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Sam Garbarski prépare Quartier lointain

Publié le 01/05/2009 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Pour son troisième long métrage, Sam Gabarski s’attaque au manga culte de Jiro Tanigushi, Quartier Lointain. Près de quatre années auront été nécessaires pour en acquérir les droits, l’adapter, lancer la production et tourner. Entre temps, il y aura eu un second long métrage, Irina Palm, un film risqué dont le succès public et critique lui aura facilité la mise en place d’un budget financier qui coûte le double puisque Quartier Lointain est un film d’époque qui se déroule en 1967. Adapté de la bande dessinée du grand auteur japonais, Quartier Lointain raconte l’histoire d’un homme de cinquante ans qui se retrouve magiquement dans sa vie d’adolescent de 14 ans mais avec toute sa conscience adulte. Le premier clap s’est fait entendre le 25 avril pour un tournage de 12 semaines, entre la France (dans un petit village des Alpes) et le Luxembourg pour les intérieurs. Sam Gabarski était impatient de tourner, de sortir cette histoire qui traîne dans sa tête depuis si longtemps. Impatient, joyeux et enthousiaste.  

Cinergie : Pourquoi avoir transposé cet univers japonais en Europe ?
Sam Garbarski 
:
Je connais un tout petit peu le Japon et j’aime bien ce pays, mais je n’aurais pas osé faire un film là-bas, sans vraiment comprendre la langue, avec des comédiens japonais. 

C. : La transposition a-t-elle été difficile ?

S.G. : Ce fut un long travail. On aurait pu croire que cela irait vite, qu’une bande dessinée est presque un story-board prêt à être tourné, mais c’est un piège. Ce qui est propre à la bande dessinée ne l’est pas du tout au cinéma. Ne serait-ce que le rythme, qui est très différent. Quand on lit, on crée son propre rythme, on choisit le temps qu’on passe sur chaque case. Au cinéma, le rythme est déterminé par l’ensemble du film. Il y a eu aussi beaucoup de pièges qu’il a fallu éviter, d’autant plus que j’étais tombé sous le charme, me croyant beaucoup plus proche que ce que je n’étais en réalité. Mais ce fut un travail passionnant. Nous avons d’ailleurs finalement travaillé à trois, avec Philippe Blasband et Jérôme Tonnerre, et le film est bien plus une interprétation qu’une adaptation. 

C. : Vous avez fait un story-board sur ce film ?
S.G. : Non, je n’aime pas trop ça en général, parce qu’au tournage, on reste un peu fixé sur les images qu’on n’aurait plus qu’à exécuter. J’ai connu ça dans la publicité, dans ma vie antérieure (sourire). Peut-être qu’un story-board est nécessaire quand on fait un film plein de trucages ou de ce genre. Mais ce qui moi m’intéressait là, c’était l’émotion. Ce que j’ai aimé dans Quartier Lointain, c’est l’âme de l’histoire, son atmosphère. Il semble que nous ayons réussi à la conserver tout en la transposant en Europe. Ceux qui ont lu et la bande dessinée et le scénario le disent, en tout cas. 

C. : Et comment définiriez-vous l’âme de cette histoire ?
S. G. : C’est une histoire de famille terriblement touchante, un double rapport père-fils très beau et très profond. C’est une histoire poétique et terriblement universelle, pleine de douceur, même si des choses assez dures et douloureuses vont se produire. Quand Thomas revient dans son passé, il a 14 ans, mais il est habité par son histoire d’homme de cinquante ans. Il est même plus âgé que son père à cette époque et se retrouve lui-même dans une situation similaire quand l’histoire démarre. Une usure s’est installée dans son couple, il est sur le point de tomber dans ce qu’on appelle le schéma répétitif. Cette maturité lui donne une dimension magnifique, très intéressante en termes de cinéma. On a détourné tout de même un peu l’histoire originale, mais je ne vais pas tout raconter dans le détail (rires) !

C : Est-ce que vos films évoluent beaucoup du scénario à leur réalisation ? Est-ce que vous le découvrez beaucoup au montage ?
S. G. : Jusqu’à présent non. Je suis assez convaincu de ce que j’ai en tête et je prépare bien ce que je vais filmer. Bien sûr les techniciens et les comédiens apportent beaucoup. Je suis d’ailleurs très content parce que j’ai un casting fabuleux ! Des gens avec de très grands yeux ! J’ai un casting de manga (rires). Vous savez, les Japonais exagèrent beaucoup les yeux des personnages et je ne l’ai pas fait exprès, mais tous mes comédiens, y compris les chiens, ont des regards pas possibles (rires) !

