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Pure Fiction (ex-Behemoth) de Marian Handwerker

Publié le 01/04/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Trente-cinq ans après la Cage aux ours, son premier long métrage, Marian Handwerker nous revient avec un film engagé. Behemoth (titre provisoire) est un film qui traite du jeu pervers de la violence dans notre société où si certains souffrent d'un estompement de la norme, d'autres souffrent d'un aveuglement des normes.

Pure Fiction (ex-Behemoth) de Marian Handwerker

Christel et Patrick

Christel (Isabelle Puissant) entre dans la chambre. Vautré sur le lit en désordre, inerte, Eddie (Patrick Goossens) vient de s'injecter une dose. Elle fouille la veste de son mec, n'y trouve rien et grimpe sur le lit pour lui faire les poches. Il sort de sa torpeur, se redresse, les yeux vagues : " Qu'est-ce que tu cherches ? Y'a rien à trouver ! Ni drogue, ni pognon ! " Il lui serre le bras : " Tu me fais mal ! Lâche-moi, merde ! ... " Il retombe dans les vapes. Christel transpirant, la gorge serrée, travaillée par le manque, implore : " Non, s'il-te-plaît, Eddie, J'en ai besoin ! Tu gardes toujours tout pour toi ! ... " Il lève la tête, comateux, et dit : " J'ai rien ! " La panique gagne la fille : " J'en ai marre de toi, tu entends...Je pourrais crever, t'en aurais rien à foutre... " Eddy d'une voix pâteuse, toujours dans les vapes : " J'ai rien, je t'ai dit ! ". Le visage luisant de transpiration, impuissante, elle vocifère : " Salaud ! Salaud ! " Lui, hébété, dans un effort de lucidité : " De toute façon je ne veux pas que tu te cames. Les femmes qui se droguent, c'est laid. J'ai jamais vu ma soeur ou ma mère se droguer ! " Christel pète les plombs, pliée en deux, elle gesticule et les yeux brillants, hurle : " Tu t'es déjà regardé ? Je sais pas ce que je fais avec toi Eddie, tu ne me sers à rien, t'es même pas capable de me baiser. " Pleine de rage, le rouant de coups, dans une crise d'hystérie : " La came c'est juste pour pas me toucher ! Je sais pas ce que tu es Eddie, mais t'es pas un homme ! " Elle sanglote. Il se relève péniblement et la prend dans ses bras pour la calmer. - "Coupez ", crie Marian Handwerker - sur le plateau de Behemoth, le long métrage qu'il vient de terminer. "On reprend tout de suite ! Silence ! "

Behemoth (titre provisoire),  est un film réalisé dans l'urgence et sans beaucoup de moyens financiers. Il raconte les dérives de Johnny et Eddie, deux délinquants issus d'une région économiquement sinistrée qui vivent de vols, de la vente de drogue et qui, à l'occasion, violent de jeunes femmes. Leur rencontre avec Monsieur Paul, un organisateur de partouzes qui leur propose de l'argent en échange de jeunes filles, les lance dans une équipée sauvage qui ressemble à un voyage au bout de l'enfer.

Commentaire d'Handwerker

" Au début, je voulais faire jouer la scène telle qu'elle est écrite dans le scénario, confie Marian Handwerker, Christel est dans le pieu et Eddie arrive. On a fait une mécanique et puis, en attendant que Pierre règle l'éclairage, j'ai réfléchi et me suis dit : ça ne va pas, c'est faux, mais je ne savais pas pourquoi. En discutant avec Patrick et Isabelle on a décidé d'inverser, Eddy est dans la chambre et c'est Christel qui arrive ce qui d'ailleurs est plus logique. Et c'est devenu plus réaliste, plus vrai. J'avais dit à Pierre : " la seule chose que tu peux faire, c'est mettre un rail de deux mètres si tu veux qu'on approche. " Mais on a abandonné l'idée, la caméra panote et on observe. On essaie de ne pas trop se rapprocher parce que ça ne sert à rien. Il vaut mieux regarder, éviter d'être trop dedans, il ne faut pas solliciter trop fortement la dimension dramatique puisque la scène est déjà assez forte comme ça.
Le réalisme et la vérité de la scène se révèlent dans sa durée qui est d'une minute trente environ, en plan-séquence. Le but que je me suis assigné pour ce film c'est qu'il soit le plus réaliste, le plus juste possible avec ses comédiens et dans ses décors. On n'a pas recréé les décors, on a été chercher chez les gens, pour trouver les décors les plus vrais possibles. D'ailleurs, tu te souviens, ici, la dame nous a dit : " vous faites un film sur ma vie ! " Dans presque tous les décors où l'on a été on tournait sans le savoir des choses que les gens ont vécues."

