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Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq, réalisatrices de Pandore

Publié le 08/02/2022 par Harald Duplouis, Kevin Giraud et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Il y a eu la Trêve, aujourd’hui il y a Pandore. Un nouveau seuil dans la qualité et la diversité toujours grandissante du panel de séries belges francophones. Et une première, non des moindres : le trio derrière Pandore est exclusivement féminin.
Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq sont aux commandes de cette formidable réalisation, brillamment écrite et mise en scène. Rencontre avec ces trois artistes aussi humbles que talentueuses.

Cinergie : Comment vous êtes-vous rencontrées?
Savina Dellicour : Anne a joué avec chacune d’entre nous, dans les longs-métrages que nous avons réalisés, et de là est née cette envie de travailler ensemble.

Vania Leturcq : Avec Savina, nous nous sommes croisées à Bruxelles un été, alors que nous étions toutes les deux en tournage de nos films respectifs, et c’est ainsi que nous avons fait connaissance. Quand ils sont sortis en salles, L’Année prochaine pour moi et Tous les chats sont gris pour Savina, à peu près simultanément, nous avons continué à échanger et de là est née cette entente et cette amitié. 

 

Cinergie : D’où vous est venue l’envie de construire ce projet ?

S.D. : Vania et moi avons été contactées par Artémis pour une autre série en cours de développement. Finalement, le projet ne s’est pas concrétisé, mais nous avions eu de bons échanges avec le producteur Yves Swennen, et celui-ci a suggéré l’idée d’écrire une histoire à nous. De notre côté, c’était une envie qui germait également, dans le contexte de ces développements de séries francophones belges très motivants à l’époque. Nous avions envie de participer à cette nouvelle vague.

V.L. : De là, l’idée est née, et dès le départ, nous avons inclus Anne dans notre réflexion. Nous savions qu’elle touchait à l’écriture, nous avions envie de travailler avec elle de nouveau, et l’intégrer dans notre parcours créatif était donc une évidence. C’est un récit que nous avons créé entièrement à trois, et c’est d’ailleurs Anne qui a amené très vite cette idée de la femme juge, de ce personnage complexe et ambivalent. Après ce premier rendez-vous, il y a eu six mois d’échanges, de brainstorming, de réflexion qui ont conduit à la naissance de Pandore.

 

Cinergie : Anne, vous aviez donc déjà des velléités d’écriture avant ce projet ?

Anne Coesens : J'y avais déjà goûté à travers les films d’Olivier Masset-Depasse [Duelles, ndlr] notamment à travers la réécriture de mes dialogues, de quelques scènes. Cela dit, je n’avais jamais été au début d’un processus de création comme celui-ci. Découvrir comment construire une histoire, comment créer des personnages, cela a été un réel plaisir.

 

Cinergie : Pensez-vous que cette série arrive à un moment charnière dans le paysage belge francophone ?

V.L. : Pendant notre processus d’écriture - qui remonte à quelques années déjà -, nous avons beaucoup travaillé autour de l’actualité, mais cela nous arrivait aussi régulièrement de créer des scènes, et quelques semaines plus tard ces événements se passaient réellement. Cela nous a confortées dans notre positionnement, cette impression de ne pas être complètement à côté de la plaque, de construire un projet qui parlait de réalités belges. Pour autant, la série a été écrite en 2017, et nous avons eu peur d’arriver trop tard avec ce projet. Aujourd’hui, quand on nous dit que la série est très actuelle, c’est à la fois réjouissant mais aussi effrayant de se dire que les choses n’ont peut-être pas vraiment changées, voire même certaines qui ont empiré. Il est toujours temps de questionner la place des femmes, des politiques, la place du pouvoir, et c’est aussi ce que raconte le générique de la série. Ce sont des interrogations qui sont en marche depuis longtemps. Aujourd’hui, nous les amenons à la télévision publique à travers la fiction, mais ça a peut-être toujours été le moment d’en parler.

 

Cinergie : Vos personnages sont complexes, nuancés, vrais. C'est un standard inégalé jusqu'ici en termes de série belge. Comment êtes-vous arrivées à ce niveau d’écriture ?

V.L. : Avec beaucoup, beaucoup de travail. Il y a eu un très long processus de réflexion, et une phase de plusieurs mois uniquement sur les personnages. Après avoir installé les grandes lignes de notre récit, nous avons creusé chacune et chacun des protagonistes. Savoir d’où elle vient, pourquoi il se conduit de la sorte. Nous voulions avoir une richesse de points de vue, d’opinions, et non un manifeste pour l’une ou l’autre vision. Et cela nous a demandé une plongée dans ces personnalités, de savoir pourquoi ils en étaient là aujourd’hui, et ce pour tous les personnages principaux et secondaires. Quels étaient leurs rêves les plus fous ? Leurs désirs enfouis ? Cela nous a grandement aidé pour l’histoire mais aussi pour le travail avec les artistes.

