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Louis Héliot, fondateur et programmateur du 28e Festival Le Court en dit long à Paris, du 1er au 6 juin 

Publié le 28/05/2020 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

« Le vivier du court-métrage belge reste intéressant »

 

Organisé chaque année à Paris depuis 1993 au Centre Wallonie-Bruxelles (CWB), le Festival Le Court en dit long vivra cette année son édition la plus particulière, puisque face aux circonstances liées au COVID-19, c'est exceptionnellement via une plateforme virtuelle que se tiendra cet événement, dédié à promouvoir les courts-métrages belges francophones. 

 

Comme chaque année, on y retrouvera une trentaine de films et un jury de cinq personnalités : les comédien(ne)s Arthur Dupont et Pauline Etienne, ainsi que le réalisateur Gérard Pautonnier, Michelle Van Brussel (cheffe maquilleuse et scénariste) et Annette Trumel (directrice de distribution artistique). 

 

Entretien avec Louis Héliot, pilier du festival et visage incontournable du cinéma belge depuis de nombreuses années.

Cinergie : C'est donc sur Internet que vous avez décidé d'organiser cette édition 2020...

Louis Héliot: Oui. Après ce coup de massue reçu il y a deux mois, comme un peu tout le monde dans le secteur, il s'agissait de vite relever la tête, surtout pour garder le lien avec les artistes et le public du Centre Wallonie-Bruxelles (CWB), qui reste actif toute l'année à Paris. Pour Le Court en dit long, dès l'instant où tous les partenaires (Be TV, Centre du Cinéma, RTBF, Sabam, SACD...) maintenaient leurs dotations pour le festival, il nous semblait indispensable de l'organiser. Aussi pour faire découvrir les films glanés tout au long de l'année et pour proposer un palmarès. Car même si nos cinq prix ne dépassent pas les 2.000 euros, ils seront précieux pour les futurs lauréats. Donc, plutôt que d'essayer vainement de faire un festival avec une poignée de spectateurs dans une salle, en étant de toute façon sûrs de ne pas avoir ce côté convivial, on s'est dit qu'une version "online" (ou "streaming") était sans doute la meilleure des… moins mauvaises solutions !

 

On est pas près d'être des super-hérosC. : Le tout donc, via une plateforme virtuelle spécialement créée pour l'occasion ?

L.H. : Voilà. Elle a été mise en place par une équipe de communication qui a fourni un travail monumental et formidable en amont. Elle sera gratuite pour les utilisateurs. Alors bien sûr, on ne valide pas que la culture soit un bien gratuit, mais c'est nous, le CWB, qui en assurons tous les frais. Cette mutation en ligne pose la question d'un Internet sans frontière, mais ce n'est pas le cas : ce festival belge ayant la particularité de se tenir traditionnellement à Paris, la plateforme ne sera accessible qu'au public français. Car voilà, nous avons aussi à respecter des autorisations d'ayants-droits et la chronologie des médias existant en France. D'autant qu'au calendrier, nous arrivons en temps normal après le Brussels Short Film Festival, qui a été annulé au printemps (NDLR: ce dernier se tiendra finalement du 2 au 12 septembre). Je regrette cet aspect pour les équipes des films et pour les nombreux professionnels belges qui se déplaçaient habituellement, mais on devrait par contre toucher un public français plus large que d'habitude. Pour qui nous avons pris l'option de rendre les films accessibles à travers six programmes. Un menu différent sera proposé tous les jours, entre 8 et 23h30.

 

C.: Bref, on peut parler d'une préparation radicalement différente qu'habituellement...

L.H.: Oui. L'idée était aussi de faire de cet "accident" quelque chose de positif. Alors bien sûr, nous avons dû mettre entre parenthèses certaines activités impossibles à organiser en ligne, comme un atelier de jeu pour acteurs ou une programmation en réalité virtuelle. Mais cela ne nous a pas empêché d'imaginer une soirée d'ouverture, elle aussi virtuelle, en compagnie de Jean-Benoît Ugeux, un comédien et créateur multiforme, qui organisera un DJ Set, histoire de faire un peu la fête, en France mais aussi en Belgique. Et pareil avec la clôture où là, nous aurons un concert de Benjamin Schoos pour assurer l'ambiance. Tout en restant chacun chez soi, donc.

