Quand la mer monte de Yolande Moreau et Gilles Porte
Couvert de critiques élogieuses, d'une avalanche de prix (entre autres, le prix Louis Delluc 2004 et deux Césars), de bouches à oreilles chaleureux, voilà enfin le film de Yolande Moreau et de Gilles Porte en DVD. On est content de pouvoir voir et revoir ce road movie romantique, ce bout de poésie légère, de réalisme tendre, et de pleurer enfin tout son saoul à la fin (les histoires d'amour finissent toujours…).
Mais, disons-le, on regrette sauvagement dans cette édition un désert de bonus… Dieu, rien ! Rien du tout !!!On soupçonne bien pourtant, dans ces séquences presque documentaires qui suivent les personnages dans leurs errances et qui surprennent d’infimes moments de vies, une caméra sur le qui-vive, un peu en retrait, tournant autour de ses deux comédiens magnifiques… On aurait aimé que les réalisateurs nous expliquent que le spectacle qu'interprète Irène (qu'interprète Yolande Moreau etc.) est filmé pendant qu'il se joue vraiment pour plus de fluidité et de réalisme sans doute; que ces lieux de l'entre-deux, entre Belgique et France, où le personnage d'Irène poursuit sa tournée, ils les ont explorés pas à pas ; que la lumière de la Flandre est "unique" pour Gilles Porte qui cadre le film et qu'elle n'a jamais été modifié par un quelconque filtre sacrilège…
Tous ces seconds rôles, chers au cinéma belge (un maraîcher gueulard sauce Bouli Lanners, un flic soupçonneux un peu lent du képi en Olivier Gourmet, Philippe Duquesne en patron de bar acariâtre deschiens, Jacky Berroyer, journaliste maladroit qui ne se dépatouille pas du silence de la comédienne Irène mais qui fait les questions-réponses et obtient vite sa matière - et si le film est tendre avec tous ses personnages, on soupçonne tout de même un brin de moquerie à l'encontre de notre confrérie … - Bergson, le rire, les larmes, demande un autre journaliste et Irène ne dit rien), on se prend aussi à rêver à tout ce qu’ils auraient à livrer sur ce film simple et mélancolique, qui raconte autrement leur métier de comédien, en montre le modeste artisanat, la tâche toujours renouvelée de faire rire, entre casino et maison de retraite, hôtel miteux et papier peint bucolique, errance solitaire et rencontres impromptues.
Et puis, sans doute, il y a le plaisir de jouer, la magie de la scène, le bonheur du spectacle… Dans cette "Sale affaire", histoire tragi-comique d'une femme qui vient de tuer son amant, et qui cherche un nouveau "Poussin" à aimer, un "Poussin" bien réel monte sur la scène. Et toujours, les spectateurs jouent à y croire, s’émeuvent, lancent leurs chaussures. Peu à peu, rythmant le film, ce spectacle se dévoile et fiction et réalité nouent leurs fils. Une autre magie prend forme, parenthèse enchantée. Entre cette « Sale affaire » et cette « belle histoire » avec un chevalier servant à mobylette, Dries le porteur de géant, tout se mêle. Il y a, dans cette mer qui monte, le désir et la mélancolie d'une femme plus tout à fait jeune qu'un homme regarde. Qui la suit, qui l'attend et qui s’offre, toute énergie dehors, innocent. Elle le regarde la regarder. On les regarde se regarder, et se métamorphoser d’être découvert. Au fur et à mesure qu'ils se désirent, innocents comme deux enfants qui recommencent à croire au conte de fée, le réel se troue de magie, arbres penchés quand l'amour est en balance, nuit olympienne quand le désir affleure… Mais, sans doute, les parenthèses existent parce qu’elles se ferment...
Quand la mer monte est de l’enfance à marée haute sur les plages de nos petites misères quotidiennes, une entreprise modeste de réenchantement du monde, si tant est qu’il ait été, pour Yolande Moreau et Gilles Porte, un jour, désenchanté. Et puis cette coproduction entre la Belgique (Catherine Burniaux) et la France est l'une des dernières productions d’Humbert Balsan. Douce amertume. Illuminer le réel coûte parfois la vie d’un homme.