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Entrevue avec Gabrielle Claes : la cinémathèque, nouvel état des lieux

Publié le 01/12/2002 / Catégorie: Entrevue

Entretien avec Gabrielle Clae

Gabrielle Claes

 

Cinergie : La Cinémathèque Royale à la réputation d'être en pointe dans le domaine de la restauration des films, qu'en est-il exactement ?
Gabrielle Claes : La restauration des films n'est pas notre tâche principale. Notre premier travail est de collecter et de conserver les films que l'on nous confie, afin qu'ils restent, le plus longtemps possible, dans le meilleur état. Quand le matériel se révèle être dans un état déplorable, alors nous tentons de le restaurer, toujours dans l'idée de "conservation", afin que ces films soient accessibles aux générations futures.

 

C. : Est-ce qu'il arrive que l'on vienne vous demander d'aider à la restauration d'un film en particulier ?
G. C. : Oui, ça arrive. Ça arrive avec des films que l'on retrouve. Ça arrive aussi au travers de demandes que l'on nous adresse pour savoir si nous possédons tel ou tel film. Ce qui, souvent constitue le point de départ d'un travail de restauration. Mais il existe surtout des nécessités internes qui nous décident à entreprendre un travail de restauration, par exemple quand, à travers les vérifications systématiques que nous faisons dans les entrepôts de la Cinémathèque, nous constatons, en ouvrant une boîte, qu'un film est dans un état critique et qu'il est temps d'agir. Il y a aussi des points de départs qui sont une conséquence de notre propre programmation, comme lorsque nous voulons rendre hommage à tel ou tel auteur. Nous sommes amenés alors à examiner l'oeuvre de plus près.Et quand nous constatons que des films sont encore sur des supports anciens, au nitrate, même si le matériel est toujours dans un état correct, nous entamons immédiatement la restauration du film, en effectuant, par exemple, un transfert sur un autre support pellicule Et puis il arrive que nous soyons contactés par des institutions, comme cela s'est révélé être le cas, dernièrement, avec le musée de Tervuren qui possède des documentaires datant de la période coloniale et voulaient les remettre en état. Mais aussi par des particuliers, par exemple des personnes telles que Marin Karmitz. Dans ce cas, cela commence en général par un travail de comparaison entre le matériau qu'ils détiennent et celui que nous possédons pour évaluer l'état et les différences éventuelles entre leurs copies et les nôtres.

 

C. : Vous êtes donc amenés à travailler aussi bien sur des films du patrimoine belge que des films étrangers...
G. C. : Bien sûr. Par exemple quand la RTBF Charleroi, qui avec son émission sur le cinéma réalisé par des amateurs à travers le temps fait de la prospection à la recherche de films, tombe parfois sur des documents en mauvais état ou sur un support ancien, ils font appel à nous pour en assurer la restauration. Si les demandes peuvent venir des télévisions, elles émanent aussi parfois de chercheurs du monde entier qui, voulant effectuer un travail sur un film particulier, entraîne au préalable, de notre part, que nous assurions la restauration de cette oeuvre.

 

C. : Depuis quand la Cinémathèque Royale s'est-elle lancée dans le travail de restauration?
G. C. : Pratiquement depuis les débuts de la Cinémathèque. La seule chose c'est que ce travail a beaucoup évolué à travers le temps. Il a pris diverses formes qui sont devenues de plus en plus élaborées au fil du temps. En fait le premier service de restauration de la Cinémathèque a été hébergé par le laboratoire Meuter. La Cinémathèque - je parle là des années soixante - n'avait pas les moyens de posséder son propre laboratoire à cette époque. Il y quarante ans, nous avions exactement UNE personne qui travaillait pour nous dans ce domaine chez Meuter où elle pouvait disposer des moyens techniques et de la logistique de cette société. Et puis, petit à petit, cet aspect du travail de conservation a pris de l'importance jusqu'à devenir une priorité pour nombre de Cinémathèque à travers le monde Des machines ont été mises au point que nous avons cherché à acquérir afin de créer notre propre laboratoire. Nous étions motivés aussi par le fait que les laboratoires, qui développaient et tiraient les copies des films, étaient amenés à abandonner progressivement le noir et blanc...

 

C. : Aujourd'hui, à la Cinémathèque, combien de personnes travaillent-elles sur la restauration des films ? Quelle formation possèdent-elles?
G. C. : Elles sont quatre dirigées par quelqu'un qui a fait l'Inraci, une école de cinéma, en orientation technique. L'un d'entre eux a fait une formation en photo, les autres ont été formés sur le tas. Beaucoup de nos collaborateurs, dans tous les domaines, ont appris ce qu'ils savent par les plus anciens. Il n'existe pas vraiment d'écoles où l'on forme les gens à la restauration des films comme on le fait pour la peinture...

 

C. : Vos moyens financiers se sont améliorés depuis la grave crise que vous avez traversée, il y a quelques temps. Qu'est-ce que la relative aisance que vous connaissez aujourd'hui vous autorise maintenant à faire qu'il vous était impossible d'entreprendre auparavant ?
G. C. : L'augmentation de la subvention, qui date du début d'année mais ne s'est concrétisé matériellement qu'au mois d'avril, nous à permis de mettre au point un plan financier qui porte essentiellement sur trois secteurs : la conservation, la restauration mais aussi la documentation. Notre centre de documentation est, désormais, réouvert après que nous avons pu, enfin, effectuer les travaux nécessaires à l'informatisation de nos archives. Du côté conservation nous avons pu engager du personnel supplémentaire afin d'accélérer toutes les tâches liées à la conservation qui devenaient urgentes. Au niveau de la restauration nous avons pu également engager une personne de plus. Et puis, grâce, à l'aide fédérale mais aussi à un projet européen au sein duquel nous travaillons avec nos partenaires étrangers, nous avons maintenant des moyens un peu plus conséquents pour mener une étude sur la numérisation. Le passage au digital est le grand défi que nous devons relever dans le domaine de la conservation des films, la restauration constituant une partie de cette activité. Mais nous avançons avec précaution. Nous ne sommes pas prêt à sauter le pas dans l'immédiat, à la fois parce que ça demande une nouvelle conception de la restauration et parce qu'il subsiste certaines interrogations sur la fiabilité de la numérisation. Ces moyens vont être consacrés, dans les deux prochaines années, à l'étude de ce problème car toutes les Cinémathèques sont confrontées à la même interrogation et aux même craintes. Car, évidemment, personne d'entre nous ne veut s'engager à la légère et découvrir, à un moment, qu'il a fait fausse route...