 

Ce qui reste de Hugo SalvaireC.: À propos de la sélection : vu vos 34 films présentés, soit votre moyenne habituelle, elle a pu se concocter sans trop de difficultés ?

L.H. : À ce niveau, tout s'est mis en place comme d'habitude, le volume de production de l'année écoulée en Belgique francophone étant comme toujours d'une centaine de courts-métrages. On a même la chance d'avoir une bonne cuvée, entre avant-premières, films terminant leur carrière, ceux d'étudiants, les films d'atelier et les auto-productions. La Fédération Wallonie-Bruxelles maintient une grande qualité dans les écoles traditionnelles (HELB, IAD, INSAS, La-Cambre), et je tiens à souligner le travail récent fait à Namur par la Haute École Libre Albert Jacquard. On a de la ressource et les thématiques restent variées, bien que je constate voir de moins en moins de comédies. Cela fait donc sens qu'on consacre un programme à ce genre en hors-compétition, en marge du palmarès le samedi 6 juin, qui sera dédié aux vingt ans de Benzine Production, à savoir cinq films produits ou réalisés par Xavier Diskeuve. Ce sont des films qui ont toujours bien fonctionné dans les festivals, mais qui n'ont parfois plus été montrés depuis une dizaine d'années. Histoire de détendre un peu l'atmosphère...

 

C.: La bonne santé du court-métrage belge semblerait donc bien se confirmer, selon vous ?

L.H. : Le vivier reste intéressant, oui. Après sa nomination aux derniers Oscars avec Une Sœur, on a tous envie de voir ce que fera Delphine Girard dans le long-métrage, sans parler des débuts prochains de Emmanuel Marre, Emmanuelle Nicot ou de Bérangère McNeese (Matriochkas, en compétition), voire d'autres promesses comme Anaïs Debus (Qui vive, en comp.) ou Barney Frydman (Flash, en comp.), Christopher Yates (Détours, en comp.) et d'autres. J'ai déjà eu la chance de voir le futur 1er long (Une vie démente) du duo de court-métragistes Balboni-Sirot, qui est quand même très intéressant, avec quatre comédiens formidables. Idem pour le premier long-métrage de l'ex nommée cannoise Laura Wandel, qui est juste magnifique ! On est face à une génération qui n'a pas oublié que le cinéma était un art devant se tourner vers le public. C'est important, car un film n'est pas juste ce qu'on a envie d'écrire, de tourner et de fabriquer dans une salle de montage : il se fait aussi avec le spectateur dans la salle. Laissons le maximum de liberté aux créateurs ! Je reste donc optimiste pour l'avenir, en espérant que la profession puisse surmonter cette longue et délicate période et que les choses se décoincent un peu au niveau fédéral, et que les paroles deviennent des actes. Une chose est sûre, vu la suspension des tournages, on sait qu'il y aura moins de films l'an prochain. On avisera...

 

C.: Vous qui êtes en mouvement permanent dans des salles ou en festivals, entre la Belgique et la France, comment gérez-vous ces moments de… sédentarisation? 

L.H. : Je commence à avoir des fourmis dans les jambes (sourire), mais je suis content de ressortir dans Paris sans avoir besoin d'une attestation. La dématérialisation a des avantages écologiques, économiques ou même pratiques, mais on sait que rien ne remplacera jamais l'aspect humain. Ce qui me manque le plus, c'est bien la salle, car le plaisir d'aller dans un cinéma reste unique : pour l'image, le son, le fait de rire et de vivre des expériences collectives, ainsi que pour la perception qu'on a d'un film, et de la trace que celui-ci laisse dans la mémoire de chacun d'entre nous. Mais bon, disons-nous qu'à toute chose malheur est bon et essayons de tirer le meilleur d'Internet. En attendant...

https://lecourtenditlong.cwb.fr/

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