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Entrevue avec Louis Héliot

Publié le 01/05/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Louis Héliot à qui l’on doit de nombreuses rétrospectives et la création de quelques festivals dont Le court en dit long (13ème édition du 30 mai au 4 juin 2005) est le pivot du secteur cinéma du Centre Wallonie-Bruxelles de Paris. L’activité débordante de ce passionné de cinéma à l’emploi du temps surchargé n’a fait que renforcer notre désir de le rencontrer. Il a immédiatement accepté un entretien, ignorant qu’aller à Cinergie c’est grimper l’Everest !

Entrevue avec Louis Héliot

Fin avril, sitôt quitté le Talys, Louis Héliot, monte quatre à quatre les étages pour nous rejoindre dans notre sanctuaire. Un effort que nous faisons nous-même chaque jour avec en prime le chœur de nos stagiaires : « C’est excellent pour le cœur !» Certes ! Essoufflé, il préfère l’eau minérale au café, enlève sa veste de cuir noir, défait les boutons du col de sa chemise immaculée, s’éponge le front à l’aide d’un mouchoir en tissu et entre tout de suite dans le vif du sujet.

 

« Ah, le cinéma lorsque j’étais enfant… (il lève les yeux au plafond)… c’était un loisir interdit à la maison. Le paternel ne voyait pas l’intérêt de payer une place de cinéma puisque le film allait passer à la télévision quelques années plus tard ! Mais ma mère regardait les ciné-clubs du vendredi soir (A2) et du dimanche soir (Fr3). De temps en temps je me glissais sous sa chaise.

 

Sinon, le cinéma est venu bien après, pendant mes deux années préparatoires à la Normale Sup. Dés l’année d’hypokhâgne, j’avais un condisciple qui avait des lacunes en orthographe, ce qui ne pardonne pas. On a passé un deal. Je lui corrigeais ses fautes d’orthographe, suivant les règles élémentaires de grammaire et en contrepartie il m’emmenait le samedi soir au cinéma. Lui était cinéphile ayant eu des parents cinéphiles. On a commencé par voir tout Fellini dans une salle du quartier latin à Paris, puis tout Bergman au Saint-André des Arts et Tout Eisenstein à L’Epée de bois. »

 

Il parle avec précision, un débit ample derrière des yeux pétillant de malice qui observent les réactions de son interlocuteur. Ses mains appuyant ses dires, d’autant qu’elles manipulent une cigarette à bout filtre extraite d’un paquet de Chesterfield cartonné.

 

« Dans les films qui m’avaient marqués Un soir, un train reste un choc. Je l’ai vu lorsque j’avais dix, douze ans et c’était dans un ciné-club en télévision. Sinon, je vous rassure, je ne suis pas monomaniaque. Le Cuirassé Potemkine et Alexandre Nevski restent de petits bijoux et Laurence d’Arabie de David Lean est même un bonheur tactile du cinéma. Ensuite lorsque j’ai commencé à m’occuper du cinéma, j’ai fait la rencontre de Michel Cauléa à qui je dois beaucoup Une rencontre déterminante puisqu’elle m’a fait comprendre que les créateurs, au cinéma, avait besoin qu’on s’occupe d’eux. Cela s’est passé de la même façon pour Remy Belvaux et les frères Dardenne à une époque ou personne ne désirait distribuer Je pense à vous. Les premiers à m’avoir demandé un coup de mains pour leur conseiller un distributeur ce sont eux. À l’époque de La Promesse, après les projections à la Quinzaine des réalisateurs, au Festival International du Film  de Cannes, il y avait six distributeurs français qui faisaient des propositions. Quatre ans avant, on les avait tous rencontrés, et ils avaient tous refusés Je pense à vous  – l’un d’entre eux s’exclamant : « Je préfère quand même Ken Loach » !

 

Les phrases s’envolent, galopent, se bousculent, la cigarette se consume au risque de brûler les doigts de Louis Héliot. Celui-ci vient d’un milieu musical et a fait des études littéraires. Il s’est intéressé, à ses débuts, tout particulièrement à la littérature belge d’expression francophone à une époque ou celle-ci ne faisait pas une double page dans Le Monde des livres et surtout n’était pas enseignée, comme ne l’est toujours pas la syntaxe cinématographique, en milieu scolaire. Il décide de faire une Anthologie de cette littérature en rencontrant la plupart des écrivains belges vivants.

 

 

« Mais je n’enregistrais pas, ajoute-t-il goguenard, en fixant votre serviteur, ce qui leur permettait de se laisser aller et dés que je les quittais je prenais des notes. Je me souviens de Suzanne Lilar me parlant plus de Gorbatchev que de ses écrits. Cette passion des lettres l’a rapproché d’André Delvaux. « Certains me disaient : « tu es ami avec André Delvaux ! mais c’est un professeur dur ». Comme je n’ai jamais été son élève je n’avais pas ce genre de souci. Ensembles, on parlait de musique, de littérature, de cinéma, du sien et de celui des autres. Même chose avec  Henri Storck pour qui on a organisé plusieurs rétrospectives. À la fin de sa vie, il a pu voir à sa façon, puisqu’il ne voyait quasiment plus rien, Rosetta, chez lui en K7, avec les frères Dardenne. Louis Héliot, c’est l’anti-Keaton, expansif, volubile, il nous explique que sa passion du cinéma s’est développée grâce aux rencontres humaines. « Il y a des rencontres qui changent la vie d’un homme. J’ai travaillé un an et demi pour organiser une rétrospective de Jacques Feyder pour les cinquante années de sa disparition et cela a donné lieu à la publication d’un numéro spécial de la revue 1995. L’Atlantide de Jacques Feyder ayant été l’un des grands chocs de ma vie. ».L’art des rencontres, donc. De ses amis proches, Michel Cauléa, Remy Belvaux, Frédéric Fonteyne et Joachim Lafosse, il doit être le plus bavard, lui disons-nous par provocation (après le coup de l’enregistreur). « Jamais, s’exclame-t-il, pas démonté pour un sous,  lorsque je suis en compagnie de Michel Cauléa, c’est lui qui, non seulement parle sans cesse mais mime ce qu’il a imaginé. Je vous rassure, il a un scénario  formidable. Patience, cela va être très bien. Je sais que vous attendez avec impatience la suite de son travail et vous n’êtes pas le seul. Mais je vous rassure, cela s’annonce bien.

 

Contrairement, à ce que vous pensez, je ne suis pas un grand bavard dans la vie… (retour de service pour votre serviteur qui amorti la balle)… Je suis plutôt un taiseux. C’est parce que vous me posez des tas de questions auquel j’essaie de répondre. Quand je suis avec Frédo (Frédéric Fonteyne), on a des échanges comme deux personnes qui se rencontrent et discutent. Je suis content parce que j’ai l’impression pour certains de faire partie de la famille ». Le cinéma est, en effet une grande famille même si elle a des clans. « Je ne viens pas assez souvent en Belgique, conclut-il, il faut que je découpe mon emploi du temps en tranche d’un quart d’heure pour contenter tout le monde et que c’est insupportable. Parfois je suis copain avec des gens qui ne s’entendent pas, c’est moins drôle. Je n’ai connu ni Emile Cantillon, ni Jacques Ledoux mais j’ai l’impression qu’eux aussi étaient l’ami de beaucoup de monde. » On tombe d’accord sur le fait qu’il ne serait peut-être pas inutile que les réalisateurs apprennent, au cours de leur cursus, à parler en public lorsqu’ils présentent leur film ou participent à un débat après la projection de leur film. La manière la plus efficace, plus attractive que n’importe quelle campagne de marketing de piquer la curiosité du public. « La plupart marmonnent, précise-t-il,  Le public n’entend pas grand-chose. Ce n’est pourtant pas compliqué. Mais il y a tellement de choses à faire dans le cinéma belge que ce n’est peut-être pas une priorité (rires). Pour Le Festival Le court en dit long, ils savent que je leur pose une question à la fin de la projection. Ils me demandent laquelle. Je leur réponds que je ne sais pas, que je ne fais pas de fiches mais que de toute façon il ne s’agit pas de les mettre en difficulté qu’ils ont de toute façon la réponse. On est là pour les mettre à l’aise, leur rendre service. Lorsque certains films sont achetés (l’an dernier 24 l’ont été par les télévisions françaises sur 48) on ne prend pas de commissions" dit-il, en pivotant et s’adressant à un public imaginaire de producteurs-réalisateurs. "Tout va au producteur ou à l’ayant droit. Evidemment ! Il ne manquerait plus que cela ! Pour ceux qui ne sont pas vendus tout de suite, je continue à m’en occuper quinze jours après, ensuite Nathalie Meyer prend le relais. C’est sa fonction. Elle fait cela très bien. Et puis, c’est aux producteurs de faire leur boulot. Sinon cela ne s’arrête jamais c’est une particularité de l’activité cinématographique que vous connaissez aussi bien que moi." En effet, c’est notre drogue !

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