Cinergie.be

Des heures sans sommeil de Ursula Meier

Publié le 01/06/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Fusion et effusion

Dans un premier court métrage assez étonnant, le Songe d'Isaac, Ursula Meier filmait les derniers moments d'Isaac. Au seuil de la mort, celui-ci se revoit au chevet de sa mère mourante grâce au toucher d'une infirmière qui lave sa peau avec une douceur semblable à une caresse. C'est le retour foetal, le rêve fusionnel, la chaleur maternelle contre le froid de la mort. Pas un mot : la musique des gestes et des regards, on est dans un songe éveillé. Le film avouait clairement ses références: Bergman et Tarkovski.

Des heures sans sommeil de Ursula Meier

La réalisatrice vient d'achever Des heures sans sommeil (ex-Flux et reflux), un film de 34 minutes produit par l'AJC.

Le sujet tourne autour des relations troubles qui soudent et défont la tribu : famille je vous aime versus famille je vous hais, en confrontant Anne et Thomas, un frère et une soeur qui, à travers leurs souvenirs d'enfance, se déchirent et se réconcilient.

La figure du père sévère est l'enjeu de leur confrontation, l'amour qu'il a dispensé à l'un et pas à l'autre. L'amour à la fille, le rejet au fils qui s'enfuit ventre à terre, dès qu'il peut, laissant à sa soeur le soin de s'occuper de l'automne du patriarche. Aujourd'hui, à la veille de son enterrement, alors que son cadavre repose solitaire dans une pièce de la maison, les enfants se déchirent et règlent leurs comptes.

Le moment clé du film où tout semble se dénouer est la séquence dans laquelle Thomas quitte pour la seconde fois la maison et est rattrapé par Anne. Ils s'affrontent verbalement, elle le touche, ils s'étreignent, le contact est renoué.

L'affection, l'amour se remettent à circuler, la couvée renaît. L'enterrement se fait dans le consensus non pas d'une douleur partagée mais d'un amour retrouvé et l'on reste sur sa faim. Le toucher apaise, certes mais c'est un peu court. De la part d'une réalisatrice aussi douée qu'Ursula Meier on aurait aimé un peu plus de chair et un peu moins d'entrechats. D'autant qu'au-delà de l'anecdote, le vrai sujet de la réalisatrice n'est pas seulement la chaleur affective comme pied de nez à la mort, ni même la différence et la complémentarité entre le masculin (appréhension scopique des choses) et le féminin (perception tactile des choses, (1) mais, plus globalement, comment transmettre l'émotion, cette bouffée de fièvre, à travers ce regard découpé et distant sur les choses qu'est le cinéma ?

Grâce aux corps des comédiens qui s'incarnent dans des personnages ou grâce à une image stylisée, belle mais un peu désincarnée ? Réponse, on l'espère, dans le prochain film d'Ursula Meier.


(1) "La femme jouit plus du toucher que du regard" écrit Luce Irigaray dans un livre au titre ironique, Ce sexe qui n'en est pas un, dans lequel elle analyse le tabou du toucher dans une civilisation obsédée par le visuel.

Tout à propos de: