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Strass

Publié le 01/10/2001 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

"Ce film est une fiction. Toute ressemblance avec un personnage existant serait, mais alors, une pure coïncidence" (avertissement en fin de générique).
Une équipe de cinéma débarque au Conservatoire dans l'intention de réaliser un documentaire sur la classe de Pierre, un professeur de théâtre qui a développé une méthode de pédagogie ouverte qui fait la fierté de l'école.

Strass

Cinematons

N'a-t-elle pas "produit" Léopold, un ancien étudiant qui, maintenant, fait la star à Paris ? Et de fait, Pierre est un professeur à la personnalité marquée et aux méthodes plutôt particulières. Il travaille au départ des émotions et des réactions de ses élèves, il s'implique également très fort, constamment aux frontières de l'hystérie. L'équipe suit les leçons, fait des interviews mais filme de même les dérapages de la méthode ou du professeur, les tensions et les conflits que ne manquent pas de susciter les techniques développées par Pierre, auprès de ses élèves, mais aussi de ses collègues. Devenue en quelque sorte participants du "psychodrame" orchestré par Pierre : quel rôle joue exactement l'équipe de tournage ? Sa démarche "documentaire" ne suscite-t-elle pas finalement plus de questions qu'elle n'apporte de réponses ? Avec J'adore le cinéma (Meilleur court européen et Iris d'or au Festival de Bruxelles 1998), Vincent Lannoo s'était affirmé comme l'un des plus intéressants de nos cinéastes d'avenir. Il avait, dans une forme originale, mis en boîte une histoire simple et touchante qui posait de judicieuses questions sur la place de l'image et le rôle du cinéaste face au consensus social et à la (l'auto-)censure. Le film était intelligent, sensible, drôle à bon escient et toujours pertinent, en bref, de l'excellent cinéma. Et l'espoir de voir le réalisateur poursuivre cette ligne en passant le cap du long-métrage n'a pas été déçu. Toutes les qualités pointées à cette occasion se retrouvent dans Strass.

Le film est réalisé selon les conditions imposées par la charte du Dogme 95. Sous forme de "faux-vrai reportage" à la C'est arrivé près de chez vous, l'équipe s'infiltre dans l'école, caméra à l'épaule et se fait le témoin des relations et des jeux de pouvoir qui s'y déroulent. L'effet est évidemment saisissant de réalisme, d'autant plus que Vincent Lannoo laisse à ses comédiens un grand espace d'improvisation et d'apport personnel (cf. notre gros plan sur Pierre Lekeux), qui rend d'autant plus crédibles les situations provoquées. Mais au-delà de la confusion entre la fiction et une soi-disant réalité, d'autres questions surgissent : comment la présence de la caméra va-t-elle modifier les comportements, les rapports humains au sein de l'école ? Jusqu'à quelles limites d'indiscrétion peut-elle aller sans transformer le spectateur en voyeur et le cinéaste en manipulateur intéressé ? Jusqu'où va (peut aller) le rôle de témoin et où commence celui d'acteur, voire le "devoir d'ingérence" ? Exemple, cette scène clé où les visions de Pierre sur (son travail avec) une jeune étudiante l'amènent à la quasi-violenter sous l'œil de la caméra. L'équipe filme la scène et n'intervient qu'au dernier moment pour éviter l'irréparable. Ensuite, elle va vendre ses images au journal télévisé. Toutes ces questions, Vincent Lannoo se les pose, et nous les pose, avec intelligence et beaucoup d'à propos. Jamais il n'impose son opinion ni n'oriente le spectateur, fidèle à l'opinion que poser des questions provoque le débat, alors qu'amener des réponses le clôture. Son histoire est écrite et réalisée avec beaucoup de savoir-faire, la progression dramatique est fluide, le travail avec les comédiens donne d'excellents résultats. Il faut être allergique à la forme particulière du pseudo-reportage pour ne pas s'attacher au "show" de Pierre et ses élèves, et voir comment tout cela va finir.
Mais alors, nous, spectateurs, dans quelle position sommes-nous ? Miroir, miroir...

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