Ils ont des vestes en toile imperméabilisées un peu destroy qu'ils ne quittent jamais même sur le plateau de Deuxième génération, lorsqu'ils examinent avec attention, sur la vidéo de contrôle, les plans souvent chahutés (pour être au plus près des personnages) que Michel Baudour cadre Bétacam à la main. Celle de Mourad est bleu foncé et celle de Taylan, kaki à capuche.
On arrive difficilement à les déscotcher d'une équipe qu'ils couvent et qui, pendant que nous nous entretenons avec eux, mange de la soupe et des sandwiches, en toute simplicité, dans un local désaffecté de l'hopital d'Ixelles. Campé à deux cents mètres de là, à l'extérieur, dans le froid piquant de l'automne, ils nous expliquent leur étonnant parcours. On est sous le charme du débit posé, un peu rauque, de Mourad, le crâne à la Ronaldo, et sous celui plus aigu et nuancé de Taylan, la lèvre ornée d'une fine moustache blonde.
Ce duo de choc qui a créé l'événement à Filmer à tout prix avec L'Amour du désespoir, obtenant une mention spéciale du jury, est inséparable depuis l'enfance. La famille de Mourad est d'origine marocaine, celle de Taylan d'origine turque. Les deux familles, à travers leurs fêtes, leur rites, leur vie quotidienne ont permis à nos deux vidéastes de faire leurs premières armes. Ensuite, ce sont les sketches tournés avec les copains du quartier. En participant au concours de vidéogrammes organisé par Filmer à tout prix, ils ne savent pas qu'ils mettent leurs boots dans l'engrenage. Repérés et encouragés par Micheline Créteur, Gérard Preszow, Marie-Hélène Massin, et bien d'autres professionnels, ils décident de poursuivre une aventure qui ressemble à un voyage des Mille et une nuits. Mourad Boucif travaillant dans une Maison de jeunes et Taylan Barman y étant bénévole, ils sont confrontés aux problèmes de la violence, de la drogue et d'une acculturation née d'une perte d'identité et de repères.
Ils en font un film : Kamel, qui est sélectionné dans de nombreux festivals internationaux et provoque un électrochoc lors de son passage télévision, sur Arte. Hubert Toint voit Kamel, s'emballe et leur propose d'écrire le scénario d'un long métrage basé sur la réalité à laquelle ils se frottent au quotidien. La commission de sélection de la Communauté française de Belgique approuve le scénario de Deuxième génération. Le tournage peut commencer. A leur manière. Comme un film professionnel tourné avec des amateurs. Les personnages ont été construits à partir du comportement de proches, d'amis, de voisins, observés autour d'eux, mais sont suffisamment souples pour que les comédiens puissent les investir de leur propre vécu. On a envie de définir leur souci d'improvisation par cette définition de Carles et Comolli: " l'improvisation est une croyance. Croire en la première fois qu'il y aura toujours une première fois." Le film tourné à Bruxelles s'apparente aux fictions de Jean Rouch (Moi un noir ou Cocorico Monsieur Poulet), grand défenseur du cinéma vérité. Deuxième génération sera kinescopé en 35mm et projeté en salles.