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Quai Branly

Publié le 12/09/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

L'Education n'est pas que sentimentale

André Delvaux était un grand pédagogue. Frédéric Sojcher, qui l'a connu, a retenu l'idée de demander à ses étudiants du master de l'université Paris 1 de réaliser un petit film documentaire pour comprendre la création à travers une pratique du cinéma (du scénario au montage, en passant par la réalisation). Il est vrai que la plupart des écoles de cinéma le font depuis longtemps en Belgique et en France, la Fémis, bien entendu, mais ce n’est pas encore le cas dans le système universitaire. Or, chacun sait que l'entrée à l'INSAS ou à la Fémis est de plus en plus difficile à un moment où le monde des images explose via Internet, notamment. Certaines universités essaient, en Europe, de prendre le relais. L'intérêt dans le Master de l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne est d'avoir une maison de production, Les Films d'ici, qui accompagne les étudiants à toutes les étapes de leurs projets autour d'une thématique centrée sur des institutions culturelles (comme les musées), avec une coopération des opérateurs d'Internet et, bientôt, d'autres universités. On demande aux étudiantsdes films singuliers et personnels en partant de l'idée que la création part d'une contrainte et qu'il faut sans cesse reconquérir et réinventer le cinéma. L'acte de filmer consiste à se servir d'un moyen d'expression, un fait de civilisation (ses mythes, ses rites, ses traces, sa magie). En somme, l'éducation n'est pas que sentimentale.

Quai Branly

Chaque année, une thématique liée à un lieu est proposée aux étudiants du Master. En 2011, les films étaient consacrés au Musée du Louvre : nous avons diffusé trois d'entre eux sur notre site. Cette année, en 2012, ils étaient consacrés au Musée des Arts et Civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques du Quai Branly. Nous avons été surpris par la qualité de ces courts-métrages qui sont aboutis, tant au niveau du sujet traité que de la mise en scène. Ce ne sont pas des reportages sur un endroit qui diffuse la culture, c'est du cinéma. Ce musée offre 3.500 objets sélectionnés et en possède, dans ses réserves, près de 300.000.

Miedisos, le film de Laure Bourdon, propose un regard (le sien) sur des regards (ceux des masques). Depuis l'enfance, les masques africains la fascinent et lui font peur. Les morts interrogent les vivants à travers des masques : sont-ils vraiment morts et ne sommes-nous que leurs ombres ? Elle nous montre différentes possibilités dès le générique avec des anthropologues, ses parents et elle-même, petite fille subjuguée et apeurée. La mise en scène de la réalisatrice s'organise autour de ce paradoxe des ombres et de la lumière. Une petite fille apeurée en mouvement, en net et flou, la vie active s'organisant autour de souvenirs fragmentés du conscient à l'inconscient, du rêve à la réalité. Au niveau chromatique, plutôt que d'utiliser le noir et le blanc, Laure Bourdon utilise le cercle chromatique de la couleur : soit des plans en bleu ou en vert, soit les trois couleurs notamment pour tous les masques. Ceux-ci sont montrés de face et nous regardent autant qu'on les regarde.

Marie-Stéphanie Imbert, dans Nature morte, s'interroge sur les statues funéraires d'Océanie qui sont structurées à partir des parties des os d'un corps. On veut que les morts ressemblent aux vivants, soient leur double, pour rester dans la mémoire commune. Effigies de morts-vivants ? Comme on est jamais aussi bien servi que par soi-même, la réalisatrice n'hésite pas à fabriquer son propre masque mortuaire (moulage du crâne, cheveux) et, ensuite, à l'exposer à sa famille qui dialogue avec elle prudemment.

Vitrine 33 de Nathalie Villeneuve observe la relique humaine de la Venus Hottentote. Pourquoi est-elle exposée ? La cinéaste part chez sa grand-mère, qui a connu Aimé Césaire, et lui pose la question de l'esclavage (aboli, en France, le 28 avril 1948). Un député martiniquais lui parle d’Aimé Césaire arrivé en France métropolitaine en 1931, et qui va créer, avec Léopold Sédar Senghor, le journal L'étudiant noir, ainsi que des débats sur le racisme à l'Assemblée nationale.

Enfin, Axel Würnster est attiré, au Musée du Quai Branly, par une affiche de la marque Bamboula, un biscuit aujurd’hui disparu et qui a été sujet à de nombreuses polémiques. Il décide de réaliser un petit film sur la stratégie marketing de la marque de biscuits (le noir chocolaté et le biscuit blanc). Il interroge celui qui a composé la chanson pour Saint-Michel, l'entrepreneur ayant fabriqué le produit. Un anthropologue suisse signale que c'est le recyclage du sauvage en bon sauvage.

Michel Ocelot, le réalisateur de Kirikou qui en a fait l'image, explique que ce n'était pas si négatif qu'on le croit aujourd'hui. On en reste baba (et pas au rhum) sur ce passage de l'époque coloniale à celle postcoloniale d'aujourd'hui.

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