Monteur de formation, sorti des bancs de l'INSAS, réalisateur, écrivain et dramaturge, Philippe Blasband s'est lancé dans l'écriture de scénario et en a fait sa profession principale. Avec lui, nous sommes partis à la découverte de ce métier attirant et nous avons essayé de comprendre les qualités principales que doit développer un scénariste et les pièges qu'il doit éviter.
Philippe Blasband, scénariste
Cinergie : De monteur, tu es devenu scénariste...
Philippe Blasband : Le montage et l'écriture sont deux métiers qui se ressemblent, même si le scénariste invente, alors que le monteur utilise ce qui a déjà été fait. La grande différence, c'est que le premier vient avant le tournage et le second après.
Le scénariste, c'est un peu « Madame Soleil ». Par exemple, s’il écrit un gag, et que le réalisateur lui dit que ce n'est pas drôle du tout, il lui est impossible de prouver le contraire. Si un monteur dit que le gag est drôle, il peut le tester, prendre des gens pour voir s'ils rient ou pas. Le scénariste, lui, n'a que sa force de persuasion. Mais au-delà de ça, c'est vraiment le même métier, un métier où on construit une histoire. Le scénariste invente une histoire, il doit décrire les scènes, essayer de trouver le sens du film. Pour le monteur, c'est la même chose. Même si le scénario est extrêmement bien ficelé, il n'empêche qu'au montage, il faut tout recommencer. Tout a été fait a priori, et avec le montage, il faut le refaire a posteriori.
Cinergie : Existe-t-il des différences dans le travail d'écriture d'un scénario d'après une idée originale ou d'après une idée proposée par un réalisateur, ou même d'une adaptation d'un livre ?
Ph. B. : La plupart des scénaristes travaillent sur commande. Moi aussi je travaille souvent sur commande, mais je ne fais pas que ça. C'est très différent de travailler une idée que l'on a soi-même dès le départ, ou à partir d'un livre. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est très compliqué d'écrire un scénario inspiré d'un roman et surtout, et je ne sais pas pourquoi, d'une bande dessinée. J'ai vécu le cas récemment avec Sam Gabarski. Il a fait l'adaptation d'une bande dessinée de Jiro Taniguchi, Quartiers lointains. Nous avons dû travailler à deux dessus. Le film est très fidèle à l'esprit de la bande dessinée, mais ça a été un travail terrifiant pour arriver à passer d'un média à l'autre.
En fait, un roman est un matériau abstrait qui doit donner des impressions concrètes. Un roman, ce n'est pas de la poésie. Cela a beau être des mots, vous devez voir des lieux, des personnages, des sentiments.
Inversement, le cinéma est un matériau concret, du son et de l'image, qui doit donner des impressions abstraites.
Mais parfois, et c'était le cas pour la Femme de Gilles, en lisant le livre, je voyais le film qui criait presque derrière. L'adaptation a quasiment consisté à remonter le livre. On a quand même ajouté une scène, mais je crois que si quelqu'un l'avait soufflée à l'auteur à l'époque, elle l'aurait incluse !
C. Quelle est cette scène ajoutée ?
Ph. B. : C'est la scène où le personnage principal, Elisa, suit sa sœur pour vérifier qu'elle ne vit pas une histoire amoureuse avec quelqu'un d'autre que Gilles, son mari. Une démarche très masochiste. Cette idée vient du réalisateur, Frédéric Fonteyne.
C. : À quoi ressemble un scénario ? Pas à un roman, puisqu'il s'agit plutôt de décrire des scènes ?
Ph. B. : Un scénario ressemble beaucoup plus à un roman qu'on ne le croit. En fait, ça ressemble un peu à un livre de Dashiell Hammett ou de Raymond Carver, des écrivains extrêmement sobres, et un tout petit peu à l'écriture de Stevenson, lorsqu’il s’agit des détails quand il faut ralentir le rythme de l'histoire.
Un scénario doit donner au lecteur l'idée du film. Il faut qu'il visualise le film en le lisant, le guider sans trop détailler. Ça ressemble un peu à une pièce de théâtre avec les déplacements, et parfois d'autres indications, des descriptions ou des sentiments, sinon c'est incompréhensible. Par exemple, quand les personnages parlent de façon ironique, on est obligé de le dire sinon le lecteur peut le prendre au premier degré.
Le scénario est un outil pour faire le film, et avant tout, un outil de production. On ne le dit pas assez dans les écoles. Il est d'une importance capitale. Il doit être lisible, compréhensible par les producteurs, les comédiens, les comités de sélection, les techniciens, mais surtout par les bailleurs de fonds et les banquiers. Toutes ces différentes catégories de lecteurs doivent pouvoir lire le scénario, comprendre et voir le film qui est derrière.