Le viol

Après avoir cassé une vitre, Johnny (Michel Kartchevsky) et Eddie, le visage masqué de bas nylon, s'introduisent dans une maison à l'écart, interceptent une blonde d'une cinquantaine d'années (Catherine Dery). Ils lui masquent les yeux, lui bâillonnent la bouche à l'aide d'un sparadrap, l'entraînent dans sa chambre, la jettent sur son lit. "Où est ton pognon ? ", crie Johnny qui la menace avec son revolver. La victime se débat, le corps secoué de convulsions, les bras tordus dans le dos. " Là, dans mon sac ", dit-elle paniquée. Johnny resserre la prise tandis qu'Eddy, le dos trempé de sueur, lui ligote les poignets à l'aide d'un fil électrique. Elle pousse de petits gémissements de douleur. Sans s'en soucier, ils la retournent comme un mannequin et l'assoient terrifiée sur le bord du lit.
Eddie fouille les tiroirs, ne trouve rien, s'empare du sac de la dame dans lequel il trouve quelques billets de cent francs. " Qu'est-ce que c'est que ça ? Ou est le fric, le vrai ? ". Eddie la secoue violemment. " Tu te fous de qui, dis ? T'as envie de crever ou quoi ? ! " Le visage congestionné, au bord des larmes, le canon du revolver de Johnny furax brandi sous le nez, elle murmure dans un souffle, l'esprit en déroute : "J'ai pas d'argent ici...il est à la banque " Surexcité, Eddie lui jette les billets au visage, la gifle et, tandis que Johnny s'éloigne, la bourre de coups de poing. La scène se tourne caméra à l'épaule, sous différents angles, en plan large puis en plan serré. " C'est une séquence où trois personnes sont au corps à corps, m'explique le réalisateur, où il y a beaucoup de violence dans les gestes mais elle est découpée et ça se justifie d'autant plus que je voulais terminer la séquence près du visage de Catherine qu'on étouffe. On ne pouvait pas tout régler en un plan-séquence. A cause de l'exiguïté du lieu, le corps à corps violent, la scène demandait à être découpée. Dès que j'ai l'occasion d'opérer en plan-séquence, je le fais parce que celui-ci détient beaucoup de vérité et qu'on a toute l'action en un plan. "

Le réalisateur et les acteurs

" Quelques idées fortes m'ont guidé pour réaliser ce film mais surtout beaucoup d'improvisations, selon ce que je ressentais sur place, selon ce qu'il était possible de faire mais surtout selon ce qui ressortait avec force des répétitions. C'est la première fois que je fais un film en me basant sur le travail effectué sur le plateau parce que c'est un film fondé sur des corps à corps, sur la violence, le mouvement. Il y a une vérité sur le plateau, pendant les répétitions et c'est là qu'il faut puiser. Le découpage est un garde-fou. On peut planifier le tournage mais il faut éviter de s'y conformer si on voit sur place qu'on peut faire mieux.
Le travail avec les comédiens est délicat au cinéma. Ils doivent donner l'impression quand ils jouent qu'ils sont en train d'inventer leurs paroles au moment où ils les disent. Au théâtre on t'apprend à penser ton rôle, à le construire intellectuellement et émotionnellement. Au cinéma, il faut rappeler ce que John Ford disait à ses acteurs : " la seule chose à laquelle tu dois penser c'est que tu vas manger dans une demi-heure ". On est dans une apparente contradiction : il ne faut pas trop jouer afin de laisser du travail au spectateur mais en même temps il faut que ce soit réaliste. Les personnages ne sont pas des épures, on n'est pas dans un cinéma de style comme chez Bresson, l'acteur doit créer des effets de réalité, il faut qu'il s'incarne, qu'il soit vivant !
La direction d'acteur c'est de la ruse. Si je voulais que le film soit vrai il ne fallait pas qu'ils soient trop conscients. Surtout pas ! Presque chaque fois - pas toujours - j'ai eu la chance d'avoir des acteurs fatigués. J'avais un acteur de théâtre jouant un policier qui répétait la journée et jouait la nuit. Le shot sur lui était en fin de journée, il avait l'impression de ne plus très bien savoir ce qu'il jouait, il me disait : " Excuse-moi, Marian, je suis crevé, je ne sais plus ce que je fais, je ne sais plus ce que je dis. " Je lui ai répondu : " Ca ne fait rien, t'en fais pas, on va arranger ça au montage ! " mais je pensais : " Excellent ! excellent ! "

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