Entrevue avec Benoît Lamy et André Melis : sortie en DVD de Home Sweet Home
Cinergie : André Melis, le cinéma belge n’est pas vraiment ce que tu édites d’habitude, le choix de distribuer Home Sweet Home est un coup de cœur ?
André Melis : C’est un coup de cœur qui a d’abord motivé la création même de ma société Melimedias. Je voulais absolument défendre le cinéma belge parce que j’estime que son potentiel n’est pas assez valorisé. Home Sweet Home est un rêve de gosse ! Je ne sais plus pour quelle raison, mais depuis que j’ai 14 ans, l'âge où j'ai découvert ce film, j’ai la chanson du film en tête.Lorsque j’ai rencontré Benoît, il y a deux ans, à Cannes, j’ai voulu réaliser un rêve. Benoît m’a dit : « Vas-y André, sortons Home Sweet Home ». C’est un défi d’autant plus fort que Benoît Lamy ne fait pas partie des réalisateurs belges en vogue. Je pense qu’on l’a un peu oublié, et c’est dommage. Editer son oeuvre en DVD, est une façon de le remettre dans l’actualité cinématographique, et se rappeler ainsi qu’il est un peu l’un des pères des réalisateurs d’aujourd’hui. Donc, je suis très heureux et très fier de pouvoir éditer Home Sweet Home et ses trois autres films.
C : C’est en effet une très belle occasion pour redécouvrir le cinéma de Benoît. Donc tu vas éditer l’intégrale ?
A. M. : Oui, pour pouvoir faire découvrir les aventures de Benoît ! Parce que chacun de ses tournages est truffé d’aventures les plus folles. Heureusement que Benoît est paresseux, et qu’il n’a tourné que quatre films ! On commence avec Home Sweet Home, qui vient de sortir, ensuite nous éditerons Jambon d’Ardenne, la Vie est belle et nous terminerons avec Combat de fauves dans lequel Benoît a eu le bonheur de diriger Ute Lemper et Richard Bohringer.
C. : Benoît, quand tu parles de Home Sweet Home, tu dis que tu voulais filmer les vieux d’une façon « flamboyante ». Qu’est-ce qui t’a donné l’idée d’en faire des contestataires ?
B. L. : Aujourd’hui, j’ai trois fois vingt ans, je suis en plein dans le troisième âge, mais à l’époque, pas du tout. J’avais un grand-père merveilleux, qui avait fait une fugue d’un home et qu’on avait retrouvé sur un quai de gare, à Maastricht, complètement paumé. C’est là que mon père s’est dit que le home ce n’était pas fait pour lui. A l’époque, j’avais fait des stages en Italie et en France. Revenu en Belgique, j’ai été frappé de constater que la Belgique est un pays de vieux. On était en mai 68, la mode était à la révolte. Alors, pourquoi pas faire un film qui renverse complètement le propos par rapport à la jeunesse et qui montre des vieillards toniques ?! Et c’est comme cela que l’idée de Home Sweet Home est venue, avec mon coéquipier Rudolph Pauli, qui, lui-même, avait eu une expérience similaire, avec une grand-tante échappée d’un home hollandais.
C. : On apprend aussi, en parcourant les nombreux bonus du DVD, que le film avait un titre très provocateur au départ : Traité du savoir vivre à l’usage des vieilles générations.
B. L. : C’était un hommage à Raul Vaneigem. J’ai vécu mai 68 en dépavant Paris, j’avais connu Raul et d’autres, parfois amortis, parfois plus cinglants. Faire un film qui traite d’une révolte de vieux, c’était leur rendre hommage.
A. M. : Je pense qu’à l’époque les longs titres faisaient peur. Tandis que maintenant, cela attire l’attention. A l’époque, on avait tendance à raccourcir les titres. Pour Home Sweet Home, le distributeur français avait eu la grande bêtise de le rebaptiser la Fête à Jules. Ce qui a contribué à l’échec du film en France. Encore aujourd’hui, j’essaie de placer le film en France, mais malgré les superbes critiques de l’époque, je ne trouve personne qui accepte de prendre le « risque » de le distribuer. Il est vrai que ce film est très belge, presque une caricature de la Belgique, mais je trouve que c’est ce que nous avons dans les tripes !
C. : Comment as-tu fait les repérages? Tu as pris des comédiens non professionnels, comment les as-tu choisis, en fonction de leur tête ou de leur comportement ?