Entre nous, écrire un scénario n'est pas la bonne façon de faire un film ! Mais la bonne façon coûterait monstrueusement chère. C'est celle de Charlie Chaplin : créer un film de façon organique. Avoir une idée de scène, la tourner, et ensuite seulement décider si elle est bonne ou non. Idéalement, il faudrait d'abord monter le film, puis le réaliser, puis l'écrire mais ... il y a quelques petits problèmes pratiques qui empêchent ça !
Réaliser, jouer, ou écrire un scénario, c'est donner de la matière au monteur, c'est quasiment tout ce que vous faites. Vous dansez avec le monteur sauf qu'il n'est pas là. Vous dansez avec quelqu'un qui arrivera plus tard, et c'est très étrange.
Au théâtre, après une semaine ou deux de répétition, on fait ce qu'on appelle un filage, on joue l'entièreté de la pièce, et à partir de ce filage, on corrige les faiblesses. Tandis qu'au cinéma, on joue, on joue, on joue, et le filage se fait quand on ne peut plus jouer !
C: C'est la grande différence entre le théâtre et le cinéma ?
Ph. B. : Oui, mais aussi le fait que les metteurs en scène de théâtre ont plus facilement tendance à analyser les situations, tandis que dans le cinéma, les gens n'analysent pas, ils vous donnent des solutions. « Coco, tu prends cette scène-là, tu la mets là, et tu fais ça etc... », et vous devez essayer de deviner quel était le problème de départ.
Frédéric Fonteyne, par exemple, depuis qu'il donne cours, est devenu plus analytique. Mais je me souviens qu'à nos débuts, Frédéric et moi, nous avions une relation tellement proche que je ne me rendais pas compte qu'il ne parlait quasiment pas. Je le devinais à demi-mot. Frédéric avait trois réponses, mais pour moi c'était d'une clarté absolue, c'était «hum hum » quand il n'était pas tout à fait convaincu, « ouais», quand il l'était un peu plus et « oui, oui » quand il l'était tout à fait. Et avec ça moi, j'arrivais à écrire un scénario !
C. : Comment vois-tu l'évolution du scénario. As-tu l'impression qu'il a plus d'importance qu'auparavant ?
Ph. B. : Le scénario a pris de plus en plus de place. Dans French connection de William Friedkin, il y a une scène où le scénario indique : «poursuite en voiture». Dans un film de James Cameron, vous avez toute la poursuite en voiture détaillée comme dans un roman : vous lisez ça comme du Harry Potter. Cette façon d'écrire le scénario influence la façon dont les poursuites en voiture sont faites. La scène de French connection est beaucoup plus organique, beaucoup plus juste que celle d'un film d'action actuel.
Pour en revenir à Frédéric Fonteyne, avec qui j'ai énormément travaillé, sur son premier film, Max & Bobo, il collait au maximum au scénario, mais sur La Femme de Gilles, c'était fini. C'est aussi un processus tout à fait habituel. Un réalisateur, quand il commence, il fait plan par plan, il ne veut pas savoir ce que l'on va tourner le lendemain, il veut juste finir le plan sur lequel il est. Et c'est tout à fait normal. C'est un métier qui demande de l'expérience !
Les réalisateurs doivent pouvoir réécrire sur le tournage, enlever des phrases, corriger etc. A priori, le scénariste n'est pas présent sur le plateau, il ne voit pas les comédiens jouer, il ne sait pas si telle scène sans dialogue marche ou pas, il ne sait pas quelles nuances le comédien va réellement jouer. Ou tout simplement, les problèmes de météo ! Si une scène a été écrite sous la pluie, et qu'il ne pleut pas, que faire ? La tourner telle quelle, ou faire de la fausse pluie ? C'est au réalisateur de décider, de réécrire l'histoire. Au montage aussi, on réécrit l'histoire, et c'est vrai pour tous les métiers. La costumière aussi raconte l'histoire à sa façon, elle va parler avec les comédiens de leur personnage et va peut-être les nourrir, sans le vouloir, sans essayer de les diriger. Les gens qui s'occupent du budget racontent aussi l'histoire. S'ils choisissent de mettre de l'argent sur un poste plutôt qu'un autre, cela a un impact artistique réel très important.
C. : Est-ce que tu vas sur les repérages, ou as-tu besoin de connaître le casting pour finaliser ton scénario ?
Ph. B. : Non, cela me déstabilise plus qu'autre chose. Par exemple, et je peux vous le raconter car il m'a démontré qu'il avait entièrement raison, quand Frédéric Fonteyne m'a annoncé qu'il avait choisi Nathalie Baye et Sergi Lopez pour Une liaison pornographique,je n'ai pas bronché, mais je trouvais que c'était une très mauvaise idée. Comme pour les décors, je les imaginais dans les noirs et blancs mais lui, au contraire, il a préféré les tons rouges. Et il a eu tout à fait raison !
