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Abécédaire désordonné de Claude François

Publié le 08/11/2011 par Dimitra Bouras, Arnaud Crespeigne et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Claude François, réalisateur de plusieurs films sur l'entreprise surréaliste en Belgique (Le jeu des figures, La Chaîne sans fin) termine un film intitulé Le désordre alphabétique. Version courte pour la télé et version longue en DVD. Nous l'avons rencontré à la réserve précieuse de la Bibliothèque de l'ULB, dans la salle qui a préserve les archives de Marcel Marien. Au risque d'être aussi simplet que les informations jadis et naguère distillées par le célèbre hebdomadaire Pekin information, nous vous présentons notre dialogue comme un abécédaire désordonné.

Abécédaire désordonné

Scandaleux
Après une projection de Charles et Félicien une dame me dit : "C'est scandaleux". Je lui réponds cela vous a choqué ? Elle me dit : "Oui". Je lui dis : "Mais c'est merveilleux que Charles Baudelaire, un siècle après, puisse encore scandaliser les gens".

Vocatif (le) 
Mon beau souci est le surréalisme. Je l'avais déjà évoqué dans Le jeu des figures, un film sur Denis Marion avec ses grands amis qui étaient Louis Scutenaire, Irène Hamoir et surtout Paul Nougé, qu'il avait bien connu, mais aussi Roger Goossens, un tout  grand poète du siècle dernier, et bien sûr avec Tom Gutt qui me l'a présenté qui éditait  entre autres des textes de Denis Marion sur Nougé, dans une revue qui s'appelait Le Vocatif.

Désordre alphabétique 
Le but du film est de raconter l'histoire du surréalisme en Belgique depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui au moyen d'un abécédaire désordonné. Il y a eu une première version qui s'appelait "L'ordre alphabétique" qui durait deux heures. Cela a effrayé tout le monde. J'ai donc dû réduire le film à des normes au format pratiqué par les télévisions.
Mon but était de montrer qu'il n'y avait pas que Magritte. Magritte était devenu l'arbre qui cache la forêt: des personnes aussi importantes que Nougé, Colinet, Scutenaire, Irène Hamoir, Tom Gutt, Marcel Mariën, Jean Wallenborn, et beaucoup d'autres encore moins connus. D'ailleurs, le mouvement surréalisme est toujours vivant en  Belgique.

Poésie 
Jacques Wergifosse est l'un des grands poètes de notre temps. Contrairement à la plupart  des poètes, il ne lui est jamais venu à l'esprit de se faire éditer. C'est pourtant Magritte qui a édité son premier recueil de poèmes quand il avait 16 ou 17 ans.

Tract 
Les surréalistes n'ont jamais voulu faire partie d'une avant-garde  artistique ou d'un milieu littéraire. C'est quelque chose qui leur était parfaitement étranger. Le surréalisme n'ést pas une démarche esthétique , c'est une manière de vivre, une éthique. Lorsque les éditions Gallimard ont voulu éditer le deuxième tome de Mes inscriptions (le premier volume avait été présenté par Paul Eluard) Scutenaire a refusé que l'on coupe certains textes et a retiré le manuscrit. Peu lui importait d'être édité par Gallimard !  Par ailleurs, en Belgqique plus particulièrement, ils pratiquent plus volontiers la discrétion.  Aujourd'hui que la plupart des journalistes parlent à tort et à travers du surréalisme,  il est utile de rappeler que Breton et Nougé eurent la même réaction en souhaitant que le surréalisme retourne à l'obscurité. "Je ne cherche pas des lecteurs, mais des complices", disait Paul Nougé.

Franco-belge 
Les Belges étaient plus rigoureux que les Français, même si Julien Gracq, français, a refusé le Prix Goncourt. Mais la différence entre les Belges et les Français portait plus sur la méthode. Les Belges n'acceptaient pas du tout l'écriture automatique (en tout cas les surréalistes bruxellois contrairement aux surréalistes en Hainaut).  Par exemple, Magritte soumet d'abord des croquis et en parle à ses amis avant de terminer ses tableaux. Sa peinture est tout le contraire d'une peinture instinctive et inspirée, elle est très concertée comme les textes de Paul Nougé et à l'instar de quelqu'un comme Paul Valery. Ce qui les distingue encore des surréalistes français, c'est l'importance qu'ils accordent à la musique.  On peut rappeler "La conférence de Charleroi" de Paul Nougé, un texte très important sur la musique. Ils comptaient d'ailleurs parmi eux un musicien, André Souris.

