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Entrevue avec Défense du documentaire de création

Publié le 01/02/2004 par Philippe Simon / Catégorie: Entrevue

Il y près de deux ans Javier Packer-Comyn avait,  sous notre rubrique E-moi, publié un texte intitulé « Schizophrenic cinéma vs anemic culture » qui se demandait, entre autres, où étaient les documentaristes, tel Johan Van der Keuken, à la Médiathèque. Bien des choses ont changé à la Médiathèque pendant ces deux années. Philippe Simon a demandé à Philippe Delvosalle de faire le point de la situation.

Défense du documentaire de création

 

Cinergie : Depuis plus d'un an, j'ai l'impression qu'un effort particulier est fait à la Médiathèque dans le domaine du documentaire et plus particulièrement du documentaire belge.
Philippe Delvosalle :
Il y a un peu plus d'un an et demi, une nouvelle équipe a vu le jour pour s'occuper des documentaires. Et qui dit nouvelle équipe, dit nouvelle dynamique. Peut être le point de départ de celle-ci est-il une lettre de Javier Packer-Comyn de l'asbl P'tit Ciné qui se plaignait que certains films importants ne se trouvaient pas à la Médiathèque. En cherchant par réalisateur dans la section "Cinéma", il s'étonnait de ne pas trouver des films de Van der Keuken. Dans un premier temps, il a bien fallu accepter que nous avions un réel problème de classement et de lisibilité de la base de données. Car il existait bien des films de Van der Keuken même s'ils étaient très difficiles à trouver. Et ils n'étaient pas les seuls dans ce cas. A partir des critiques de Javier Packer, nous nous sommes mis à chercher ce que nous pouvions faire pour rendre plus accessibles de tels films, qui ne rentraient ni dans le reportage télévisuel, ni dans le documentaire éducatif ou commercial. Nous avons essayé de contourner les problèmes que pose l'arbitraire lié à tout classement en termes de promotion et de mise en valeur de la collection. De là est née l'idée de chercher quelqu'un qui en dehors de la Médiathèque pouvait écrire un petit bouquin sur le sujet. C'est ainsi que Patrick Leboutte a eu carte blanche pour faire valoir sa vision d'un cinéma documentaire. Et il a pris un malin plaisir à brouiller les pistes entre fiction et documentaire. Dans son livre, il développe une approche du cinéma qui ignore les grilles formelles, proposant une définition d'un cinéma du réel proche de l'essai et où il met par exemple le néo-réalisme italien de Rossellini en relation avec des films comme ceux de Paul Meyer ou de Boris Lehman. Si publier cette petite plaquette était une action vers le public, il fallait aussi que les films dont parle Patrick Leboutte soient présents dans tous les centres y compris les plus petits. Il fallait les mettre en évidence, pouvoir les faire voir mais aussi les signaler et les accompagner par une animation. Deux lots de 80 titres environ ont ainsi sillonné la Wallonie et Bruxelles pendant un an. Parallèlement à cela il y a eu aussi une volonté d'être plus présent auprès des responsables des collections documentaires dans nos différents centres de prêt. Nous avons fait deux journées avec eux au cours desquelles Patrick Leboutte leur a montré des extraits de documentaires en expliquant son approche du cinéma du réel. Je crois que c'était important pour ouvrir les esprits et susciter la discussion. De même nous essayons de faire des liens entre ces nouveaux films et ceux qui sont déjà en collection, par ex. par thématique ou par leur démarche. Cela crée un effet de promotion qui touche finalement tout le domaine du documentaire et rebondi parfois sur celui de la fiction.

 

Cinergie : Y a t'il un travail plus centré sur les films belges ?
P.D.
: Bien sûr, un tel travail existe même si cela ne s'exprime pas par une étiquette ou une classification particulière. Nous contactons régulièrement des réalisateurs en vue de faire connaître leurs films, particulièrement les indépendants. Par exemple nous venons d'acquérir 16 films de Boris Lehman avec ce souci de proposer aussi des cinéastes souvent marginalisés. Nous avons pris aussi contact avec des ateliers de production tel que l'AJC ou le CBA pour essayer de faire connaître leurs films et cela se passe assez bien. D'emblée les ateliers ont dit oui, mais il fallait faire des choix en terme de budget et de temps : nous avons été assez vite débordés. En Belgique, il existe une tradition documentaire vraiment importante et notre patrimoine en la matière est plus que riche en films intéressants. Faire connaître et poursuivre cette tradition est excitant et conditionne notre travail actuel. Un aspect non négligeable de notre approche du cinéma documentaire en Belgique, outre sa proximité, est liée aussi à des questions économiques. Nous n'avons pas les moyens de faire sous-titrer un splendide documentaire norvégien. Donc nos limites financières nous amènent à nous intéresser d'abord à des films francophones ou déjà sous-titrés en français. En définitive l'élément le plus important dans ce travail repose d'abord je crois sur notre enthousiasme et notre plaisir à défendre des films passionnants. Et cela se fait assez naturellement même si cela demande encore pas mal de réajustements.

 

Cinergie : Quel est le bilan après un an et demi ?
P.D.
: Il y a un premier résultat : le documentaire se porte plutôt bien et mieux que d'autres collections de la médiathèque. Mais je ne crois pas que cela soit uniquement dû aux nouvelles options que nous avons prises. La carrière en salle des films de Michael Moore, Nicolas Philibert ou Agnès Varda a aussi changé l'image qu'un public large se fait du documentaire. Il y a un effet à la baisse en musique et je crois aussi en films de fiction qui me semble lié au développement d'internet et qui touche moins le domaine du documentaire. Par contre si on regarde les films qui sont cités dans la petite publication de Patrick Leboutte, on remarque qu'ils sont sortis plus souvent. Il y a donc un effet positif du livre et des mises en valeur des films. Nous avons des membres qui nous disent avoir découvert tel film à la médiathèque, qui ne s'attendaient pas à le trouver là et qui, à partir de là, explorent nos rayons et nos collections. Un autre effet positif de notre travail actuel tient aussi dans le fait que des producteurs et des réalisateurs nous envoient spontanément des cassettes de leurs films parce qu'ils ont l'impression que quelque chose a changé. Ce sont de petites choses mais qui montrent qu'un intérêt s'est manifesté, qu'il va croissant et doit être soutenu. Les films sont sortis de leur réserve, à tous les niveaux, et c'est important. Nous travaillons pour que ce mouvement continue et s'amplifie.

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