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Sur le tournage de L'Iceberg de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy

Publié le 01/11/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage
Sur le tournage de L'Iceberg de Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy

Dominique Abel et Fiona Gordon adorent, comme tous les artistes burlesques, le quiproquo (le malentendu est le ressort du comique notamment de celui de Buster Keaton et de Jacques Tati que nos duettistes adorent) que ce soit sur scène ou dans leurs films. Après trois courts métrages poilants : Merci Cupidon, Rosita et Walking on the wild side (ce dernier ayant été le lauréat de nombreux prix), ils ont entrepris de produire, réaliser et interpréter L'Iceberg, un long métrage, avec la complicité de Bruno Romy (ce dernier ayant co-réalisé Merci Cupidon, leur premier film.) A la mi-octobre, nous nous sommes rendus à Evere, dans un fast-food, décor des premières séquences du film, pour assister au tournage de quelques plans d'un road movie qualifié de marin. Tandis que l'équipe technique s'affaire au décor, à l'éclairage, autour d'une caméra Aaton Super 35mm posée sur un pied et en légère contre-plongée et équipée d'un objectif Zeiss, Dominique Abel nous précise, mine de rien, qu'il s'agit « de la hauteur du regard d'un enfant." Puis il règle avec soin et dans la bonne humeur, un plan qui nous montre Fiona Gordon, ayant été par mégarde enfermée toute la nuit dans la chambre froide de son fast-food, vient d'en sortir gelée. Elle s'est protégée de la température ambiante, en se couvrant de sacs en plastiques multicolores, et est entourée de son personnel un peu affolé, qui essaie de la réchauffer, alors que son seul souci est de les envoyer au travail et de se débrouiller seule en titubant ivre de froid. Dominique Abel suggère aux employés des attitudes qui fassent contrepoint à celle de Fiona Gordon, frissonnante et bleue de gel qui n'a guère besoin d'être dirigée pour être crédible. Ce froid, (Brrr !) va être décisif dans le comportement de Gordon. C'est l'argument de L'Iceberg. Elle va se prendre d'affection pour une température qui en refroidit plus d'un, au point de devenir obsédée par la glace. Elle va tenter l'assaut de l'Everest avec Abel. En sherpa, me direz-vous ? Que nenni ! Sa quête du Graal, à elle, son horizon absolu, est de voir un iceberg. Et pour ce faire elle n'hésitera pas à quitter sa famille ! C'est l'enfer ! Non, il fait brûlant, c'est son paradis. Garçon, un double bourbon sec, mon manteau et ma toque de fourrure !
Le plateau est on ne peut plus cool, malgré les équipes de télévision (caméraman, perchiste et réalisateur) qui le parcourent, en tout sens, cherchant leur idéal à eux : le bon angle et du coup réalisent le scoop comique en se trouvant parfois objectif à objectif devant l'Aaton du film, au grand amusement du cadreur ! 

 

Production

"Pour un long métrage", nous précise Marina Festré, productrice exécutive du film, "il est très difficile de faire un montage financier qui soit majoritairement belge, dans ce cas de figure, on arrive rarement à réunir un budget, même pas confortable tout simplement correct. Surtout pour un film du type cinéma d'auteur. Quand on se lance dans un projet pareil on essaie de trouver un co-producteur à l'étranger mais c'est compliqué parce que les producteurs de ce type de cinéma ont eux-même des difficultés à trouver des fonds auprès de leurs propres télévisions ou auprès de leurs instances subsidiantes. Motiver des gens à investir dans un film belge, de réalisateurs peu connus, relève du challenge. Donc le film est subventionné majoritairement par la Communauté française, mais aussi par la Communauté flamande. Cela dit, tout le monde est en participation, des réalisateurs jusquaux membres de l'équipe technique". 

 

