Alors qu’on l’attendait aux commandes du remake de son film Duelles, Mother’s Instinct (finalement réalisé par Benoît Delhomme), on retrouve Olivier Masset-Depasse, l’auteur de Cages et d’Illégal là où personne ne l’attendait : aux commandes d’un film d’action, troisième volet sur grand écran des aventures du justicier milliardaire Largo Winch, une franchise en sommeil depuis 2011. Comme le réalisateur nous l’explique, sa présence à la barre de ce produit purement commercial et calibré pour une sortie estivale n’est pas aussi saugrenue qu’on pourrait le croire...
Olivier Masset-Depasse, Largo Winch : Le Prix de l’Argent
Cinergie : Vu votre CV et votre cinéma plutôt intimiste, nous avons été étonnés de vous retrouver à la barre d’un gros film d’action. Comment a commencé votre implication sur ce troisième volet des aventures de Largo Winch ?
Olivier Masset-Depasse : C’est venu de mon producteur belge, Jacques-Henri Bronckart, qui travaille avec la Pan-Européenne, qui - je ne sais pas pourquoi - cherchait un réalisateur belge pour relancer la saga. Il a tout de suite pensé à moi, puisque, même si j’ai fait des films « d’auteur » entre guillemets, il savait que je suis un fan du cinéma dans son ensemble - j’adore les films d’action et j’aimerais faire tous les genres de cinéma possibles. D’ailleurs, à chaque film, j’essaie d’être différent, parce que je sais que j’ai toujours les mêmes obsessions. Donc, quand il me l’a proposé, j’ai dit oui, ça me paraissait très cohérent de faire un film d’aventures, d’action. Un réalisateur doit aussi avoir envie d’apprendre des choses. Ça faisait quelque temps que j’étais dans un cinéma plus intimiste, mais j’ai écrit celui-ci comme un film « d’auteur » aussi. J’avais envie de tester ça, « d’élargir mes épaules ». Et j’ai adoré !
C. : « Être différent à chaque film »… Ce n’est donc peut-être pas plus mal, en fin de compte, que vous n’ayez pas réalisé le remake américain de Duelles, Mother’s Instinct, sur lequel vous aviez été annoncé, mais qui a finalement été réalisé par Benoît Delhomme. Vous vous êtes retrouvé sur Largo Winch : Le Prix de l’Argent à la place. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?
O.M.-D. : En fait, nous travaillions sur les deux en même temps, puis je suis parti pour tourner ce remake. Et je suis tombé sur des gens pas honnêtes et un peu incompétents. Je suis tombé sur deux stars (Jessica Chastain et Anne Hathaway – NDLR) qui étaient - en tout cas avec moi - complètement tarées et délirantes. Le piège avec les Américains, c’est qu’on croit qu’ils nous ressemblent, mais ils ne nous ressemblent pas du tout. Le système américain n’est pas du tout le même. Bon, je ne dis pas que c’est toujours comme ça… Sur ce film, j’avais le même budget que sur Largo, mais en fait, finalement, j’avais moins d’argent que sur mon film original, Duelles. Sur 12 millions de dollars de budget, « on screen », j’avais seulement 3,5 millions. Pour la décoration, je me retrouvais avec moins d’argent que sur un film belge ! C’est un système de stars – qui n’en restent pas moins de grandes actrices – où on me disait « Mais tu ne peux pas dire ça ! », tu ne peux pas dire non… On a beau être une star, on chie comme tout le monde ! Et pour moi… si ça ne va pas, ça ne va pas ! Donc, je suis parti au bon moment, parce que, de toute façon, je n’aurais pas pu faire un bon film dans ces conditions-là.
C. : Ce remake est pratiquement identique à l’original, c’est un peu le jeu des sept erreurs ! Donc, on ne peut pas dire que c’est un mauvais film. Par contre, c’est un film inutile…
O.M.-D. : (rires) Je ne l’ai pas vu. Donc je ne sais pas.
C. : Revenons-en à Largo Winch : Le Prix de l’Argent. Était-ce important pour vous d’avoir une approche différente de celle de Jérôme Salle, le réalisateur des deux premiers films ?