S.D. : Nous avons construit des arches émotionnelles pour chacun de nos personnages, pour pouvoir raconter l’histoire de leur point de vue, ce que eux vivent réellement. L’avancée de l’intrigue est importante à nos yeux, mais tout le ressenti et l’évolution des protagonistes fait aussi partie intégrante de notre réflexion.

V.L. : De sorte que les retournements de la série ne soient jamais artificiels, mais bien guidés par les émotions et les actions des personnages. Comment chacun ressent les événements, et vers où cela nous mène par la suite.

 

Cinergie : Avec un accompagnement particulier ?

A.C. : Nous avons eu la chance de travailler avec Willem Wallyn, script doctor, un profil parfait pour notre projet. Il nous a beaucoup apporté en termes de structure, mais aussi en termes de contenu par sa formation d’avocat et son background familial lié au monde politique, cela nous a nourri sur de nombreux aspects de la création.

V.L. : Et via la RTBF également. Une grande partie du travail a été de nous former à l’écriture sérielle. Ne pas faire semblant que l’on sait comment ça fonctionne, mais retourner sur les bancs de l’école, se former, assister à des masterclass. Cela nous a énormément aidé.

 

Cinergie : Pour revenir aux personnages, avoir des femmes fortes, c’était une volonté délibérée de votre part ?

S.D. : Dès la première réunion! [rires].

V.L. : Le constat était évident pour nous. Un manque de diversité dans les formes de féminité, d’âge, et cette réflexion a été le moteur de notre processus de création. On voulait voir ces femmes à l’écran, et les donner à voir aussi. Ne pas tricher sur l’âge, montrer qu’une femme pouvait être forte à toutes les époques de sa vie, et offrir des représentations multiples de la féminité mais aussi de la masculinité. Les femmes sont au centre de ce qu’on a entamé, mais comme pour nous ce sont des existences qui se jouent à deux, il fallait tout autant des masculinités complexes et différentes en face, parce que c’est aussi ça le féminisme.

S.D. : Le but, c’était d’arriver à une forme d’équilibre et de partage.

 

Cinergie : En quelques mots, comment s’est passé le tournage ?

S.D. : Une fois le processus d’écriture terminé ensemble, chacune a repris sa casquette, mais nous savions que nous étions sur la même longueur d’onde.

V.L. : Tous les choix esthétiques, le casting, le style de prises de vue que nous recherchions, tout cela a été décidé en trio. Ainsi que les personnes qui ont collaboré avec nous comme Joachim Philippe, notre chef opérateur, qui nous a aidé à définir l’ambiance bien particulière de la série.

A.C. : Avec beaucoup de talent derrière les deux caméras que nous utilisions. Des gens qui avaient l’instinct de l’image, presque comme s’ils allaient sentir les réactions avant qu’on les jouent, comme un troisième personnage. Joachim a réussi à filmer ce qu’il fallait au moment où il le fallait. Et pour ce qui est du casting, certains étaient là dès le début comme Salomé Richard, Vincent Lécuyer, mais d’autres pas du tout.

V.L. : Parfois, c’était précis. Pour tel rôle, on voulait telle comédienne, tel comédien. Mais dans d’autres cas, le choix était ouvert. Nous avions un puzzle à créer, ce n’était pas une mince affaire avec plus de cent personnages! [rires] On a découvert beaucoup de visages et de talents. C’est comme cela également que nous avons fonctionné pour la musique. Nous avions des idées précises de certains morceaux, notamment pour le générique, mais pour la suite, nous avons découvert de nombreux artistes belges qui font l’essence de la série.

 

Cinergie : Comment vous préparez-vous à la réception du public?

V.L. : On a toutes les trois vécu des sorties de films où on accompagnait le film en salles, ici on débarque dans le salon des gens, le dimanche soir. C’est à la fois effrayant et excitant. Nous avons aimé réaliser ce projet, et nous sommes curieuses et impatientes de pouvoir le proposer au public. Un tout petit peu stressées tout de même. Pour la suite, nous avons de la matière pour continuer, on verra où cette sortie nous mène.

Pandore sera diffusée sur la Une dès le 13 février, et disponible en intégralité sur Auvio.

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