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Gabrielle Claes - La Cinémathèque royale de Belgique

Publié le 01/12/1996 par Philippe Simon / Catégorie: Entrevue

La mémoire du cinéma

La Cinémathèque Royale de Belgique est riche de milliers de kilomètres de pellicule. Ce temple du celluloïd est la caverne d'Ali-Baba des cinéphiles et des jeunes réalisateurs qui ont sans doute connu leur premier coup de coeur cinématographique dans les fauteuils orange de la salle de projection du Musée du cinéma. Après Jacques Ledoux que nous avions longuement interrogé jadis (cf. Cinergie nos 40, 41, et 42), nous avons demandé à Gabrielle Claes, directrice de la Cinémathèque royale de Belgique, de faire un tour d'horizon des collections et de leur état de conservation.

Gabrielle Claes - La Cinémathèque royale de Belgique

Gabrielle Claes 

L'essentiel de l'activité d'une cinémathèque consiste en un travail de collecte et d'archivage de films. Il faut savoir qu'il n'y a aucune obligation légale pour les producteurs ou les cinéastes de conserver leurs films. Aussi devons-nous les persuader de nous confier leur matériel en vue de sa préservation. Le cinéma, en Belgique, est une toute petite industrie où se produisent souvent des films sans beaucoup de moyens, avec une ou deux copies au maximum et donc d'une très grande fragilité. Beaucoup de cinéastes n'ont pas le temps ni les moyens de s'occuper de leurs films après leur circulation, d'où perte de films, parfois intéressants. Par exemple, nous sommes, pour l'instant, en train de travailler sur une rétrospective Chantal Akerman. C'est l'occasion de passer en revue les films que nous possédons déjà et ceux qui nous manquent encore. Et nous découvrons qu'il existe des films dont personne ne sait ce qu'ils sont devenus. Donc recherches, enquêtes et collectes sont liées à l'archivage proprement dit. Dans le cas des productions étrangères, les distributeurs nous déposent le matériel dont ils n'ont plus l'usage, l'exploitation d'un film terminée. Encore une fois, rien ne les y oblige. Ce dépôt est le résultat de notre travail auprès des producteurs et n'a pu voir le jour qu'après de nombreuses années de présence, de constance et de rigueur de notre part. Les films déposés, nous les stockons, dans des conditions adéquates pour assurer une conservation maximale. Ce premier stade de conservation est ce que nous appelons, dans le jargon des cinémathèques, la conservation passive des films. Nous les entreposons à basse température, surveillons le degré d'humidité afin que leur décomposition se fasse le plus lentement possible. Nous savons aujourd'hui que toutes les pellicules se décomposent, qu'elles sont toutes vouées à un processus qui débouche à plus ou moins long terme sur la disparition. 

Restauration

L'étape suivante est ce que nous appelons la restauration. Là, il faut agir. Dans le cas de copies très anciennes, et plus particulièrement les nitrates, il arrive un moment où il nous faut intervenir sous peine de mort certaine du film.
Question critères de sélection, la production nationale est une priorité. La question de savoir si un film belge est bon ou mauvais ne se pose pas. Il est belge, cela suffit, c'est important par définition.
Pour les productions étrangères, le premier critère reste la rareté.
Nous nous informons auprès des cinémathèques où nous supposons qu'existerait une autre copie du film peut-être en meilleur état. Par exemple, dans le cas d'un film français, nous contactons la cinémathèque française pour voir ce qu'ils ont, dans quel état, ce qu'ils ont fait. Si la réponse est positive, notre copie du film peut mourir car nous savons qu'ailleurs il est sauvegardé. Mais les informations ne sont pas toujours faciles à obtenir. L'enquête prend du temps. Le propre des films est de circuler : si un film français n'existe plus en France, rien ne dit que nous n'en trouverons pas une copie en Russie. Cela suppose des échanges d'informations entre cinémathèques. Mais ne confondons pas échange d'informations et circulation de copies. Si nous savons qu'une copie existe, rien n'indique qu'elle va pouvoir être montrée. Les politiques des cinémathèques en matière d'échanges de films conservés sont variées et inégales. Elles sont fonction de leur attitude à l'égard des sacro-saints ayants droit, producteurs, mandataires de producteurs, etc. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons avec les films. Ils sont en dépôt et nous n'en sommes pas propriétaires. Pour en revenir à la restauration, j'ai parlé de la rareté, mais il ne faut pas oublier l'incidence de nos possibilités financières. Nous ne disposons pas d'un budget suffisant en regard du travail à faire. Une restauration coûte très cher et nos moyens financiers nous imposent parfois des choix qui sont déterminés par la rareté du film mais aussi par son intérêt. Intérêt artistique, historique, sociologique, etc.