C. : Le casting vous a pris beaucoup de temps ?

S.G. : C’est toujours long et difficile, un casting, mais finalement, cela s’est passé assez vite. Léo (Legrand) est fabuleux. Je reviens de Paris où nous étions en répétition et il est sacrément doué ! Il va faire une carrière incroyable ! Quand j’ai trouvé Léo, Pascal Greggory est devenu évident, ils se ressemblent tellement ! Greggory, ce n’est pas un comédien, c’est un Stradivarius ! Il est tellement impressionnant, il a une telle profondeur qu’il va hanter son personnage d’adolescent, notamment grâce à la voix off. Je le crois, je l’espère en tout cas. Quand j’ai écrit le scénario, j’avais déjà en tête Jonathan Zaccaï, que je connais depuis longtemps, pour le rôle de son père. Pour la mère aussi, c’est allé assez vite finalement. Alexandra Maria Lara est une grande comédienne. 

Je cherchais une femme avec un accent étranger, parce qu’elle vient de l’autre côté de la montagne. Ça a été un beau coup de foudre, ça aussi ! Finalement, c’est plutôt pour les autres personnages, notamment les rôles secondaires, que cela pris plus de temps.

C. : C’est un sacré défi pour ce jeune comédien d’interpréter le rôle d’un enfant de son âge avec la maturité et la gravité d’un homme de cinquante ans !
S.G. : Oui, mais il le relève avec tout son immense talent… son innocence, aussi, celle de ses 13 ans et demi. C’est un enfant. Et puis il aime beaucoup la BD et il est déjà entré dans le voyage. 

C : Vous avez changé de chef opérateur sur ce film ?
S.G. : Je n’ai pas voulu changer, mais Christophe Beaucarne qui a fait Irina était occupé. J’ai alors commencé à rencontrer d’autres chefs opérateurs et j’aimais bien le regard de Jeanne (Lapoirie). Je ne parle pas de son travail, mais vraiment de son regard. J’avais envie qu’elle regarde mon film avec ce regard-là. 

C. : Comment allez-vous travailler la lumière sur ce film ?
S.G. :
Cette histoire doit dégager une étrangeté poétique. Je voudrais une image très épurée, avec une belle lumière directionnelle et que la matière du film soit piquée avec une texture très nette. C’est une histoire qui doit être réaliste, mais au bord de l’irréel, poétiquement étrange. Avec Irina, on marchait aussi sur un fil, on aurait pu tomber dans de la gratuité, un humour un peu gras et vulgaire. Ici, le fil, c’est cette poésie qui pourrait sembler un peu surréaliste, mais qui ne le sera pas car tout doit avoir l’air très vrai. Ce film va plus loin qu’Irina, d’autant plus qu’ici, l’image est indissociable du son. Je crois que le son participe pour beaucoup à l’atmosphère du film, il interviendra toujours dans la conception des images. C’est joli, le son ! Le passé émerge toujours des bruits, de la musique, des chansons, qui nous rappellent des moments de bonheur ou de souffrance. Je suis content qu’Air fasse la musique originale du film.

C. : À voir vos films, on a le sentiment que vous parlez de personnages en lutte avec leur histoire, qui tentent d’y échapper, de s’inventer.

Sam GarbarskiS.G. : J’aime bien ne pas avoir de préjugés. Je déteste les règles. J’aime m’attaquer à des histoires originales tout en les rendant plausibles. Mais c’est vrai que dans Le Tango des Rashevski, ils essaient d’échapper à tout ce qui les a conditionnés,  leur culture, leur vie et ses règles. Irina aussi… Mais c’est vrai ! Je n’analyse pas, quand j’écris, les choses viennent à moi, je suis un intuitif, un spontané. Ici, il s’agit de ce qu’il pourrait se passer si l’occasion nous était donnée de revivre des moments très importants du passé. Est-ce qu’on pourrait le changer ? Et si oui, le ferait-on ? Avec l’expérience, le vécu qu’on a acquis, on ressent les choses différemment. Et c’est beau, c’est fort. C’est peut-être bien une seconde chance (rires !).

C. : Est-ce que les trajets de vos personnages se nourrissent de votre propre histoire 
S.G. :
Oui, tout est lié. Mais ce n’est pas forcément en réécrivant son histoire qu’on la revisite le mieux. Peut-être est-ce plus en s’inventant des dérapages, des détours, des variations, qu’on y revient plus intelligemment, parce qu’on ne se braque plus sur des détails. Et puis, je crois que tout acte créatif est biographique. Dans les trois cas, ces films ne sont pas biographiques dans les faits, mais le sont dans le vécu, c’est vrai. Mon père n’a pas quitté ma mère (rires), mais il y a de nombreux passages où j’y suis sans y avoir été. Même si ce n’est pas notre histoire, elle entre en résonance avec la nôtre. Qui n’a pas eu, à 14 ans, un amour secret qu’il n’a pas osé vivre ? Qui n’aurait pas quantité de questions à poser à ses parents ? Là, je leur pose plein de questions. Et encore, poser ces questions, c’est une chose. Apprendre, comprendre ses parents, c’est encore autre chose… passer d’un regard d’enfant à un regard d’adulte, justement.

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