O.M.-D. : Ça, je n’en sais rien, mais ce qui était important pour moi, c’était d’arriver à mixer le monde de Largo avec mes obsessions. Je l’ai co-écrit avec Domenico La Porta et Giordano Gederlini, mais c’était important que j’arrive à y mettre mes obsessions, pour faire un film qui me ressemble.
C. : Quel était votre rapport à la bande dessinée de Jean Van Hamme ? Avez-vous collaboré directement avec lui ?
O.M.-D. : Non, non. Quand je suis arrivé sur le projet, il avait fait un « temp script » de sa BD, donc il y avait une base. C’est pour ça qu’il est crédité au scénario, mais après ça, il n’est plus intervenu. La BD était un peu obsolète : ça parlait de stock-options ! Aujourd’hui, on s’en fout des stock-options ! Moi je voulais que ce soit un opus beaucoup plus moderne et ancré dans la réalité d’aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, etc. Donc, nous avons gardé une base, le suicide du partenaire de Largo, et après, nous en avons fait ce que vous avez vu. Tout le reste de l’histoire est complètement original, il n’y a pas de lien avec la BD… J’ai grandi dans l’univers de la bande dessinée. Mon père travaillait chez Dupuis. J’ai commencé par le dessin, par vouloir être dessinateur de BD. Donc oui, la bande dessinée est un art qui a toujours été très important pour moi. D’ailleurs, j’en lis encore beaucoup ! Personnellement, je suis passé au cinéma parce que le mouvement me manquait dans la BD. La musique aussi, le son… Mais c’est sûr que j’ai grandi dans le monde de Van Hamme avec Thorgal, XIII et Le Grand Pouvoir du Chninkel. J’ai été construit en partie par le monde de Van Hamme. Mais un peu moins par Largo Winch, qui est une BD tardive pour moi, parce qu’elle a commencé dans les années 90 et que j’étais déjà un peu plus âgé. Donc, a priori, ce n’était pas la BD que je préférais, parce qu’elle est un peu plus légère que les autres. Mais ce qui m’intéressait dans Largo et qui m’a incité à venir sur le film, c’est qu’il reste des zones d’ombre chez lui. Pourquoi un mec orphelin, soi-disant de gauche, qui défend la veuve et l’orphelin, reste à la tête de ce groupe qui est quand même un truc de droite ? C’est un orphelin, mais qui a eu un père pas très bienveillant. Quelque part, Largo est un peu un enfant maltraité, qui a peut-être développé une sorte de syndrome de Stockholm par rapport à ce père tyrannique. Là, je pouvais retrouver mon obsession principale : la famille, les relations familiales. Et puis, après avoir fait pas mal de films du point de vue des femmes, c’était intéressant de partir du côté des hommes avec cette problématique père/fils.
C. : Effectivement, dans les films de la saga, on trouve toujours quelqu’un qui trahit Largo, mais aussi de nouveaux personnages qui viennent s’ajouter à sa famille « imaginaire », comme ici cette adolescente québécoise.
O.M.-D. : Tout à fait. Il y a toujours une différence entre la famille qu’on se construit et la famille qui nous est imposée et qui parfois peut nous trahir.
C. : Le film propose une critique discrète des multinationales et le fils de Largo milite pour l’agriculture biologique. J’imagine que ce sont des petites touches personnelles que vous avez ajoutées ? Largo lui-même est un personnage très contradictoire...
O.M.-D. : Étant quand même resté de gauche, il m’aurait été très difficile de faire un film de droite ! Donc, c’est sûr qu’il était important pour moi de trouver des astuces pour rester avec des valeurs de gauche, même si je ne voulais pas forcément faire un film politique. Mais c’est quand même l’histoire d’un mec qui se trompe et qui s’en prend plein la gueule ! C’était important de trouver des axes qui démontent un peu le système capitaliste.
C. : Dans les grosses productions d’action anglo-saxonnes, comme les James Bond, on sait que, très souvent, la plupart des scènes d’action sont réalisées par la seconde équipe. Avez-vous pu concevoir et tourner vos scènes d’action vous-même ?
