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Ali Zaoua de Nabil Ayouch

Publié le 01/06/2001 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Le petit prince pouilleux qui avait un rêve.

Ali Zaoua de Nabil Ayouch

Ali Zaoua, c'est l'histoire d'un monde dur et sauvage aux portes de notre monde, mais c'est aussi un conte dont les héros sont des gamins des rues de Casablanca. Des gosses de six à douze ans, livrés à eux-mêmes dans la ville, qui errent en bande sous la férule de Dib (Saïd Taghmaoui, seul comédien professionnel dans le tas, se paie une gueule pas possible : balafré, terrible. Il impressionne dans ce rôle de caïd quasi muet au nom emblématique : Dib veut dire loup en arabe).Parmi eux, Ali a des rêves, des projets.

Entre Dib et ce gamin à la personnalité marquée, la rupture est fatale et Ali part de son côté en compagnie de ses potes Kwita, Omar et Boubker. Bientôt, l'inévitable arrive. Les deux factions s'opposent dans une rixe au cours de laquelle Ali est tué. Le film aurait pu s'arrêter là, mais c'est là qu'il commence. Car au lieu de l'oublier et de l'abandonner, ses trois copains décident d'enterrer Ali " comme un prince ". Pour cela, il faut de l'argent, des relations, du matériel, et ces gosses paumés n'ont déjà pas de quoi survivre. Le film raconte la quête de ces trois gamins pour le souvenir de celui qui avait un rêve...

 

Le phénomène des gamins des rues n'est pas propre à Casa, pas plus que ce film n'est le premier à traiter du sujet, mais aucun de ceux que j'ai vus jusqu'ici n'a la force d'impact de celui-ci, impressionnant de réalisme et naviguant sans cesse entre une fiction dure et une poésie de l'enfance omniprésente qui n'est pas sans évoquer certains chefs-d'oeuvre néo-réalistes italiens. L'hallucinant sentiment de véracité est nourri de la très forte implication personnelle du jeune réalisateur marocain. Pendant deux ans, Nabil Ayouch est descendu dans les rues en compagnie des éducateurs qui travaillent avec le docteur M'Jid pour essayer d'encadrer ces gosses.
Il a entamé un lent travail d'apprivoisement. Pour eux, il a écrit son histoire et imaginé des personnages et des mots qu'il puisse sans difficultés mettre dans leur bouche. Parmi ces gamins, il trouve ses comédiens, et sa caméra, il va vraiment la poser au milieu d'eux. Ainsi, il a beau raconter une histoire, ce qu'il montre, c'est la vérité nue de ces gosses qui dorment dans la rue et vivent de rapines et de mendicité, coincés entre les rafles de police, le mépris des voisins et la violence des plus grands.

 

Et en même temps, parce que ce sont des gosses, la vie, le rire et les rêves ne sont jamais bien loin. Un contraste avec lequel Nabil Ayouch joue fort à propos, de manière très touchante. Toute fuite dans le cliché, et toute dérive lacrymale est ainsi évitée par l'appel constant à cette poésie, qui s'incarne notamment dans les très belles séquences d'animation parsemant le film, qui renvoient au Petit Prince de Saint-Exupéry (les analogies sont très fortes, jusqu'à la scène finale de l'enterrement du gamin qui, comme le petit prince, par la mort, rejoint son rêve).
Le mariage d'une réalité quasi documentaire et d'une fiction onirique est à ce point parfait -chacun se ressourçant aux forces de l'autre - qu'on ne sait plus vraiment où s'arrête le réel et où commence le rêve. Tout ce qu'on sait, c'est que l'union des deux atteint ici une qualité d'émotion rare et fait d'Ali Zaoua un beau moment à ne pas manquer.

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