Ce qui importe, dans le cinéma, c'est d'avoir toujours un regard neuf. Une même personne ne doit pas écrire le scénario, tourner le film, puis le monter. À chaque étape, on a besoin de recul ou d'un partenaire avec lequel on peut débattre et discuter.
C. : Quand tu repenses à tes débuts dans ta carrière de scénariste, quelles sont les erreurs que tu ne ferais plus ?
Ph. B. : Je ne crois pas que l'on devienne un meilleur scénariste. Ce que j'écrivais au début était très bien. C'est décevant d'ailleurs, je relis des scénarios qui ont été tournés ou pas, je revois des films que j'ai écrits, et j'estime que je ne me suis pas amélioré dans mon écriture ! Par contre, j'avais beaucoup plus d 'insouciance, je fonctionnais beaucoup plus intuitivement, et j'ai perdu ça !
J'ai aussi acquis parfois des tics contre lesquels je dois me battre. Par contre, mon expérience me permet de trouver des moyens pour contourner ou résoudre les problèmes. Actuellement, je travaille avec une jeune scénariste sur un projet de Frédéric Fonteyne, et cela me remet pas mal en question. Elle est pleine d'insouciance, elle a un autre univers. Moi, j'ai tendance à simplifier énormément, à faire des histoires avec une ligne limpide. Elle, elle rajoute un maximum, et c'est intéressant pour moi de me confronter à cette situation. L'expérience permet de mieux gérer les problèmes, mais vous fait perdre quelque chose. Je crois que c'est dans tout ce qui est artistique. J'ai eu des moments où j'étais complètement usé, vidé, et ce qu'il faut essayer de faire, c'est dépasser ça et trouver une autre inspiration. C'est plus facile pour un scénariste que pour un romancier. Il y a des romanciers qui ne se remettent plus de leur usure, ils sont finis. Ce qui est génial quand on est scénariste, c'est qu'on travaille avec d'autres personnes, des personnes qui suscitent des idées, un nouvel univers et vous renouvellent.
C. : Quelles qualités doit-on posséder pour devenir scénariste ?
Ph. B. : Avant tout, connaître tous les postes de la réalisation. On ne peut pas écrire un scénario si on ne se rend pas compte du tournage : la caméra utilisée, l'éclairage, les comédiens, la production. Il faut avoir une connaissance, même superficielle de tous les métiers du cinéma. Deuxièmement, il faut savoir écrire, et il faut aimer écrire. Et une troisième chose, c'est qu'il faut tenir très longtemps, il faut pouvoir lire un scénario une centaine de fois, et à chaque fois, trouver le moyen pour arriver à créer l'ambiance du film. Il y a beaucoup de gens qui écrivent un ou deux scénarios, et qui s'arrêtent parce que ce qu'on leur demande et la pression avec laquelle on leur demande est insupportable. Moi, je n'avais pas le choix. Je ne vivais que de ça, je n'avais pas d’autres solutions.
C. : Que veut dire réécrire un scénario ?
Ph. B. : Parfois vous devez changer, recommencer depuis le départ, parce que le point de vue n'est pas bon. On se rend compte parfois que ce n'est pas ce personnage-là qu'on devrait suivre, mais un autre... Parfois, vous devez réécrire des scènes, souvent vous devez corriger les dialogues, affiner tout le temps les dialogues... en tout cas moi c'est comme ça que je fonctionne.
Un scénario est beaucoup plus musical qu'un roman. Il faut trouver le bon rythme, l'équilibre. Vous arrêtez la lecture d'un roman quand vous voulez, vous pouvez le lire à votre rythme, tandis qu'un film, quand il commence, il se déroule jusqu'au bout.
C. : Peut-on vivre de l'écriture de scénario ?
Moi j'en vis. Mais j'en écris beaucoup, et plusieurs à la fois. Un scénario, ça se paye entre un peu moins de dix mille euros jusqu'à trente, quarante, cinquante mille euros. Tout dépend de votre notoriété, de ce que vous avez déjà fait et aussi du type de production. Un film pas cher, ce sera moins etc. Un scénario n'est payé que s'il est réalisé, que s'il est terminé. La seule chose qui n'entre pas en ligne de compte, c'est le temps de travail. Entre le début de l'écriture et la réalisation, plusieurs mois, voire des années peuvent s'écouler. Si vous comptez au mois, ça ne fait plus beaucoup. Ma solution, qui est très personnelle, c'est d'écrire plusieurs scénarios à la fois, mais j'ai des problèmes quasiment neurologiques qui me permettent de faire ça. Ce n'est pas le cas de tous les scénaristes. Il est possible d'en vivre. Ce n'est pas évident, mais c'est possible. Mais j'imagine que ça doit être le cas pour beaucoup de métiers du cinéma.