 

C. : J'ai eu l'occasion d'interviewer Nathanaël Karmitz au sujet de la restauration du « Dictateur » de Chaplin et il me disait que pour son père, Marin Karmitz, et lui-même, restaurer un film signifiait d'abord rendre disponible au plus grand nombre et dans les meilleures conditions, les chefs-d'oeuvre du cinéma...
G. C. : Oui, bien sûr. Je pense que, pour ce qui nous concerne, le musée remplit sa fonction de vitrine de la collection de la Cinémathèque, mais je pense aussi que les classiques ont leur place dans tous les secteurs de la diffusion des films, que ce soit dans les salles, à la télévision. La restauration et la ressortie en salle d'un film comme « Playtime » fait partie d'une démarche dont nous sommes solidaires et, pour ce film en particulier, partenaires puisque nous en avons acheté une copie en 70 mm qui nous permettra de le montrer, lorsque l'occasion s'y prêtera, dans le format voulu par Tati.

 

C. : Le film, à Bruxelles, a été projeté au « Flagey ». Deux autres films de Tati (« Les Vacances de M. Hulot » et « Mon oncle ») y sont présentés en séances à horaires fixes avec des copies qui viennent de chez vous. Est-ce que ce partenariat va se prolonger ou n'a-t-il été que ponctuel ?
G. C. : En principe, l'expérience va se prolonger. Nous avons élaboré en partenariat avec Flagey, pour les mois à venir, une programmation qui reposera pour moitié, sinon plus, sur des rééditions de classiques. Nous avions le désir de montrer nos collections dans d'autres lieux que le Musée du Cinéma et Flagey nous semblait l'endroit approprier pour la qualité des projections et aussi l'intérêt que le lieu semble susciter auprès du public. Et puis, la multiplication des séances doit permettre de gagner un public plus large pour lequel l'accès au Musée du Cinéma était difficile, notamment à cause de la projection unique. Pour le reste nous nous réjouissons de la sortie du Chaplin. Nous n'avons rien à voir dans celle-ci, mais il se trouve que le laboratoire italien avec lequel les Karmitz ont travaillé est un de nos partenaires dans le projet que je viens d'évoquer. Vous voyez que le monde est petit. C'est un excellent laboratoire et ils ont fait un très bon travail pour l'édition numérique. Moi, j'espère surtout que ça va marcher dans les salles. Pour terminer sur le sujet Tati, nous montrerons, dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts, « Jour de fête » dans sa version couleur à la fin novembre.

 

C. : Parmi les restaurations que vous avez menées à bien, à ce jour, en existe-t-il une dont vous êtes particulièrement fière ?
G. C. : Ça il faudrait le demander aussi à notre chef de laboratoire car il y a au moins cinquante titres dont il est très fier (rires). Je crois que l'un de ceux dont nous pouvons être le plus légitimement fier, parce que c'est un des titres les plus célèbres de l'Histoire du cinéma et, qu'à priori, il n'aurait pas dû être nécessairement restauré par nous, se nomme  Le Cabinet du Docteur Caligari. Nous possédions beaucoup de matériel sur le film, comme une copie teintée d'origine. Et ça a été un gros travail. Sur le plan local, nous avons assuré la restauration d'un documentaire sur le voyage du roi Baudouin au Congo. Cela a représenté un très gros travail, car le film était en couleur et il les avait toutes perdues. Nous les lui avons rendu et il en existe maintenant une belle copie. Bien entendu, il n'y a pas de comparaison possible entre les deux, mais le film belge est important pour notre Histoire. Il faut souligner que nous ne travaillons pas seulement sur des films de fiction mais aussi, comme nous disons dans notre jargon, sur des films de "non-fiction" qui sont aussi important à restaurer et à conserver ne serait-ce que pour leur valeur de témoignage...

 

C. : Il existe aussi, en Belgique, depuis quelques années, le « Fonds Myriam Garfunkel » qui est consacré à la restauration des films et qui, je crois, vous aide dans votre travail...
G. C. : Oui, tout à fait. Ce fonds nous offre chaque année une somme variable mais qui tourne autour de 7500 euros. Cette somme contribue à la restauration d'un film par an choisit en concertation avec les administrateurs de ce fonds. Dans les deux dernières années, nous avons choisi de travailler sur les émissions réalisées, pour la RTBF dans un cas et la VRT dans l'autre, par André Delvaux. Des émissions consacrées l'une à Fellini, encore au début de sa carrière - très longue, d'une durée de plus de quatre heures avec beaucoup d'interview du cinéaste et de ses collaborateurs -, et l'autre à Jacques Demy pendant le tournage des  Demoiselles de Rochefort. Ce sont des documents historiquement tout à fait passionnant car ils explorent très longuement leur sujet - à l'époque la télévision prenait son temps. Ils constituent, avec un luxe de détails inouïs, une mine de renseignements et de connaissances rares sur deux grands cinéastes aujourd'hui disparus.

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