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Dorothée van den Berghe, My queen Karo

Publié le 19/10/2009 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

My dear chaos
Avec la mondialisation des modes de consommation, on oublie que les mœurs n'ont pas toujours été identiques dans tous les pays occidentaux. À Paris et à Bruxelles, la contestation des années 60, et début des années 70 se fit entendre dans la rue, pavés et slogans politiques en bannière. À Amsterdam, par contre, la protestation contre les valeurs capitalistes et individualistes véhiculées par des consommateurs béats passa par l'occupation d'immeubles et d'ateliers abandonnés à la spéculation foncière. Les communautés de « squatteurs » devinrent l'emblème du conflit idéologique de la jeunesse amstellodamoise. Nos voisins du nord ont toujours eu une attitude plus émancipée; marijuana, collectivités dont la vie est basée sur le désir. La création, les relations amoureuses, les activités évoluaient au fil des rencontres, sans la moindre notion d'obligation.
Dorothée van den Berghe, réalisatrice du très beau Meisje, dans lequel sa protagoniste, confrontée aux mœurs décousues de la capitale, essayait de se débarrasser de sa crainte de provinciale, est allée puiser dans ses souvenirs personnels pour ressusciter cette période démesurément libre.
C'est avec ses yeux de petite fille d'alors et ceux de sa jeune héroïne, Anna Franziska Jäger, qu'elle revisite, dans My Queen Karo, ces années aux limites balayées, aux interdictions interdites. L'enfant, ballottée entre un père qu'elle admire pour son extrémité et son intégrité idéologiques et une mère qu'elle veut protéger contre la dureté de celui-ci, a dû surpasser toute seule ses craintes pour consolider son être. 
Ses parents, incapables de gérer leurs déceptions, obnubilés chacun par leur ego, abandonnent la fillette à son propre discernement. 

Rencontre avec une réalisatrice qui aime se pencher sur la complexité des relations amoureuses.

Cinergie : Il y a beaucoup de tendresse qui se dégage de ce film dans lequel, malgré tout, tu règles certains comptes avec une période de l'histoire qui n'a apporté que déceptions et dont les idéaux n'ont pas tenu leur promesse.
Dorothée van den Berghe : J'aime beaucoup cette période folle des années 70, mais je ne voulais pas porter de jugement sur l'idéologie qui régnait. C'est pour cela que j'ai préféré choisir le point de vue de l'enfant pour l'aborder; une enfant qui observe, mais qui ne critique pas. Vivre son envie d’idéalisme dans la vie réelle n'est pas aisé; la complexité humaine est là pour brouiller les cartes, ou simplement la structure sociale. Nous sommes toujours pris dans nos contradictions. Aujourd'hui aussi les parents voudraient être plus présents auprès de leurs enfants et pourtant, ils sont placés tout petits déjà. Le sujet principal du film, c'est le rôle des parents dans l'éducation des enfants.

Cinergie : T'es-tu inspirée de ton enfance pour écrire cette histoire ?
D. vdB. : Pas vraiment, c’est une fiction, même s’il y a des événements que j’ai vécus. Je ne vois pas l'intérêt de réaliser un film autobiographique. J'ai beaucoup travaillé sur le scénario pour le rendre plus universel. J'ai voulu dépasser le côté thérapeutique.

C. : Tu as reçu de l'aide pour l'écriture du scénario ?
D. vdB. : La Résidence de Cannes a sélectionné mon projet, et j'ai vécu ainsi avec plusieurs réalisateurs pendant sept mois à Paris. Notre seule préoccupation était l'aboutissement de nos histoires. Et puis le fait de devoir partager un même espace de vie, la salle de bain, fut une réelle expérience pour moi. Le festival de Cannes a contribué, sans le savoir, à rendre crédible l'ambiance communautaire de mon film !

Extrait du film My queen Karo de Dorothée Van Den Berghe.

C. : Dans My Queen Karo, on retrouve également, comme dans Meisje, une fille qui cherche à voler de ses propres ailes, en dehors de la cage familiale, qui peut être une cage dorée ou inhibitrice, mais une cage quand même.
D vdB. : Je n'y peux rien. C'est plus fort que moi, mais oui, c’est toujours le même sujet. En fait, je montre une famille très différente de celle dans Meisje, mais finalement avec les mêmes problèmes. Dans les deux films, le couple reste trop longtemps ensemble. Ici, la mère (Deborah François) pourrait prendre ses valises et claquer la porte de la communauté, mais elle reste par amour pour Raven (Matthias Schoenarts) et Karo, leur fille. C’est une communauté qui reste ensemble beaucoup trop longtemps, à tel point que les relations commencent à pourrir. Finalement, Karo décide elle-même de ce qu'elle veut vivre. Ce n'est pas une décision facile car elle n’a que 11 ans, alors que pour Meisje, qui a 18 ans, c’est une décision normale. Karo a grandi trop vite, elle a dû prendre des décisions à la place de son père et de sa mère.

