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Pure Fiction de Marian Handwerker

Publié le 01/11/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Money Jungle

Le cinéma belge (hormis La Promesse, le film passionnant de Luc et Jean-Pierre Dardenne) n'a pas l'habitude d'aborder les problèmes sociaux à la manière d'un Ken Loach ou d'un Mike Leigh en Grande-Bretagne (bien que nous ayons des régions sinistrées qui valent bien Manchester ou Glasgow). En réduisant les programmes d'éducation, de santé et d'intégration sociale, en luttant contre "l'étatisme", le monétarisme ne fait pas qu'accroître la richesse des nations (pour paraphraser Adam Smith) il fabrique toute une population de sans-emploi. La persistance d'un chômage de masse crée des poches de pauvreté, poudrières sociales dans lesquelles vit une population de laissés pour compte de la compétition, de marginaux économiques ne survivant pour beaucoup que grâce au travail au noir ou à des petits trafics en tout genre, voire pour quelques-uns d'activité criminelle de nature maffieuse (vol de voitures, drogue, prostitution).

Pure Fiction de Marian Handwerker

Pure Fiction, le nouveau film de Marian Handwerker, nous montre comment certains individus fonctionnent dans ce "doublon" de la société légale, adoptant les mêmes buts qu'elle - l'argent comme valeur absolue- mais pas les mêmes moyens pour y parvenir.

Dans la région du centre, Cécile (Anne Coesens), une jeune femme, reconnaît, au hasard d'une rencontre dans un café, la voix de l'homme qui l'a violée il y a cinq ans. Devant la passivité de la police, elle enquête elle-même et découvre les activités criminelles de Johnny (Michel Kartchevsky) qui, secondé par Eddy (Patrick Goossens), un camé, construit des cellules pour enfants dans sa cave. Un jour, à la demande de Monsieur Paul, leur pourvoyeur de drogue, les deux hommes enlèvent des petites filles.

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Partir de l'affaire Dutroux pour réaliser un film sans verser dans le spectaculaire, le scoop cher à l'actualité télévisée, tel est le défi que s'est donné Marian Handwerker dans Pure Fiction. Garder un point de vue moral, une éthique, "le travelling est une affaire de morale" écrivait Godard à propos de Rossellini qui est depuis toujours l'une des sources d'inspiration d'Handwerker réalisateur, on s'en souvient, de Pois, pois (1971).

 

Trouver le ton juste, éviter le paradoxe du cinéma américain d'action qui croit exorciser la violence en la rendant spectaculaire et ne fait que la rendre fascinante, la déréalise au point de la rendre séduisante. Dans Pure Fiction, le réalisateur a choisi de laisser les scènes les plus violentes hors champ. Elles n'en sont que plus fortes. On se souvient du célèbre texte de Jacques Rivette écrit après la vision de Kapo, le film de Gilles Pontecorvo sur les camps de concentration : "Voyez cependant, dans Kapo, le plan ou Riva se suicide, en se jetant sur les barbelés électrifiés : l'homme qui décide, à ce moment, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d'inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n'a droit qu'au plus profond mépris." (Les Cahiers du Cinéma, vol 11, Juin 1961)

So What

Pure Fiction n'est pas un beau film, c'est un film juste. Un film violent qui évite d'en montrer le spectacle, ne l'élude pas mais en montre les effets plutôt que la chorégraphie (ah ! les ralentis des corps qui se cabrent sous l'impact des coups ou des balles chers au cinéma hollywoodien qui tient à ce que le spectateur en ait pour son argent !). Pure Fiction est un film qui tape d'autant plus fort qu'il n'y a pas de personnage auquel le spectateur puisse s'identifier (sinon à Cécile, Ariane lumineuse, tuée sauvagement à coups de pierre), pas un personnage qui ayant une trajectoire rédemptrice permettrait au spectateur d'effectuer sa propre catharsis.

Pourquoi si peu d'espoir ? Parce que l'affaire elle-même reste d'une opacité exemplaire, mimant jusqu'à la caricature toutes les contradictions de la société belge (il semble bien que la Belgique soit le seul pays européen à avoir réussi à éviter les réseaux de pédophiles! Grâce au fameux compromis à la belge ?).


Pure Fiction est un film sombre, désespéré mais pas désespérant qui exprime la révolte d'un homme, d'un citoyen, (que d'autres ont rejoint en participant à l'aventure du scénario, du tournage et de la post-production), un film militant même. Le point de vue de Pure Fiction est clairement affirmé dès le début : montrer comment, dans une société moderne, mondialisée, qui célèbre le cinquantenaire de la déclaration universelle des Droits de l'homme - et c'est tant mieux - le trafic des êtres humains existe et n'est pas près de s'arrêter, que l'esclavage n'a pas disparu, hélas! (1)

 

(1) Outre le cas bien connu de jeunes filles africaines ou originaires de l'Europe de l'Est, vendues à des réseaux de prostitution à l'Ouest, Libération dénonçait récemment (26 octobre 1998) le trafic de jeunes footballeurs africains abandonnés sans papiers en Belgique par des réseaux mafieux, lorsqu'aucun club ne les achète.

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