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Rencontre avec Savina Dellicour et Vania Leturcq, autrices et réalisatrices de Pandore

Publié le 04/11/2024 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

"Pandore, c'est avant tout un thriller!"

Ce mardi 5 novembre, la RTBF dévoile la deuxième saison de Pandore, un peu plus de deux ans après la première. Un moment attendu par beaucoup, la série étant devenue la plus regardée sur la plate-forme Auvio, en étant vendue dans le monde entier.

Rencontre avec ses deux réalisatrices, Savina Dellicour et Vania Leturcq, qui sont aussi les créatrices – avec Anne Coesens, héroïne de la série -, d'un nouvel ensemble solide, qui confirme leurs aptitudes démontrées dans la salve initiale. Issues de l'IAD, toutes deux s'étaient fait remarquer par un premier long-métrage, respectivement en 2014 et 2015: L'Année prochaine, pour Leturcq, et Tous les chats sont gris, pour Dellicour.

Rencontre avec Savina Dellicour et Vania Leturcq, autrices et réalisatrices de Pandore

Cinergie: Vu les premiers retours (public-test, presse, avant-première) et les ventes étrangères, vous devez déjà être rassurées.

Vania Leturcq: On est contentes! (sourire)

Savina Dellicour: Oui, mais pour nous, c'est la vraie sortie. Avant, il ne s'est rien passé! On n'a même pas communiqué à nos proches (sourire).

V.L.: On a toujours moins de retours sur une série que sur un film. Les séries, les gens les regardent chez eux. On a juste parfois des échos de collègues.

 

C. : Si on vous avait dit, quand vous étiez sur les bancs de l'IAD, que vous réaliseriez un jour une série, qui plus est à succès, vous l'auriez cru?

S.D.: Oh la la, non! La télé, à cette époque, c'était pas du tout cool! (rire)

V.L.: Ah moi, plus jeune, j'ai consommé plus de séries que de films! Parce que du petit bled d'où je viens, Andenne, il n'y avait pas de cinéma. J'ai donc longtemps regardé des trucs comme Urgences ou Ally McBeal. Avant même d'envisager le cinéma!

 

C.: Grâce à un livre de François Truffaut, c'est bien ça?

V.L.: Oui! Même si j'hésiterais à le citer, aujourd'hui. Enfin, François, merci pour tout quand même! (rire). La série n'était pas notre ambition, mais on y a trouvé quelque chose d'agréable et libérateur. Car un film, vous devez le porter seul(e) des années sur vos épaules, avec votre ego mis en avant partout! Ici, même si Pandore n'est peut-être pas l'œuvre de notre vie, on fait quelque chose de collectif qui va plus loin, c'est plus intéressant. Ce qui ne veut pas dire que je n'ai pas encore envie de faire un film. Mais j'ai ressenti plus de plaisir avec cette série.

 

C.: Dire qu'en proposant le projet, votre producteur Yves Swennen a ri, quand vous avez mentionné une femme ménopausée comme héroïne...

S.D.: Ce qui ne l'a pas empêché de nous soutenir! La thématique ne lui parlait pas, mais c'est ce qui rendait le défi intéressant: si lui adhérait à nos scénarios, c'est que ça pouvait parler à tout le monde!

V.L.: En écrivant, on se disait «Comment le passionner lui? ». Mais Pandore n'est pas une série féministe militante. Elle est hyperdramatisée, avec des enjeux, etc. On s'en fiche de la problématique féministe, même si on la suit. C'est du divertissement intelligent. Et oui, avec une femme de 55 ans, grand-mère, puissante... Mais nous, on propose juste une représentation de personnages qu'on veut voir à l'écran.

 

C.: Vous avez dit que si votre budget n'était pas mirobolant, il vous offrait par contre une liberté rare.
S.D.:
Au niveau créatif, la RTBF nous a laissées totalement libres! Ça n'a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs. Face aux plateformes anglo-saxonnes, avec lesquelles j'ai déjà travaillé, c'est autre chose. Elles gardent un pouvoir dans chaque décision prise! Ici, la RTBF a respecté la volonté - et donc - l'intégrité des auteurs. On va quand même voir si ça va tenir, ces séries, avec le nouveau gouvernement...

 

C.: Pour écrire, vous avez procédé de la même façon que lors de la saison une: dans un bureau, chaque jour, entre 9 et 17h?

V.L.: Oui, sauf que cette fois, c'était tous les jours pendant un an. C'était intense! Avant la première saison, on a bien eu le temps de réfléchir à tout. Mais dès que la saison deux a été actée, on a bossé à temps plein, sans vacances ni respiration. Et on a directement enchaîné avec le tournage, qui s'est terminé en juin dernier.

 

C. : Le succès de la saison 1 vous a mis une certaine pression ?

S.D.: Quand quelque chose est bien apprécié, on a toujours peur de la suite. Par exemple, dans la saison 1, on s'est aventuré dans une histoire de viol. Ça a été lourd à écrire, à réaliser et même à jouer. Cette fois, c'est moins trash.

V.L.: Oui, des gens ont eu mal avec ce viol. On le comprend. Mais ici, on est parties dans l'idée que même si on était face à des problématiques inquiétantes, que le résultat soit moins violent frontalement. Mais plus insidieusement, si je me fais bien comprendre.

 

C.: Vous avez à nouveau été aidées par le créateur de la série 1985, Willem Wallyn?

