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50/50 - Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyn

Publié le 08/04/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Après des études de réalisation à l'IAD, Frédéric Fonteyne dirige quatre courts métrages, tous écrits par Philippe Blasband : Bon anniversaire Sergent Bob (1988), Les Vloems (1989), La Modestie (1991) et Bob le déplorable (1993). Après avoir mis en scène pour le théâtre la pièce Jef en 1995, il se lance en 1998 dans la réalisation de son premier long métrage, Max et Bobo, une comédie dramatique sur la crise existentielle du gérant d'un salon de coiffure. L'année suivante, Frédéric Fonteyne réunit devant sa caméra Nathalie Baye et Sergi Lopez pour Une liaison pornographique (1999), sélectionné à la 56e Mostra de Venise. Fort de son succès, il attend toutefois quatre ans avant d'adapter au cinéma le roman La Femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe, avec Emmanuelle Devos et Clovis Cornillac dans les rôles-titres.

50/50 - Une liaison pornographique de Frédéric Fonteyn

Anne Feuillère : Une liaison pornographique a été un vrai succès à sa sortie. Est-ce qu'on vous en parle encore ?

Frédéric Fonteyne : Parfois oui. Je ne suis pas non plus un acteur célèbre sur qui les gens se précipitent dans la rue, mais quand les gens m'en parlent, je sens qu'il les a marqué, qu'ils y ont investi quelque chose d'eux-mêmes. Mais ce film aurait très bien pu ne pas marcher. Un succès est toujours un malentendu. Avant qu'un film ne devienne un succès, on ne sait jamais qu'il peut l'être. J'ai éprouvé cette fragilité à la Mostra de Venise : j'ai compris que le film pouvait provoquer du désir comme il pouvait très bien basculer de l'autre côté. Et c'est normal, c'est bien, je me bats aussi pour ça. L'autre partie de l'industrie du cinéma se bat pour que tous les films soient reçus de la même manière, qu'ils soient uniformes. Mais la reconnaissance ne veut pas dire grand chose par rapport à la puissance d'une certaine industrie du cinéma...

 

A.F. : N'y avait-il pas un certain état de grâce autour de ce film : votre entente avec Philippe Blasband qui signe le scénario, ce tournage avec Nathalie Baye et Sergi Lopez ?

F.F. : L'état de grâce vient après. Une fois que le film a marché, on se dit que tout s'est bien passé. En fin de compte, tout film est un chemin initiatique avec des obstacles terribles. Mais comme c'est un film qui parlait d'amour, quelque chose qui a à voir avec la passion amoureuse s'est mis au travail dans le film... Je l'ai compris plus tard, les sujets des films s'imprègnent dans la manière dont on les réalise.

 

A.F. : Filmer une passion amoureuse sur le mode du récit, c'était tout de même un sacré pari !

F.F. : C'était l’enjeu, filmer cette rencontre sans raconter ce qui se passait derrière la porte. A la première projection à Venise, je me disais « Les gens vont se rendre compte qu'il n'y a rien à voir ! ». Nathalie Baye en parlait comme d'un film interactif, parce qu'il ne fonctionnait que si l'imaginaire du spectateur, avec ses rêves et ses passions, venait l'investir. Il lui laissait une place gigantesque. Mais c'est cette confiance dans les projections du spectateur qui fait un film. Et cela rejoint le sujet d'Une liaison, parce que, dans une passion amoureuse, on investit sur rien (rires). En tous cas, sur des projections. Ce que je trouvais aussi très intéressant dans ce scénario, c'est qu'il avait trois réalités : celle de cet homme, de cette femme - versions qui parfois se contredisent - et celle que le spectateur perçoit. Il y a trois films en un et aucune vérité.

 

A.F. : Un tel succès, dès votre second long-métrage, est-ce que ça n'est pas beaucoup de pression ? 

F.F. : Je ne sais pas... Faire ce film, c'était déjà une pression gigantesque. Comme tous mes films, beaucoup de gens n'y croient pas. La pression est toujours énorme. A un moment donné, je la lâche en me disant que tout ce que je peux faire, c'est le film. Ce qu'il va devenir après, c'est un malentendu qui ne dépend plus de moi. Cette société valorise beaucoup le succès. Ce qui m'intéresse, dans mon cinéma, ce sont les fragilités, les échecs, les failles. Et ce ne sont pas les films qui font énormément d'entrées qui sont forcément les meilleurs. D'immenses cinéastes n'ont pas eu le succès qu'ils méritaient au moment où leurs films sont sortis. Une fois qu'un film est fini, on est très démuni. 

 

A.F. : Est-ce que ce film a changé votre carrière ? 

F.F. : C'est un événement important, oui. Il m'a surtout fait bouger. Mon investissement dans ce film était gigantesque. J'y ai investi la puissance des illusions que j'étais en train d'éprouver. On peut appeler ça « sublimer ». Comme tous mes films, en fait, tous autobiographiques, pas par leur histoire, mais par les questions que je traverse au moment où je les réalise. Le cinéma, les films que je fais sont des chemins initiatiques qui transforment ma vie. Sinon, ça n'a pas de sens. Un événement, c'est ça qui nous transforme. Et chaque grand film que j'ai vu m'a transformé, m'a amené à voir le monde un peu autrement. 

 

A.F. : Et, en termes de production, ce succès vous a-t-il facilité la vie ? 

F.F. : A chaque film, j'ai eu le sentiment de me faufiler dans une porte en train de se refermer. Je me rends compte que c'est un miracle d'arriver à faire ce genre de film. Quand j'ai vu que ce film marchait, en même temps que d'autres - je pense à Jaco Van Dormael, aux frère Dardenne, à C'est arrivé près chez vous - tous ces films terriblement singuliers, cela me semblait miraculeux ! En Belgique, il y a eu et il y a encore un espace où des œuvres singulières peuvent se faire. Il n'y a pas d'industrie dans ce pays. Tous ces films se sont faits parce que des gens se sont battus pour porter leur regard. Et ça a payé. C'est un véritable espace de liberté toujours très fragile, toujours à conquérir.

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