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Rencontre avec Gabrielle Claes à propos de la CINEMATEK

Publié le 15/03/2012 par Lucie_Laffineur, Arnaud Crespeigne et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Gabrielle Claes, conservatrice de la Cinémathèque Royale de Belgique jusqu'en décembre 2011, devenu CINEMATEK, nous a accordé un entretien, comme nous l'avait offert jadis Jacques Ledoux, auquel elle avait succédé. Nous avions choisi 5 photos de films programmés en janvier-février 2012.

Gabrielle Claes les a commentées, images après images, dans notre entretien filmé. Ensuite, nous avons abordé quelques étapes d'un parcours qui suscite l'admiration des conservateurs des cinémathèques européennes.

Cinergie : Quels sont les moyens que la Cinémathèque a mis en œuvre pour faire circuler les films en sa possession et les diffuser auprès du plus grand nombre ?
Gabrielle Claes : Jacques Ledoux avait déjà le souci de la pédagogie. N'oublions pas qu'à l'époque où la Cinémathèque a ouvert ses portes, il n'existait pas d'école de cinéma dans le sens théorique du mot. L'INSAS en était à ses débuts, et les cours d'analyse du cinéma n'étaient pas très avancés. Ledoux a tenu tout de suite à mettre en place un cours d'histoire du cinéma. Ce cours ne donnait pas de diplôme, il ne fallait pas s'y inscrire, ni passer d’examens. Il était ouvert à tout le monde. Denis Marion, journaliste chroniqueur pour le journal Le Soir, donnait ce cours à la Cinémathèque ainsi qu'à l'ULB d'ailleurs. Très vite, ce cours historique a été complété par un autre cours appelé analyse cinématographique qui avait l'intention de comprendre et d'apprendre à regarder des films. C'était un cours de grammaire du cinéma, donné par Adelin Trinon, enseignant à Liège, et par la suite à l'INSAS. C'est à la Cinémathèque qu'il a développé son cours d'analyse cinématographique. Avec ces 2 cours ouverts au public qui comptaient une trentaine d'heures chacun sur l’année, on avait une sorte d'initiation à l'histoire et à la grammaire du cinéma. J'ai découvert ces cours en les suivant, car je m'intéressais au cinéma.N'oublions pas que dans les années 60, il n'y avait pas de DVD, et la télévision ne montrait pas systématiquement des films. On apprenait en regardant des films, on avait besoin d'une conceptualisation, et c'était très passionnant, car tant Marion que Trinon avaient largement recours à des fragments qui illustraient les figures de style des montages. En 2008, 2009, au moment où on a voulu transformer l'ancien Musée du cinéma, la question de la pédagogie a été longuement débattue au sein de l'équipe de la Cinémathèque. Aujourd'hui, le seuil du noir et blanc et du cinéma muet est difficile à faire franchir aux jeunes. Ils craignent de trouver ces films démodés, trop vieux. Sentiment que, moi en tout cas, je n'avais pas à mon époque. C'est pour cela que les cours d'histoire du cinéma à la Cinémathèque sont plus nécessaires que jamais, en dépit du fait que les études du cinéma se sont multipliées dans les hautes écoles.
De même, dans les années 90, nous avons mis en place des séances pour enfants, ce que nous ne faisions pas dans le passé. Auparavant, quand nous projetions un Laurel et Hardy, la salle était pleine d'enfants qui se tordaient de rire et en sortaient ravis.

 