Réalisation  

"Le film est purement burlesque ou comique", nous indique, Dominique Abel. "Pour moi la différence serait plutôt entre une comédie et un burlesque. On ne joue pas sur la psychologie des personnages et de leurs relations comme dans une comédie. On joue sur la maladresse humaine. Le burlesque offre une vision plus clownesque et poétique. C'est ce qu'on vise : faire un film drôle et touchant. C'est dans la tradition du burlesque d'être devant et derrière la caméra. Si on regarde les grands - hormis Laurel et Hardy, qui eux, se sont fait mettre en scène - tous ont fait cela. Ce n'est pas par hasard ou par caprice. Le burlesque ne s'écrit pas à table, il s `écrit avec la caméra, dans un va et vient permanent entre l'écriture et le jeu. Lorsqu'on voit des films de Chaplin, Keaton ou Tati, on s'aperçoit que l'écriture se réalise avec la caméra, elle enregistre les scènes qui convenaient le mieux à leur jeu. C'est pour cela qu'on a souvent un problème de financement parce qu'avant que la scène ne soit sur la pellicule ce n'est jamais qu'une promesse. Ce qu'on écrit ne tient pas par rapport à ce qu'on filme. C'est le cadre qui parle et comme on a un style qui interprète la réalité il s'agit d'une représentation même s'il s'agit de celle de la maladresse humaine. Si on avait eu un gros budget on l'aurait accepté sans broncher (rires). Les participations ne sont pas un désir fondamental de l'équipe, ni le mien. On préférerait gagner notre vie avec ce que l'on fait mais c'est un choix que nous assumons. On a tous envie de le faire et on le fait quoiqu'il se passe. Ceci dit on est habitué, Fiona et moi, d'être entourés d'une petite équipe donc au cinéma cela nous convient. Par contre, ce que l'on désirait c'est une petite équipe et du temps. Malheureusement le budget a eu comme conséquences que l'on a une petite équipe et peu de temps. Walking on the wind side était plus purement comique. Il y avait une vraie montée suivie d'une chute. L'Iceberg sera différent. Bien qu'il y aura pas mal de moments comiques, c'est sûr, mais le film tient davantage sur une histoire. Un long métrage va plus vers le narratif. On raconte quelque chose et donc on prend plus son temps. Au début, dans notre démarche, Fiona et moi, nous avons essayé de nous appuyer sur des scènes de jeu. On écrivait autour d'une scène et puis on s'est rendu compte qu'il fallait évoluer parce que la durée n'est pas la même pour un court métrage que pour un long métrage. On a fait un long travail de repérages parce que le burlesque s'écrit avec un cadre, des objets, un décor et donc le choix stylistique se situe principalement là. C'est aussi une frustration de ne pas aller plus loin ! Huit semaines, c'est peu. Dix semaines auraient été beaucoup mieux ! L'Iceberg est un see movie burlesque. Comme on avait beaucoup de plans où on est physiquement dans l'eau, pas seulement les acteurs mais aussi l'équipe, il fallait qu'on commence par la fin au mois d'août. Il y a dix jours on y était encore et c'était limite pour la température du corps. Donc, on a inversé l'ordre chronologique du tournage. Pour beaucoup de ces séquences on utilise la rétro projection, comme le faisait Hitchcock. On ne cherche pas le faux pour le faux, on essaie d'éviter de le faire en post-production, en numérique. Mais avec des caches/contre-caches, dans un esprit proche des années cinquante ou de Méliès. Des trucs et des astuces et pas de l'informatique. "

 

Bruno Romy

« J'ai rencontré Abel et Gordon, nous confie le troisième réalisateur, sur une tournée de La Danse des poules. Une pièce qui tourne depuis quinze ans et dont j'étais le régisseur. On a sympathisé. Je faisais du cinéma et eux pas encore. Je les ai embauchés dans un court métrage, La poupée et ensuite, on a réalisé à trois Merci Cupidon. Depuis on ne se quitte plus. Ils sont dans toutes les fictions que j'ai réalisées et détiennent les rôles principaux. Pour moi, au-delà même du burlesque, ce sont deux grands acteurs et j'adore leur univers qui se marie parfaitement avec le mien. Pour ma part, je suis plutôt attiré par le côté poétique. J'aime épurer les images vers une forme de graphisme. Je suis encore plus radical qu'eux dans la stylisation et l'épuration. J'essaie que chaque image soit réellement construite comme une image et pas comme si elle était prise à la volée. On travaille en plan-séquence. La caméra est toujours posée. On a le temps de regarder les décors. Ce film aura cette spécificité-là. Il y a 150 plans-séquences plus ou moins longs (il n'y a pas un plan de moins de 20''), donc pas d'inserts. On s'est souvent posé la question du numérique à cause de notre faible budget. Mais les deux tiers du film se passent dans un port ou sur la mer et en vidéo cela fait vraiment cheap. On avait vraiment besoin du 35mm. Donc, on a préféré mettre le paquet sur l'image. D'autant qu'une image un peu fade ne tient pas pendant une minute. Il faut plein de détails pour que ce soit beau. Au début du script il y avait plus de dialogues mais après deux ans de travail, il y a peut-être cinquante mots dans le film parce que cela s'est imposé. On a transformé les dialogues en acte. C'est un challenge intéressant.

 

Henry Ingberg

« On assiste à une situation très classique par rapport aux gens qui s'investissent dans cette aventure qu'est le cinéma, nous confie le Secrétaire général de la Communauté française qui est aussi le Directeur du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel. Ils ont fait trois courts métrages très personnels qui ont bien fonctionné dans les festivals et ont préparé le terrain--on peut même parler d'un territoire d'imagination - qui est le leur. C'est à partir du moment où ils réalisent leur premier long métrage qu'ils rejoignent le parcours classique. Ils n'ont pas de références derrière eux donc aller vers un financement international est très difficile, sinon exceptionnel. La plupart de nos cinéastes qui se confrontent la première fois au long métrage se retrouvent pratiquement dans tous les cas devant la nécessité de trouver des financements internes, là où on les connaît et où ils ont un rapport de dialogue et de complicité. Donc c'est un impératif qui s'est imposé à eux. D'autre part - comme bien d'autres - de cette contrainte, ils ont fait une forme de discipline et d'automaitrise de leur propre démarche. A partir du moment où il s'agit de trouver leurs références, leur cadre, leurs éléments propres, et ne pas être obligés de convaincre simultanément un panel de coproducteurs de différents pays rend les choses plus faciles. Ils ont même poussé l'exercice jusqu'au bout puisqu'ils cumulent toutes les fonctions, étant à la fois acteurs, réalisateurs, avec Bruno Romy, et leur propre producteur.