Correspondance
"Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l'avènement d'un art nouveau ne nous préoccupe guère", annonçe clairement Paul Nougé dans le premier numéro de la revue "Correpondance". En 1924, tandis que le Manifeste du surréalisme d'André Breton paraît à Paris, en Belgique, l'activité surréaliste s'exprime pour la première fois de manière beaucoup plus insidieuse, avec cette revue qui n'a pas d'abonnés, ne coûte rien. Elle se présente sous la forme de tracts qui sont envoyés à un certain nombre de personnalités du monde artistique belge et français.La plupart des gens qui ont reçu ces tracts n'y ont rien compris. Il s'agit de fragments de citations qui ne peuvent être comprises que par les auteurs de ces citations (Aragon, Gide, Paulhan, Eluard, etc.) mais ces citations obéissent à deux principes : un principe de réécriture et un principe de montage. Les citations ne sont pas littérales et elles sont montées, c'est-à-dire qu'elles sont rapprochées les unes des autres de manière à produire un sens inattendu et d'inciter les artistes à refléchLe but du film est de raconter l'histoire du surréalisme en Belgique depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui au moyen d'un abécédaire désordonné. Il y a eu une première version qui s'appelait "L'ordre alphabétique" qui durait deux heures. Cela a effrayé tout le monde. J'ai donc dû réduire le film à des normes au format pratiqué par les télévisions.
Mon but était de montrer qu'il n'y avait pas que Magritte. Magritte était devenu l'arbre qui cache la forêt: des personnes aussi importantes que Nougé, Colinet, Scutenaire, Irène Hamoir, Tom Gutt, Marcel Mariën, Jean Wallenborn, et beaucoup d'autres encore moins connus. D'ailleurs, le mouvement surréalisme est toujours vivant en  Belgique.ir sur leur rapport à la création, que la création ne soit pas automatique, que la création ne soit pas spontanée ou instinctive mais que la création comporte une part de critique par rapport à l'acte créateur, comme le dit très bien Paul Aron dans le film.

Tom Gutt
J'ai réalisé un film sur Jacques Wergifosse, La Chaîne sans fin, sous son impulsion. Tom Gutt a réactivé l'aspect révolutionnaire du surréalisme. Très proche de Louis Scutenaire et Irène Hamoir, il a écrit notamment sous le nom de "Thomas Rien" "Cette mémoire du coeur", une suite au "Comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas. Il a édité  et exposé tous ses amis surréalistes.

Lèvres Nues (les) 
A l'enseigne des "Lèvres nues", Marcel Mariën  a édité une revue et nombre de livres de surréalistes dont tout ceux de Paul Nougé. A lire pour en savoir plus et mieux ses mémoires qui ont fait scandale : le Radeau de la Mémoire. J'ai assisté à la première du film de Marcel Mariën. J'étudiais le cinéma à La Cambre et c'était au ciné-club de la jeunesse. Avec sa compagne Jane Graverol, il a fait une présentation de son film qui a provoqué un tollé dans la salle. En allant chez les bouquinistes, j'ai découvert sa revue intitulée les Lèvres nues. Plus tard, lorsque je l'ai rencontré, nous nous sommes mis d'accord sur un scénario de film qui s'appelait Bruxelles et Gomorrhe. On nous avait alors reproché à la Commission de sélection que notre film n'était pas surréaliste ni poétique. Nous avons réagi en disant qu'en effet ce n'était pas notre but. L'aventure en est resté là et Mariën m'a alors rappelé celle qu'il a vécu  dans la Chine  de Mao où il entendait les mêmes genres de propos.
Finalement, nous avons reçu un petit subside qui rendait le film impossible à réaliser avec un budget aussi minuscule. Le scénario de ce film a été édité. 

Magritte 
Il n'était pas connu du grand public avant les années 50. Il est devenu célèbre en Belgique quand ses toiles se sont vendues en Amérique. Ses peintures ont alors atteint des sommes astronomiques et les Belges ont découvert tout l'intérêt d'avoir et de voir les peintures de Magritte qu'ils ignoraient jusqu'alors.

Delvache? 
Paul Delvaux selon René Magritte. 

Derrière (Les Magritte et son ...) 
On peut très facilement se rendre compte, en lisant ses lettres et ses textes, que Magritte n'était pas du tout intéressé par le cinéma que nous aimons plus particulièrement. Quand on a donc créé en Belgique ce prix "Les Magritte du cinéma", c'était un non-sens absolu. Les personnes qui ont créé ce prix n'ont jamais lu une ligne de Magritte où, textuellement, il vante des films comme Un coup dur chez les mous, un nanar français pas possible. Par contre, Les 400 coups, il trouvait ce film prodigieusement emmerdant et hypocrite. Pareil pour Hitchcock, etc.
On a donc fait un tract à partir de ce prix dans lequel on a cité quelques passages de lettres ou de textes de Magritte à propos du cinéma. Bernard Noël, écrivain et poète, qui a édité les écrits de Magritte chez Flammarion, est d'ailleurs un des co-signataires de ce tract. Ce prix revient à se servir du nom de Magritte comme d'un marchepied, comme s’il fallait que Magritte nous aide à être sur le devant de la scène pour qu'on parle de nous. J'ai un ami qui m'a dit : "Ils auraient dû appeler ce prix, les "Machin du cinéma". Comme Alfred Machin, le fondateur du cinéma en Belgique. Ça a une connotation un peu drôle, et en même temps, historiquement, c'est tout à fait valable". Je pense que cela amuserait beaucoup plus les gens, que Magritte que l'on met à toutes les sauces. On a perdu ce côté de dérision en Belgique, on se prend un peu trop au sérieux maintenant. À partir du moment où les Français commencent à dire du bien de nous, il faut commencer à se poser des questions. Tant qu'ils se moquaient de nous et de notre accent, c'était parfait, tout allait bien. 


Z = Bonus ou Boni
Suite et fin de l'abécédaire le moins prochain.

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