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Tournage de "Le tout nouveau Testament" de Jaco Van Dormael

Publié le 15/10/2014 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Le Tout Nouveau Testament

"Dieu existe. Il habite à Bruxelles. C’est un salaud. Il est odieux avec sa femme et sa fille. On a beaucoup parlé de son fils, mais très peu de sa fille. Sa fille, c’est moi. Je m’appelle Ea et j’ai douze ans. Pour me venger, j’ai balancé sur Internet les dates de décès de tout le monde…"

Cinergie : Pourquoi avoir collaboré avec Thomas Gunzig pour l'écriture du scénario ? Pour lui donner un côté léger ou "délirant" ?
Jaco Van Dormael : Surtout pour le plaisir d'écrire ensemble. Quand j'écris seul, sans être convaincu, je passe une mauvaise après-midi alors qu'à deux, on passe tout de même une après-midi agréable ! Je connais Thomas depuis pas mal d'années maintenant, et il avait écrit le texte du spectacle Kiss & Cry. Je suis très content d'avoir rencontré cet ami et collaborateur car l'association est belle. Je suis plutôt dans l'image, lui dans les mots, nous sommes complémentaires.

C. : Dans tes films précédents, tu avais déjà mis autre chose que de l'image, des mots notamment, et tu l'avais fait seul.
J.V.D. : Oui mais c'est juste qu'à mon âge, je m'amuse plus en travaillant avec des amis. Le grand plaisir que j'ai quand on collabore, c'est quand on ne reconnaît plus qui a fait quoi et que cela donne un résultat unique, inatteignable seul.

C. : Cela correspond aussi à tes envies de travailler en équipe réduite. Après Mister Nobody tu déclarais vouloir faire un film à petit budget avec un groupe restreint.
J.V.D. : Oui mais je n'y suis pas encore arrivé. Avec Kiss & Cry, j'ai réussi à travailler en équipe dans l'éphémère, puisque c'est un spectacle d'art vivant où rien n'est filmé à l'avance. Mais même si Le Tout Nouveau Testament a un budget moins important que d'autres films que j'ai pu faire auparavant, cela reste un film qui a besoin de moyens.

C. : Les moyens sont une chose mais la préparation et l'organisation d'un tournage en sont une autre. Es-tu arrivé avec des intentions aussi écrites et déterminées qu'auparavant ou as-tu laissé davantage de place à l'improvisation ou au collectif ?
J.V.D. : Non, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de place pour l'improvisation dans le cinéma. Rendre le réel est déjà une forme d'improvisation, quand on passe de personnages qui sont des fantômes en quelque sorte et qu'ils apparaissent en chair et en os, ça ajoute de la complexité. Quand les décors se matérialisent, quand la caméra tourne, quand on choisit un 35mm au lieu d'un 29... Toutes ces choses-là sont des détails qui font tout basculer. C'est ça qui fait que le cinéma est un art polyphonique. Le scénario est une partition et, ensuite, chaque instrument est important.

C. : Si tu interpelles Dieu, est-ce une forme de colère de la part d'un athée à cause de tout ce qui est commis au nom de Dieu et des religions ?
J.V.D. : Non, ce n'est pas de la colère. D'ailleurs, ce n'est même pas un film anticlérical. Il y a le personnage de Dieu, et cette idée surréaliste qu'il habite à Molenbeek, qu’il a une fille ainsi qu'une femme à qui il demande de la boucler. Sa fille n'en peut plus et balance sur Internet les dates de décès de tout le monde. Ça change évidemment la vie de chacun et l'ombre de la mort redonne goût à la vie. Je lisais récemment une phrase de Deleuze qui disait "le cinéma et la religion ont un point commun, essayer de faire croire que la vie pourrait avoir un sens." Je trouvais que c'était assez juste par rapport aux histoires que je développe. C'est vrai que le cinéma a tendance à donner un sens, la fin explique le début par exemple, et j'essaie justement de ne pas en donner. Je cherche, à travers ce médium, à parler de la vie, où les causes et les conséquences ne sont pas claires, seule la vie est l'expérience. J'essaie de partager ces drôles d'expériences que nous avons tous pendant un moment. C'est pour ça que la phrase de Deleuze m'interpellait.
Est-ce que le cinéma n'est pas une forme de consolation? Ceci dit, se consoler est une bonne chose aussi…

C. : Pourquoi sa fille est-elle en colère contre Dieu ?
J.V.D. : Parce qu'il est insupportable et qu'il la bat. Il crée le monde, c'est à dire Bruxelles, et il a commencé par y placer des girafes sans succès alors il a créé Adam et Eve. Ils se sont baladés dans cette ville vide puis elle s'est peuplée pour devenir ce qu'elle est maintenant - c'est à dire des embouteillages, des travaux... Tout ce qu'il reste alors à Dieu est d'inventer les emmerdements universels : la tartine tourne toujours du côté de la confiture, on est toujours dans la mauvaise file... Les humains sont ses jouets et sa fille ne le supporte pas.