B. L. : La règle obligée de départ était de trouver d’abord le lieu. On a écumé tous les homes de Belgique. Il nous fallait un lieu emblématique, qui soit très visuel. C’est comme cela qu’on a découvert le home à Koekelberg. D’instinct, je m’étais dit que j’allais tourner avec les pensionnaires du home. J’ai fait des essais avec Michel Baudour, mon directeur photo, et très vite, on s’est rendu compte que ces vieux étaient amortis, qu’ils n’avaient pas le « punch » que je voulais que mes vieux aient. Donc je me suis dit, reprenons tout à zéro, les vraies maisons de la culture belge ce sont les cafés. Allons écumer les cafés de la place du Jeu de Balle ! Et on a découvert de ces gueules, extraordinaires !
C. : C’est grâce à Robbe de Hert que tu as trouvé la musique du film. Tu n’as pas voulu une musique douce. Tu as voulu des cuivres, tu as voulu donner du « punch ». C’est une idée de toi ou une idée du musicien ?
B. L. : J’ai fait visionner le film par un musicien qui m'a proposé une musique confortable, une musique de chambre avec du piano. Et je lui ai dit : « Non, non, mes vieux, c’est un poing levé, cela n’a rien à voir avec de la musique de chambre. Je veux des cuivres ! » Il a claqué la porte du studio, il est parti. Guido Henderickx, mon monteur, m'a proposé de rencontrer Walter Heynen. Je lui ai fait visionner le film, il a compris tout de suite ce que je voulais : quelque chose de grandiose, de flamboyant ! Tant qu’à faire, pourquoi pas pervertir la Brabançonne ! Et c’est ainsi que le thème général du film c’est la Brabançonne à l’envers.
C. : Il y a trois courts métrages dans les bonus du DVD qui sont assez extraordinaires, mais, ce qu’on n’explique pas dans le DVD, c’est l’idée de ces courts métrages.
B. L. : J’avais une mère flamande et un père Wallon, et j’ai toujours été captivé autant par la culture flamande que la culture francophone. Ma mère était une mère autoritaire, abusive, impérative, mais très cultivée et qui m’a fait découvrir le théâtre flamand. C’est elle qui m’a fait découvrir Hugo Claus, qui est devenu un ami. Celui-ci m’a permis de rencontrer Anne Petersen, que j’ai trouvée extraordinaire, une très grande comédienne. C’était notre Simone Signoret belge. Avec un talent discret mais vraiment pointu. A la fin du tournage elle me dit : « Benoît, tu me connais, je suis bonne vivante, Home Sweet Home c’est très bien, maintenant, je vais te faire découvrir mon pays. »
Elle faisait partie d’un groupe qui s’appelait Honger en Dorst, ce qui veut dire Faim et soif. On se réunissait tous les premiers samedis du mois sous l’Atomium, Anne Petersen déployait sa carte de la Belgique et un peu comme une roulette russe, elle avait une fourchette qu’elle faisait pivoter au centre de Bruxelles, et on partait à l’aventure, là où les dents pointaient. On était une quarantaine, on partait tous dans la direction indiquée, et on s’arrêtait dans tous les cafés, tous les restaurants qu’on rencontrait pour tester les bières, les produits et s’en mettre jusqu’au-dessus la cravate ! Le soir, on revenait en sens inverse. Pompettes, je dois l’avouer, mais ayant vécu des moments exceptionnels d’où j’ai ramené des courts métrages! Un des cafés qui se trouve dans un des courts métrages, c’est un lieu magique, où les gens jouaient aux boules. Tout le café était en terre battue, que les gens du coin, venaient chaque printemps marteler avec des sabots, puis déverser du sang de cochon pour faire de la terre argileuse une sorte de bitume qui soit propice au jeu.
C. : On conclut sur une phrase de Jacques Perrin qui dit « il n’y a pas de sujet difficile, si on arrive à trouver la traduction par la forme. Tous les films sont faits pour le grand public ».
B. L. : Michel Haneke disait « le cinéma c’est 24 mensonges par seconde ». Cocteau a dit « je suis un mensonge qui dit toujours la vérité ». Tous mes films, c’est un peu ça, ce ne sont jamais des mensonges, toujours des vérités. Mais quelque part, ce sont des irréalités parce que j’explore des possibles. Je me dis que la vie est tellement courte, ne la rendons pas triste. Ma devise c’est : « Un peu c’est trop, beaucoup ce n’est pas assez ».