O.M.-D. : Oui, ça a été très précis. En règle générale, dans ce genre de film, on fait une liste du style Reader’s Digest en disant : il faudrait ça, ça, ça, et ça. Avec Domenico, dès l’étape du scénario, nous avons écrit les scènes d’action comme des scènes précises de jeu. Nous avons vraiment développé tout. Après, évidemment, ces scènes ont évolué, parce que sur ce genre de film, il y a beaucoup plus de collaboration, notamment avec des ‘stunt coordinators’ qui s’y connaissent mieux. C’était mon premier film dans le genre, donc il a fallu que j’apprenne pas mal de choses, tout en ne lâchant rien. Mais c’était passionnant. La particularité ici, c’est que je voulais que les acteurs fassent un maximum de cascades eux-mêmes. Donc, sur 90 jours de tournage, l’équipe B a été réduite à 12 jours, alors que normalement, c’est plutôt la moitié. J’ai réalisé moi-même beaucoup de scènes d’action. On m’avait dit : « Tu vas voir, c’est chiant ! », mais en fait, j’ai adoré, j’ai tout aimé. C’était une épopée. Des fois, je me disais : « Mais comment on va réussir ça ? », parce que c’était très compliqué. Mais en fin de compte, à chaque fois, le Dieu du cinéma était avec nous ! À la préparation, je me disais souvent « ça ne marchera jamais », et puis tout d’un coup, ça marchait ! Évidemment, Dieu merci, nous avions de bonnes équipes, surtout nos coordinateurs de cascades qui avaient travaillé aux États-Unis ou en Asie. C’étaient des gens de qualité. Et puis, tout ça a fonctionné grâce à l’implication de Tomer Sisley, qui, lui, a l’habitude et n’a pas froid aux yeux. C’est vraiment quelqu’un qui plonge la tête devant ! James Franco, au début, a été un peu plus déstabilisé quand on lui a dit : « Tu vas vraiment te battre ! ». « Ah bon ? Il n’y a pas de ‘stunt double’ ? » « Non, y’en a pas ! » (rires)… Finalement, il y est allé et il a aimé aussi. Je pense que c’était important par rapport à d’énormes films américains d’avoir cette petite différence, qu’on voie que ce sont les vrais acteurs qui le font et pas des doublures.
C. : James Franco est la bonne surprise du film, selon moi. Son personnage est très cruel, épouvantable, mais quand on apprend son passé et les raisons de ses crimes, son humanité ressort. Pas forcément avec beaucoup de dialogues, mais il arrive à faire passer beaucoup de choses avec le regard.
O.M.-D. : Au début, c’était une crainte, parce que quand on m’a dit que James Franco veut faire le film, j’ai craint le pire ! J’étais encore traumatisé de la veille ! Mais en fait, j’ai rencontré quelqu’un d’extrêmement intelligent, d’ouvert. Parce que James, ce n’est pas qu’un acteur, il fait plein de choses à la fois : c’est un réalisateur, c’est un mec qui fait des lignes de vêtements, c’est un vrai artiste. Il a été séduit par le fait de se demander : qu’est-ce qu’un mec qui vient du cinéma d’auteur va faire avec ce genre de film ? C’est ça qui l’a intrigué et c’est sûr qu’il y avait une connexion entre nous, par le fait que c’est aussi un auteur. Ça m’a facilité la tâche et il était super, il s’est impliqué dès le début. Il a vraiment été tout sauf une star américaine… Au départ, son personnage était un peu monolithique, mais il a compris, quand je lui ai expliqué ma vision des choses, que lui aussi est une victime avant tout, qui, évidemment, s’est ensuite transformée en monstre. Mais à la base, tout monstre est une victime.
C. : Avez-vous des projets dont vous pouvez déjà discuter ?
O.M.-D. : Je travaille sur un film français sur la traque du Docteur Petiot, un des plus grands psycho killers au monde, des années 1943 à 1947. Une espèce de L.A. Confidential où tout le monde est un peu pourri. Benoît Magimel et Bastien Bouillon seront le duo principal. On sera du point de vue des flics, ce sera comme une espèce de Zodiac, de David Fincher, et ce sera très différent du film avec Michel Serrault (Docteur Petiot, 1990, de Christian De Chalonge – NDLR). J’aimerais vraiment aller vers une tonalité plus asiatique.