C. : Donc Dieu a le destin de chaque homme en main et pour qu'ils puissent le reprendre, la fille de Dieu divulguent la date de leur mort.
J.V.D. : Dieu a en effet le destin de chacun en main, mais elle les balance par pure vengeance envers son père. Elle trahit son secret. Les réactions sont très différentes. Certains ne changent rien, d'autres essaient de retrouver leur amour d'enfance, d'autres encore savent qu'ils en ont pour longtemps alors s'ils sautent par la fenêtre, ça n'a pas d'importance. Certains savent qu'il ne leur reste plus que 15 jours donc que faire ? Tout cela change de façon surréaliste et comique l'attitude des gens. La fille rassemble d'abord dix-huit apôtres sur les conseils de son frère parce qu'il trouve que 12 ce n'est pas assez donc il y a six nouveaux : Aurélie, Martine, Jean-Claude... Ce sont six grands brûlés de la vie et elle accomplit un miracle pour chacun d'eux. Il y en a qui tombe amoureux d'un gorille, il y a un tueur qui n'a pas réussi à abattre une femme qui conserve une balle dans le bras et il tombe amoureux, il y a l'obsédé qui finit par retrouver son amour de jeunesse sur le tournage d'un film porno... Elle crée des situations improbables sur un temps court et l'idée est de trouver comment faire pour que la vie soit belle durant un court laps de temps.

C. : Tu ne tournes qu'à Bruxelles ?
J.V.D. : Non c'est du 50-50. On fait les extérieurs à Bruxelles et les intérieurs aux Luxembourg.

C. : Es-tu retourné dans ton coin fétiche à Watermael-Boitsfort ?
J.V.D. : Non, j'ai reçu tellement de lettres d'habitants me demandant de ne plus y tourner... On a tourné ailleurs, près de Koekelberg.

C. : Comment se passe le tournage avec Benoît "Dieu" Poelvoorde ?
J.V.D. : Nous n'avons pas encore commencé à tourner avec lui. Nous avons fait des répétitions et des impros avec lui et ça s'est très bien passé. On a déjà tourné avec François Damiens, Laura Verlinden, Didier de Neck, Serge Larivière va nous rejoindre bientôt... C'est aussi un mélange d'accents, comme à Bruxelles.

C. : Vous avez beaucoup répétés avant le tournage ?
J.V.D. : On a très peu répété, on a lu, essentiellement pour voir si la musique des mots tombent bien dans la bouche et se poser toutes les questions nécessaires.

C. : Le scénario sera t-il publié avant la sortie du film comme tu l'avais fait pour Mister Nobody ?
J.V.D. : Non, je n'y avais pas pensé. Si je l'avais publié pour Mister Nobody, c'est que le délai d'attente était tout de même assez conséquent donc je me suis dit que si jamais je me faisais écraser par un bus il y aurait au moins un bouquin... Ici, on a continué à écrire jusqu'à peu avant le tournage.

Didier De Neck, fidèle comédien de Jaco
Didier De Neck : C'est émouvant d'être là. Il y a vraiment une longue histoire entre nous. On a aussi travaillé ensemble dans le théâtre - notamment celui ou je suis encore, dans les numéros de clown... On a vécu dans la même maison, on a les mêmes amis... C'est ma famille choisie, Jaco. Le côté professionnel n'est que la partie émergée de l'iceberg.

C. : On te voit surtout au théâtre, est-ce un choix ?
D. D. N. : En fait, je n'ai jamais pensé faire ce métier que ça soit au théâtre ou au cinéma. J'ai toujours tout fait par hasard et par rencontre. Si je suis davantage dans le théâtre, c'est parce que j'ai des responsabilités, que j'écris et qu'il est très difficile de combiner les deux, je ne suis pas assez disponible pour le cinéma. Mais j'ai toujours pris les choses comme elles viennent. C'est à cause de Jaco que je suis là-dedans et ça fait presque quarante ans…

C. : Si tu n'avais pas rencontré Jaco alors, qu'aurais-tu fait ?
D. D. N. : Peut-être crimino’, juriste ou vendeur de chaussures, je ne sais pas.

C. : Ton histoire fait penser à certains de ses récits.
D. D. N. : Exact, mine de rien Jaco met beaucoup de lui dans ses histoires, des rencontres qu'il effectue. D'ailleurs, dans tous ses films se retrouve, très facilement ou en filigrane, sa sensibilité quotidienne et ses proches. Pour moi, c'est un peu comme un album de famille à chaque fois. Tu reconnais quelques chose ou quelqu'un.

C. : Trouves-tu qu'il y ait beaucoup de différences et de changements entre ce film-ci et son premier long Toto le héros tourné il y a 23 ans?
D. D. N. :
Oui, son monde s'est complexifié. Dans chacune de ses histoires il a ouvert des tiroirs qu'il remplit. Il a un humour particulier et il essaie d'en insuffler toujours plus. Mais Jaco est avant tout pour moi un sculpteur, c'est un grand visuel et ce sont des caractéristiques qu'il développe depuis quarante ans.

C. : Tu joues un des apôtres.
D. D. N. : Oui. Il va abandonner sa petite vie toute formatée lorsqu'il apprend qu'il va mourir et s'adonner au plaisir, profiter du soleil, etc. Il va suivre un oiseau jusque dans le grand nord et c'est là qu'il rencontrera l'amour. Avec Jaco, j'ai toujours joué des méchants ou des personnages assez durs et là, c'est un personnage qui s'adoucit. Peut-être est-ce la vision qu'il a de moi, je n'en sais rien...

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