Projection et programmation

Et nous en venons logiquement à la partie programmation de notre activité. Si stocker des films constitue une mémoire passive du cinéma, la programmation au musée du cinéma nous permet de rendre vie à cette mémoire et l'intérêt d'un film peut naître, être fonction de cette activité de programmation. Prenons le cas de la rétrospective Michel Simon. Elle nous amène à établir une état des lieux de nos collections en la matière et nous incite à faire des restaurations ou à acquérir des copies que nous ne possédons pas encore. Il y a là une relation dynamique et positive entre la programmation et la collection. Le côté aléatoire de la collecte suppose des lacunes et des manques, parfois importants. La programmation nous force à les combler. Elle nous amène aussi à vérifier l'état des films et à mettre de l'ordre dans nos collections. Bien sûr nous n'avons pas besoin de programmer une rétrospective Michel Simon pour voir ce qui nous manque mais c'est une façon de travailler, une espèce de mise à jour qui fonctionne, un parcours permanent de la collection qui la fait évoluer et lui donne un côté vivant. Il y a une immense ambiguïté à propos du cinéma. Certains militent pour sa défense, présupposant que le cinéma est un art. Or, tout le monde sait que le cinéma n'est pas seulement un art, c'est aussi un commerce, une industrie. Jouer cet aspect lors de la programmation est indéfendable. Inversement, certaines cinémathèques ont tendance actuellement à montrer n'importe quoi, sous prétexte que c'est ancien, rare et récemment retrouvé, restauré. A terme cette démarche devient ingérable. Parce que ce n'est pas vrai que tous les films sont également intéressants. Bien sûr, il y a la démarche sociologique qui lit les films comme des documents mais parlons-nous encore de cinéma ? La philosophie de certains pionniers des cinémathèques exigeait une absence totale de sélection dans la collecte des films et leur conservation. Il fallait tout prendre, sans se poser de question. Et je trouve que cette absence de sélection dans l'archivage reste une bonne chose. S'interdire des choix ou des sélections préalables au niveau de la conservation est primordial parce qu'il faut donner à chaque film la chance de trouver sa place, son histoire et personne ne peut décider à l'avance si un film est, deviendra important ou non. Mais au moment de programmer, la sélection devient indispensable.

Ouverture et décentralisation

Depuis quelque temps, nous essayons de multiplier les projections hors musée pour plusieurs raisons. Il nous faut d'abord répondre à ceux qui reprochent à la Cinémathèque d'être trop fermée, peu accessible et de ne concerner qu'un cercle assez réduit de cinéphiles. Ensuite, nous voulons toucher d'autres publics. Montrer des films à des gens qui ne franchissent jamais le seuil du musée. Et cela n'est possible que si nous sortons du cadre du musée. Nous sommes dans une période où l'événementiel a son importance et si nous voulons manifester notre existence, nous devons nous inscrire dans cette pratique culturelle. Je n'aime pas le mot, je n'aime pas la chose mais je reconnais que, dans le meilleur des cas, l'effet bénéfique est certain. Un autre aspect de notre désir d'ouverture se retrouve dans nos projets de décentralisation. Suivant en cela l'évolution politique du pays, nous avons fait des efforts pour, dès à présent, décentraliser notre activité de projection sans pour autant décentraliser la collection. Nous avons ouvert un autre musée du cinéma à Anvers en septembre dernier. Ce musée fonctionne sur la collection de la cinémathèque mais avec une programmation spécifique qui s'inspire parfois de ce que nous faisons ici, à Bruxelles, mais qui en général développe sa propre démarche en fonction de son public.

Cinéma et vidéo

Notre travail concerne essentiellement la pellicule. Nous restons dans une approche du cinéma liée à cette notion de pellicule. Donc tout ce qui relève de la vidéo ne nous touche pas directement. De toute façon, il s'agit de deux métiers différents. Les normes de conservation de la vidéo ne sont pas celles de la pellicule et pour bien faire, il faudrait créer un lieu permanent où conserver et montrer la vidéo comme travail original: les vidéo art, les documentaires, etc. La Belgique compte des vidéastes de talent qui ont fait et font encore un travail de pionnier dans ce domaine et c'est dommage qu'il n'existe pas un endroit où cela puisse se voir de façon permanente.

Je crois qu'il y a une esthétique liée à la pellicule. Comme je crois qu'il y a une esthétique cinéma et une esthétique télévisuelle. Le monde des images n'est plus l'apanage du cinéma. Il n'en est plus qu'une petite partie. De nouvelles techniques audiovisuelles ont limité, réduit et précisé son territoire et ce mouvement ne peut aller qu'en s'accélérant. Le fait qu'aujourd'hui le cinéma occupe un espace restreint en termes de rentabilité aide sans doute à sa particularité. Mais si à moyen terme un tel phénomène peut être intéressant, je ne vois rien qui pourrait entraver le rétrécissement de la place qu'il occupe dans l'audiovisuel et à long terme, je crois qu'il est appelé à disparaître doucement et simplement.

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