Cinergie.be

Entrevue avec Yolande Moreau

Publié le 01/01/2005 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Entrevue

Difficile d'imaginer cadre plus contrasté pour parler de Quand la mer monte… avec son auteur-interprète, Yolande Moreau, que le salon chic et feutré d'un grand hôtel bruxellois. En effet, dans son premier film derrière la caméra (co-réalisé avec le Français Gilles Porte), c'est l'ambiance conviviale et populaire du Nord de la France et de sa voisine la Flandre que notre compatriote exalte. Cinergie s'était déjà emballé pour ce film avant même qu'il ne soit fini, et nous avions raison. Quand la mer monte… est une franche réussite, un film de grands sentiments pudiques, triste et drôle que la France a déjà salué de 200 000 entrées et (le lendemain de notre entretien) du prestigieux prix Louis Delluc du premier film!

Yolande Moreau

 

 

D'emblée Yolande Moreau prévient "Irène est un personnage qui, de toute évidence, est très proche de moi". De toute évidence, en effet, car c'est ce même air songeur et ce même amusement enfantin et timide que l'on retrouve en elle. "Le film est en partie autobiographique puisque le personnage interprète un spectacle que j'ai moi-même joué (le one-woman-show "Une sale affaire", NDLR) et que je connais bien l'univers des tournées. Je m'en suis inspiré avec Gilles, avec tout de même un point de vue subjectif. Mais pour le film, j'ai rejoué le spectacle comme avant. En fait, on navigue sans arrêt dans le film entre le vrai et le faux. C'est proche, mais c'est bien une fiction, écrite". Une fiction qui repose sur la crédibilité et le potentiel de sympathie du couple qu'elle forme à l'écran avec le comédien Wim Willaert, alias Dries. "Je suis Bruxelloise et, comme beaucoup de Bruxellois, je suis moitié flamande, moitié francophone.  Je voulais donc un Flamand, surtout qu'on tournait du côté des Flandres. On voulait ce personnage qui traverse la frontière et les fautes de français faites par les Flamands que je trouve assez poétique. J'ai cherché Dries, pendant un mois en allant voir plein de pièces de théâtre et de films flamands. J'ai vu plusieurs comédiens, mais dès que j'ai rencontré Wim ça a été le coup de foudre, sans faire d'essais, j'ai su que c'était lui."

 

Ce mélange de deux jeux et de deux langues est renforcé dans le film par le trajet pris par Irène/Yolande Moreau dans sa tournée, itinéraire qui fait exister une zone de paysages, de caractères et de salles de spectacle qui se moquent de la frontière entre le Nord de la France et la Belgique. "C'est aussi ce que raconte le film, prendre un chemin de traverse, se jouer des règles. C'est très curieux de franchir cette frontière. Ce sont presque les mêmes paysages, mais pas tout à fait. Les châssis de fenêtres sont différents. Il y a quelque chose de semblable et de très différent. Je trouve ça fascinant."

 

Yolande Moreau

 

Le film peut alors faire vivre à l'écran le folklore de ces régions. "Dries et Irène ont en commun un côté fantasque. Elle s'exprime par le théâtre (…) et lui porte un géant, c'est l'art qui descend dans la rue, et une manière très symbolique de porter ses rêves sur ses épaules. D'ailleurs, elle ne s'intéresse vraiment à lui que quand elle découvre le hangar du géant, avant cela il n'y a pas de coup de foudre. A la fin du film, on a cherché un décor avec des buildings plus grands que les géants, comme si les rêves des humains étaient trop petits." Mais si la performance du couple à l'écran est remarquée (couronnée d'ailleurs d'un double prix d'interprétation au dernier festival de Namur), la réussite du film tient aussi au duo hors-caméra que forment Gilles Porte (directeur photo ayant déjà réalisé quelques courts) et Yolande Moreau.C'est après avoir vu "Sale Affaire" sur scène, que Porte est venu proposer à Moreau un synopsis de… polar! Bien des années et du travail plus tard, le film voit le jour, co-écrit et co-réalisé par le duo. "Gilles a une énergie colossale, et une grande connaissance de la technique.

 

Moi, j'ai plutôt une expérience d'écriture, je peux aussi amener un univers. On a travaillé énormément en amont, ensemble. On a fait les repérages nous-mêmes et sur les décors j'avais des idées de scènes, et lui pensait déjà à comment il allait les cadrer. C'est vraiment un travail d'artisanat qui s'est fait en concertation, à deux. Et au moment du tournage, moi je me suis concentrée sur mon travail de comédienne, lui s'occupait de la caméra." Tout était déjà prêt. "Parfois on se disait que c'était comme si on se passait de réalisateur. Et puis on s'est retrouvé au montage, avec Eric Renaud, à trois."Le résultat a déjà conquis les Français, même sur un nombre restreint de copies. Ils ont pu y retrouver un univers qui avait déjà fait le succès de Yolande Moreau au sein de la troupe des Deschiens, il y a quelques années. Une image qui lui colle encore à la peau. "Que certains réalisateurs aient pu dire : Non pas Yolande ça fait trop Deschiens, sans doute. Mais ça ne m'a pas empêché de travailler et ça ne m'a jamais bloqué personnellement. Je ne le vois pas comme un poids, cette aventure a été jolie et c'est un univers qui me reste très proche, il y a même dans le film quelques petits hommages à Jérôme et à Macha."Mais dans Quand la mer monte…, le ton est très éloigné de la satyre acide de Jérôme Deschamps et Macha Makeieff. C'est ici clairement d'une tendresse presque tribale dont il s'agit. "Avec les Deschiens, on montrait une certaine violence de la vie, et dans des séquences courtes. Pour un film, je n'ai pas voulu ça et je suis assez attachée à tous les personnages". Et pour Yolande, le plaisir procuré par une œuvre sienne de bout en bout est sans comparaison. "Ce dont je suis le plus fière, c'est la création, d'avoir pu faire le film qu'on avait envie de faire et c'est cela qui me plaît plus que la réalisation ou le jeu. C'est notre bébé, notre création".

 

 

Une création lente et éprouvante qui laisse l'auteure-réalisatrice-comédienne un peu k.o. "Je vais tourner avec Dupontel en janvier. Ca va déjà me changer de mon univers, mais après j'aurais besoin de repos. Il faut vider ma tête avant de la remplir à nouveau." Mais on ne devrait pas trop se languire d'elle, car quand on lui demande si le film lui a donné l'envie de remonter sur scène, elle répond "Pour l'instant, il m'a surtout donné l'envie d'écrire un nouveau film!"

Tout à propos de: