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Michèle Jacob, réalisatrice de Les Enfants perdus

Publié le 20/07/2023 par Cineuropa / Catégorie: Entrevue

“Tout le monde a un monstre en lui”

Les Enfants perdus de Michèle Jacob a fait sa première au Festival de Karlovy Vary, en compétition internationale. Nous avons interrogé la réalisatrice sur les blessures qu’on subit en tant qu’enfant et qu’on porte encore avec soi une fois adulte, sur le monstre qui vit en chacun de nous et sur ses liens spéciaux avec les enfants qui jouent les personnages principaux.

Michèle Jacob, réalisatrice de Les Enfants perdus

Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Michèle Jacob
: J’aime travailler avec des enfants. Dans mon dernier court-métrage, la prémisse était la peur et le second thème était la place qu'ont les enfants dans le monde adulte. Dans mon long-métrage, je voulais approfondir ce sujet. Une de mes sources d'inspiration est un livre que j’ai lu sur les plus grandes blessures que les enfants peuvent se voir infliger et la manière dont ils les gèrent dans leur vie d'adulte. Ça m’a fait forte impression. En tant qu’adulte, on porte un masque pour cacher ses blessures. Tout adulte doit vivre avec les douleurs qu'il ou elle a subi enfant, je suppose que c’est pour ça que la plupart des adultes sont tristes. Cela dit, je ne voulais pas parler directement des adultes. Ce qui m’intéresse davantage, c'est leur enfant intérieur. Pour l'intrigue, j’ai choisi une des blessures les plus rudes qu'un enfant puisse se voir infliger, à savoir être abandonné.

 

C. : Est-ce que certains livres ou films ont été des influences lors de la conception du film ?
M. J. : J’ai été fortement inspirée par l’histoire de Peter Pan. Je me souviens de l’avoir lu quand j’avais neuf ans, et ça m’a brisé le cœur. J’avais beaucoup d’empathie pour lui. Le roman originel est très cruel et dur, mais en même temps, il contient beaucoup d’action et de poésie. J’aime ce mélange. Côté cinéma, je peux citer parmi mes plus grandes influences Michel Gondry et Terrence Malick, ainsi que Jonathan Glazer dans Under the Skin et les films de Hayao Miyazaki, où il mélange des personnages d’enfants avec des histoires de monstres – ce sont des films sombres et légers en même temps.

 

C. : En genre de monstres croyez-vous ?
M. J. : Les hommes et les femmes. Tout le monde a un monstre en lui. Je connais le mien et j’ai trouvé une manière de le gérer. Je crois qu’il faut le câliner. Nous devons regarder nos monstres en face et arrêter de les nier.

 

C. : Avez-vous connu une dynamique frères et soeurs similaire à celle qui caractérise vos personnages ?
M. J. : Nous étions quatre : trois filles et un frère. Je suis la plus jeune, donc nous n'étions pas si proches que ça, petits. À présent que nous sommes des adultes, c’est différent. Pour moi, les relations familiales sont la chose la plus importante dans la vie. Pour le film, j’ai trouvé un sujet puissant à ajouter, qui est la violence contre les femmes. Je pense que le plus gros traumatisme qu’on peut vivre, c’est quand on doit ouvrir les yeux sur ses parents.

 

C. : Le film est un voyage dans l'inconscient, là où se loge le souvenir traumatisant. Avez-vous mené des recherches sur la question et comment avez-vous trouvé les bonnes images pour l’exprimer ?
M. J. : J’ai moi-même eu un psychanalyste pendant des années, qui est allé dans mon cerveau. Ça vous donne tout un répertoire d’images et de métaphores. C’est de là que sont venus la fenêtre, les escaliers, les portes et le papier peint par exemple. Il y a beaucoup de pièces dans le cerveau.

 

C. : Comment avez-vous trouvé les enfants qui jouent dans le film ? Qu’est-ce que vous cherchiez spécifiquement à trouver en eux ?
M. J. : Les filles sont mes filles. L'aînée a déjà joué dans mon court-métrage. Quant au rôle de la plus jeune, celui d'Audrey, je l’avais d’abord écrit comme un garçon, et puis j'ai changé, et je savais que mon autre fille serait parfaite pour ce rôle. Je la connais par cœur. Je savais que sa beauté peu commune serait très cinématographique. Ça a été très facile pour moi de travailler avec elle, nous sommes très liées.

 

C. : A-t-il été difficile d’être, avec elles, à la fois mère et réalisatrice ?
M. J. : Au début, j’ai essayé de séparer les rôles, mais ça n’a pas été possible, et ce n’était pas nécessaire. Le film n’a pas affecté notre relation. Nous parlons beaucoup, de l’école et de la vie en général, et le film faisait l'effet d'être un prolongement de cela. Avec les deux autres enfants, nous avons organisé des soirées pyjama, nous sommes allés au cinéma. Ainsi, nous avons bâti des relations très naturelles. Les enfants sont devenus presque comme de vrais frères et sœurs, ils se sont vraiment attachés les uns aux autres.

 

Teresa Vena

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