponible sur notre site https://screen.brussels/fr.

Pour plus d’informations sur les projets soutenus à Bruxelles cette année, le bilan annuel 2022 de screen brussels est désormais disponible en ligne.

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