C. : Comment as-tu choisi de travailler avec Anna Franziska Jäger, la fille d'Anne Teresa de Keersmaeker ?
D. vdB. : Je l’ai rencontrée par hasard dans un magasin. Elle a quelque chose qui m’a touchée. Je l’ai suivie, mais je me suis arrêtée, parce que dans un pays qui a des problèmes avec la pédophilie, il vaut mieux ne pas suivre des enfants ! Mais j’ai vu sa mère qui venait la chercher. Donc, je savais comment la retrouver. Il m’a fallu encore deux ans pour réunir les fonds. Entre temps, Anna Franziska avait grandi et était devenue trop âgée pour le film. J’ai fait un casting de mille filles, mais je n’ai jamais retrouvé cette force et en même temps cette vulnérabilité que j’avais vues chez elle. Finalement, j’ai travaillé avec Anna Franziska pendant deux mois pour m'assurer qu'elle pouvait faire ce film. Elle était entre l’enfance et la pré puberté, et je craignais que cet élément noie le sujet principal, celui des parents.
Finalement, on l'a quand même choisie, et c’est très bien comme ça, parce qu’elle est plus forte, et sa pré puberté ajoute à l’histoire une dimension intéressante de fragilité. Cela renforce encore le film. On a travaillé très longtemps ensemble, pour qu’elle puisse jouer cette fragilité en confiance et ne pas être perturbée par les doutes de son personnage.

C. : Certaines scènes intimes et sensuelles devaient être difficiles à jouer pour les comédiens et les enfants. Comment s'est déroulée la préparation ?
D. vdB.
: Pour moi non plus ce n'était pas facile ! Mais si on veut faire un film sur cette époque-là, où l'amour libre, le désir, le plaisir étaient au centre des relations, je ne pouvais pas ne pas montrer la nudité et la sensualité et me cacher derrière ma pudeur. Mais étonnement, les enfants n'ont pas semblé perturbés.

Extrait du film My queen Karo de Dorothée Van Den Berghe.

C.: Quelle est la scène qui a été la plus agréable, la plus facile à tourner ?
D. vdB. : C'est une scène qui nous a vraiment unies, Anna Franziska et moi, parce qu'elle a trouvé l'intensité des gestes qu'il fallait, spontanément. Et là, je me suis rendu compte qu'on était sur la même longueur d'ondes ! C'est la scène où Karo joue avec la lampe de poche sous son maillot de bain. C'est une scène très forte, pleine d'émotions, car elle survient après qu'elle ait découvert son père faisant l'amour avec sa mère et une autre femme. Dans le scénario, il n'y avait qu'une phrase. C’est une petite scène, mais nous avons senti toutes les deux comment il fallait la faire. Je voulais trouver une manière de montrer la réaction d'un enfant devant une situation où étonnement et désir s'entremêlent. Anna Franziska a trouvé le rythme et les gestes adéquats.

C. : Et quelle est la scène qui a été la plus difficile à tourner ?
D. vdB. : C'est la scène où Déborah François sort du squat, en pleurs, nue sur la passerelle. On avait vécu la journée dans l'angoisse de devoir tourner cette scène. Déborah redoutait cette scène trop intime. On sentait une tension sur le plateau, mais c'était beau parce que toute l'équipe essayait d'être avec elle, de la rassurer, de lui apporter son soutien. Quand la nuit est tombée et que le moment est arrivé, la tension s'est totalement dissipée, et la scène s'est déroulée, tout simplement.

C. : Quelles sont les références cinématographiques de My Queen Karo ?
D. vdB. : On a regardé les films de Jonas Mekas qui filmait sa famille dans les années 70, et qui a donné ses lettres de noblesse au home movie. On voulait créer cette impression d'images dérobées. On a voulu placer la caméra comme un observateur extérieur qui enregistre simplement les images. Mais placer une caméra qui veut observer et capter l'énergie du plateau quand c'est du 35mm, c'est pas facile ! Tous les plans étaient très bien préparés. J'avais dessiné le découpage, comme pour une bande dessinée.
On a préféré des couleurs vives pour donner cette impression d'énergie. Partout dans le squat, des gens entraient et sortaient. Il y avait toujours du mouvement. Il fallait montrer que le privé n'existait pas. Avant de faire le film, on a discuté pendant trois semaines, et définit les caractères des personnages. Une fois sur le plateau, ça a été très libre. Comme dans une communauté, tout le monde pouvait mettre son grain de sel. Ça n'arrêtait pas de discuter, à tel point que l'équipe se tirait les cheveux ! Mais ce «bordel » ambiant a aidé à donner cette couleur authentique et dès que la caméra tournait, tout le monde trouvait sa place. On a cherché à montrer le dynamisme, à filmer le chaos et on l'a organisé. C'était un chaos, mais organisé !

C. : Si tu devais donner une couleur à ton film, laquelle choisirais-tu ?
D. vdB. : Dans les films super 8, il y a toujours une couleur rouge, orange, des flashs. C'est la couleur du film.

C. : Et si tu devais penser à un objet ?
D. vdB. : Le hérisson. Il est devenu super copain avec Anna Franziska. Nous avons tous beaucoup aimé ce hérisson !

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