 

C'est une gageure qui ne résulte pas seulement des moyens financiers extrêmement limités mais aussi de la volonté d'être pleinement maître de leur trajectoire. C'est très important car ils pourront se dire qu'ils n'ont pas dénaturé un projet qui est le leur. La question que vous aviez posée du 35mm qui est plus coûteux que le numérique prend tout son sens. Puisqu'ils estiment que l'image du 35mm est indispensable à la plastique qu'ils veulent donner à leur film et qui fait référence pour eux, au théâtre, au travail sur le mouvement, sur les scènes. Cela explique un choix qui au regard d'un producteur plus extérieur n'y aurait pas adhéré pour des raisons économiques. Enfin, Ce qui est particulier ici, c'est qu'ils ont acquis une stature, une notoriété à travers leur travail de scène. Ce ne sont pas des inconnus qui déboulent dans le cinéma et cette manière de rebondir sur une forme de reconnaissance qu'ils ont acquise pour lui donner une amplification plus grande, à travers le cinéma, est un facteur qui leur est particulier et qui est un atout remarquable. On parlait ensemble, il y a un moment, des difficultés de rencontre avec notre public. Justement le fait de mettre délibérément l'accent sur le mouvement plutôt que sur la parole et le dialogue et le fait qu'ils soient reconnus auprès du public dans leur travail de scène va leur faciliter ce passage et cette transmission vers un public qui ne sera pas seulement un public de curieux, ce qui est le cas des cinéphiles, mais qui peut être un public ayant envie de s'amuser et de trouver des personnalités intéressantes et originales.

 

Les impératifs qu'ils se donnent se sont les leurs et donc ils les assument totalement au lieu d'être en confrontation et en négociation avec un producteur extérieur. Donc oui, il y a des contraintes mais ils font un usage intelligent et créatif des contraintes." Henry Inberg, voit dans l'arrivée du tax-shelter, l'occasion de permettre l'émergence de films de genre de qualité (c'est le cas de Confituur de Lieven De Brauwer) et une opportunité pour la Commission de sélection de mieux choisir ses priorités en prenant plus de risques. Pour autant qu'on ne tombe pas dans le ghetto du film d'auteur sans public. Ce qui fut le cas il faut le rappeler - sauf exceptions pour André Delvaux et Marion Hänsel -dans les années 80. Lorsque nous lui faisons part du manque d'émissions consacrées au cinéma sur les télévisions européennes, la Belgique n'échappant pas à la règle, il nous répond qu'en effet c'est un problème préoccupant. « Pour ne pas tomber dans la neurasthénie, ajoute-t-il, on va prendre un exemple positif. Sur La femme de Gilles de Frédéric Fonteyne, il y a eu une couverture absolument remarquable de la part de la RTBF et des médias, en général. L'écho a été extrêmement large, autour de Fonteyne, autour des comédiens, de Bourdhouxhe, l'auteur du livre. Je trouve cela assez exceptionnel comme couverture. C'est un test intéressant parce que c'est aussi un film qui se veut d'un accès facile même s'il y a un travail énorme qui a été effectué. Sur le rôle des médias, je pense qu'on peut en faire plus. Mais il y a tout de même l'émission de Philippe Reynaert, l'Envers de l'Ecran sur les réalisateurs que je trouve remarquable. Elle est bien réalisée, elle est attachante et permet de bien comprendre la sensibilité du parcours d'un réalisateur ou d'un comédien. C'est excellent, mais ce qui est un peu triste se sont les résultats d'audience qui sont un peu dérisoires. On peut dire, vous n'avez pas tort, que ladeux/RTBF est marginalisée par rapport à la Une/RTBF sauf lorsqu'elle diffuse des événements sportifs importants. Cela signifie qu'afficher n'est pas nécessairement regarder. Au-delà de cela, je suis en recherche, avec mon équipe, d'une idée - je ne suis pas ici, par hasard - axée sur le tournage pour ne pas faire qu'un travail a posteriori. On cherche à créer, dès le tournage, une complicité avec le public. Le fait d'y faire participer des étudiants des écoles qui feraient eux-mêmes le reportage du tournage nous semble intéressant. Surtout lorsqu'on voit la manière dont une équipe parvient à réaliser un film dans des conditions extrêmement difficiles mais avec passion. J'aimerais qu'on se rende compte que ces gens ont des trésors d'imagination pour mener à bien leurs projets. Cela doit être communicable et peut être partagé.

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