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Chantal Akerman, Le 15/8 et Hanging Out Yonkers (1974-1973) : à (re)découvrir le 31 mars à Cinematek

Publié le 27/03/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Chantal Akerman représente certes une évidence dans le répertoire cinématographique belge, mais l’on ne finira jamais de lui rendre hommage et de redécouvrir son œuvre. Dans cette perspective, Cinematek et Bozar s’unissent pour célébrer, à travers projections et expositions, les nombreux talents de la cinéaste. Alors, pour bien faire les choses, commençons par les débuts, au cœur des années 1970, après quelques courts-métrages peu satisfaisants pour elle, Chantal Akerman s’exerce et peaufine son style, largement imprégné par l’underground new-yorkais.

Chantal Akerman, Le 15/8 et Hanging Out Yonkers (1974-1973) : à (re)découvrir le 31 mars à Cinematek

Hanging Out Yonkers met en scène quelques jeunes adultes assis en cercle et discutant entre eux, confortablement installés et enchaînant les cigarettes, dans une atmosphère à la fois détendue et intrigante. Chantal Akerman fait le choix de ne pas retranscrire les dialogues et de concentrer l’attention sur les quelques plans fixes qui encadrent la scène.  Même s’il a les allures d’un camp hippie ou d’un atelier d’artistes underground, le lieu présenté est un centre social dans lequel des jeunes se réunissent pour partager leurs difficultés. Même si on aurait tendance à regretter que le film soit muet, le silence suggère habilement les souffrances dont ces jeunes personnes sont victimes, d’un point de vue éducatif, juridique, social et sanitaire. Cette première tentative de documentaire reste toutefois inachevée, mais le travail de restauration des équipes de Cinematek est impressionnant.

 

Le 15/8, court-métrage de fiction réalisé un an plus tard, s’appuie à nouveau sur un traitement intimiste, mais cette fois pour exprimer le quotidien solitaire d’une jeune finlandaise en séjour à Paris. Ses journées commencent de bonne heure avec de longues promenades dans la métropole, où elle déplore qu’on la regarde « bizarrement », et se poursuivent en errances entre les quatre murs d’un appartement. Ces activités ne sont en fait que des ébauches, des tentatives : manger un morceau de pain et laisser le reste, fumer une moitié de cigarette, s’allonger sur un lit sans dormir. Sa voix décrit en off les différentes situations qu’elle vit et les questionnements qu’elle rencontre. Une voix languissante et confuse, semblable au caractère flegmatique de la jeune femme, à sa manière de se déplacer dans l’espace, à son sens de l’observation, et plus encore à son investissement émotionnel. Pour ce qui est du corporel, Chantal Akerman construit déjà ses habitudes en optant pour une série de plans fixes sur l’actrice, Chris Myllykoski, qui évolue dans un jeu de regards caméra, voire de sourires caméra. Son style de jeu, propre à envoûter une salle entière, laisse pénétrer quelque chose de l’ordre de la perplexité, d’une calme inquiétude. Elle porte en elle les craintes et les questionnements d’une génération tout entière, une génération en mouvement, en opposition, dont le désir de liberté rivalise avec les contraintes matérielles de la vie citadine contemporaine. Le monde entier semble perdre de sa consistance face au flux de paroles de la jeune femme, enfermée dans une cellule qu’elle a elle-même construite. Son caractère, à la fois ironique et complexe, aborde le monde comme une succession de contingences.

 

Même si ces deux films ne sont pas les plus reconnus de Chantal Akerman et qu’ils répondent à une logique de l’expérimentation, on y distingue des intentions fortes qui occuperont son cinéma dans les décennies suivantes. Tout d’abord, le mode narratif, proche du monologue intérieur en littérature, avec un narrateur-personnage qui évolue face caméra dans un cadre resserré, à la fois intime et anxiogène. Parmi ses thèmes les plus chers, on découvre déjà ici ceux de la solitude, de l’errance, de l’ennui, ainsi que celui de la peur (parfois immatérielle et intangible). Privilégiant le montage parallèle, Chantal Akerman semble avoir à cœur de suggérer la valeur symbolique de tel être, de tel lieu, de tel objet. Un cinéma qui est pressé de grandir et de poser des questions, même si celles-ci se passent volontiers de réponses.

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