C. : Tu as été l'une des premières à estimer qu'il fallait s'intéresser au numérique, qu'il allait devenir important. Et on voit bien aujourd'hui que c'est exact.
G.C. : Je me suis intéressée à ce développement au début des années 90, par inquiétude. On ne savait pas si c'était une mode passagère ou, au contraire, le début d'une nouvelle histoire du cinéma. Ce débat avait lieu au sein de la création cinématographique, il y avait les tenants du montage numérique qui trouvaient ça formidable, et ceux qui restaient attachés au maniement de la pellicule.
On sentait que quelque chose se passait, et il fallait essayer de comprendre. Au début des années 90, j'ai monté un projet de recherche sur le cinéma numérique avec Nicola Mazzanti. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris à mieux connaître Nicola. Les archivistes étaient très sceptiques pour la plupart. Ils doutaient de la qualité du numérique. Dix ans plus tard, nous voyons bien que la preuve est faite, en Belgique plus particulièrement. Nous sommes, après la Norvège, le pays le plus numérisé eu Europe en termes d'exploitation. Pratiquement toutes les salles sont numérisées, ce qui exclut la copie 35 mm. Dans les cabines de la cinémathèque, nous avons, bien entendu, maintenu le 35 mm et aussi le 16 mm : nous avons encore toute une collection de films à montrer en pellicule, mais dans les salles de cinéma, c'est soit l'un, soit l'autre. Et pour la plupart, c'est le numérique. Reste la question de la conservation qui, elle, n'est pas résolue. Au scepticisme a succédé un optimisme béat, le sentiment qu’avec le numérique, tout est résolu ! Depuis, on a eu le temps de déchanter. On s'aperçoit déjà que conserver le numérique sur le long terme n'est pas si facile que ça. En 30 ans de numérique, on a déjà vu défiler pas mal de formats, et ce n'est pas terminé ! Rien que cette variable est une complication de conservation et de stockage. Le grand défi pour une cinémathèque, c'est la coexistence des deux matériaux, ce qui implique un double métier, une double expertise, un double budget. S'il y avait encore des doutes sur la pérennité de la pellicule, la faillite de Kodak, le plus grand fabricant de pellicule au monde est un signal que l'on ne peut pas ignorer.

C. : Mais on ne peut pas dire que la pellicule ait disparu des tournages.
G. C. : Je ne doute pas qu'on continue à fabriquer de la pellicule de la même façon qu'on a même recommencé à fabriquer des disques vinyles, mais ça reste une niche. Je suppose qu'il en sera de même pour la pellicule. Il y a encore des cinéastes qui restent attachés au noir et blanc, alors que l'écrasante majorité des laboratoires est exclusivement passée à la couleur. En dépit des qualités évidentes du numérique, il est évident que la pellicule a des propriétés propres, et certains cinéastes, comme certains photographes, y sont attachés. Mais il est clair que, massivement, ils optent pour le numérique. 

C. : À Cinergie, nous essayons un peu de faire de ce que vous faites, à savoir faire découvrir le cinéma aux jeunes. Que pourrais-tu dire à cette jeune génération d'internautes ?
G. C. : Ce qui est formidable avec le développement du numérique, c’est qu'on a accès à tous les films, même si des mesures ont été prises sur Internet pour restreindre cette facilité. C'est un saut formidable pour ceux qui aiment le cinéma. Moi-même, lorsque j'ai commencé à aimer le cinéma, il y a 40 ans, en dehors des films projetés dans les salles, il fallait que j'attende qu'un film soit programmé à la Cinémathèque ou qu'une télé le diffuse. Aujourd'hui, l'accès est beaucoup plus facile grâce au DVD notamment, à tous les médias numériques, que ce soit Internet ou la vidéo à la demande. Le cinéma est à portée de main : ce qui inquiète les cinémathèques qui craignent de perdre leur public. Et, en effet, il est possible que notre salle de cinéma, ici, deviendra un lieu symbolique, et peut-être que ce sera la dernière salle à diffuser des films en 35 mm ! Ce n'est pas grave, car il faut que le dispositif soit maintenu, mais ce n'est pas l'essentiel. Ce qui compte, c'est que le cinéma existe encore et toujours. Certains sont scandalisés par le fait de pouvoir voir un film sur un ordinateur ou une tablette ou encore sur un téléphone. C'est juste une autre façon de voir le cinéma. Cela me rappelle une réflexion de Godard qui disait « Moi, j'aime bien entrer au milieu d'une séance au cinéma, comme ça, je ne me laisse pas happer par la narration, j'entre, et je ne sais pas ce que ça raconte ». Et pourquoi pas ? C'est une autre façon de voir le cinéma. On vit aujourd'hui une époque formidable où le cinéma est a porté de main, et j'espère que ça donnera aux jeunes d'autant plus envie de le découvrir.

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