S.D.: Oui. Bien que là, on avait l'expérience de la saison une, où il nous avait appris à nous structurer. Mais il est resté un bon interlocuteur pour les questions de justice et de politique. C'est un avocat, puis son frère et son ex-femme ont été des figures politiques en Flandre. Ça aide.

V.L.: Et on a rencontré beaucoup d'autres gens pour nous documenter. Car la préparation d'une série, c'est énormément de rencontres de personnes sur le terrain.

 

C.: Et comme pour la saison 1, vous avez fait relire vos textes par des greffiers, des policiers, des journalistes, etc.?

V.L.: Comme on veut être crédibles et plausibles, oui. Des lobbyistes et des avocats ont aussi relu. Cela nous a enrichis et nous a appris plein de choses qu'on ne savait pas. Cela nous a permis de mieux comprendre les rouages de nos pouvoirs, et surtout d'amener plein de choses pour bonifier la série.

 

C.: Il n'y donc pas de miracles, puisque la série a été qualifiée de «bien écrite» à plusieurs endroits, à l'étranger notamment.

V.L.: Ce que je trouve chouette, c'est que pas mal de monde issu du monde judiciaire nous ont dit que la série leur rappelait leur métier, qu'ils avaient même parfois l'impression de revivre des moments. Si on parvient à toucher des milieux qu'on ne connaît pas du tout à la base, c'est plaisant.

 

C.: Anne Coesens, votre co-autrice et actrice, a dit que «Plutôt qu'une série politique, Pandore est un thriller psychologique qui baigne dans une arène politique»

V.L.: Et judiciaire!

S.D.: On n'est peut-être pas à la meilleure place pour vendre la série, mais le côté thriller, ça nous plaît.

V.L.: Car notre but n'est pas d'analyser exactement la politique. C'est l'arène qui compte. Vous pouvez regarder la série même si vous vous fichez et ne comprenez rien à la politique. Et idem avec la justice, les nouvelles technologies ou le domaine médical. On voulait que ça soit accessible.

 

C.: Même si vous appréciez l'écriture commune, est-ce que c'est le tournage qui reste le plus important pour les réalisatrices que vous êtes ?

V.L.: Moi, c'est toujours la partie que je préfère.

S.D.: Oui, mais je trouve que l'écriture, la «Writer's Room» d'une série comme on dit, c'est amusant aussi. Là où l'écriture en cinéma est plus solitaire, où les délais sont longs avec les commissions, etc. Ici, on arrive au boulot, entre collègues, dans un bureau.

V.L.: Un bureau loué à la Maison des Auteurs, à la SACD! Quand vous écrivez seul(e) chez vous, plus vous avancez, plus c'est dur. Il y a les enfants, les lessives... C'est compliqué de rester focalisée sur son scénario sans être distraite. Et c'est aussi une question de légitimité. Quand on se rend à un endroit pour écrire, on sait pourquoi on y va. Ce qui n'empêche pas quelques sorties ou petits cafés, bien sûr.

 

C.: Quand on lit que vous êtes les trois premières femmes à avoir écrit une série pour la RTBF, que vous êtes des pionnières, etc. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

S.D.: On n'est plus toutes jeunes, pourtant (sourire), puisqu'on réalise depuis qu'on a 18 ans et qu'on est dans la quarantaine. Je n'ai pas l'impression d'être une pionnière, moi. Ça pose quand même des questions, qu'on nous renvoie à ça. C'est presque choquant, en fait.

 

C.: Vous avez commencé à travailler sur Pandore il y a 8 ans. Depuis, comment ont évolué les droits des femmes, à vos yeux?

S.D.: Ça ne va pas mieux. Ça va même plutôt moins bien qu'en 2016.
V.L.: On ne peut quand même nier qu'il y a eu le Me Too, que certaines choses évoluent. Mais il y a encore des trucs dramatiques qui se passent. Comme on s'inspire de l'actualité, c'est déprimant.

S.D.: Sans même parler de la montée de l'extrême droite.

 

C.: Lors de la saison une, vous disiez avoir écrit des choses qui se sont réellement passées par la suite. C'est-à-dire?

S.D.: Il faut vérifier, mais il me semble qu'en Italie, une politicienne a utilisé un viol pour se mettre en avant.
V.L.: Ou le lynchage d'un migrant en prison: ça s'est passé il y a quelques semaines, en Belgique. On a parfois l'impression que tout le monde est au courant de ce dont on parle. Or, non. Par exemple, pour les applications d'espionnage téléphoniques qu'on aborde cette fois, quand j'ai montré la série à mon compagnon (NDLR: le réalisateur Guillaume Senez), il a découvert ça en flippant! Bon, on n'est pas en avance sur tout, mais on met à jour des choses dont les gens n'ont pas toujours conscience.

S.D.: Et pour ces histoires de logiciel, je crains que ça ne soit que le début. On le voit dans la société, avec la place prise par l'IA, la quasi-obligation d'avoir un smartphone, l'argent physique qui tend à disparaître. Nous, on ne fait que gratter la surface.

 

C. : Six épisodes à faire au lieu de dix, ça change la donne?

V.L.: Ça change la manière d'écrire. L'écriture d'une série est plus technique qu'au cinéma. Il y a les ressorts dramatiques, les thèmes, les sujets, les enjeux, la structure, le découpage. Quand on a su qu'on avait un an, on s'est dit qu'on serait incapables d'en écrire dix. Je crois même que personne ne peut! Puis, six épisodes, ça s'exporte mieux (sourire).

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