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Géraldine Doignon ou le cinéma par déclic

Publié le 11/12/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Géraldine Doignon est la troisième personne invitée à L’Envers du court. Comme dans son premier instantané Trop jeune, elle propose dans Comme personne un portrait de femme en prise avec le choix (la résignation ou la maturité) et la tentation de la limite. Rencontre avec une réalisatrice qui avait envie de chapitres dans son gros plan.

Souvenirs de films et de salles. Souvenirs de cinéma.


« Assez tôt, je me suis intéressée au cinéma. À 14-15 ans, je me suis surtout passionnée pour le cinéma américain : Hollywood, l’Age d’or, les films des années 40-50. J’allais 3 à 4 fois par semaine au Musée du cinéma, je me tapais tous les films en noir et blanc, les Orson Wells, les Mankiewicz et les Hitchcock. Au départ, j’étais centrée sur les comédiens. De fil en aiguille, en essayant de voir tous les films dans lesquels mes préférés avaient joué, je me suis intéressée aux réalisateurs. C’est vrai que j’ai « mangé » beaucoup de cinéma; du coup, j’ai commencé à situer les univers de chaque réalisateur et à en distinguer certains. Quand je suis sortie du lycée, j’avais envie de ne rien faire d’autre que de la réalisation. Je me suis rendu compte que j’avais trouvé ma manière de communiquer avec les autres à travers les films. À un moment, tu te demandes pourquoi ça te touche autant et plus qu’un autre médium. Moi, au cinéma, j’ai pleuré, rigolé et vécu des émotions incroyables. Ca m’a donné envie de passer de l’autre côté et de faire la même chose pour parler aux gens. »

Kieslowski. La vie.


« À 18 ans, je suis entrée à l’IAD, et j’ai commencé à avoir des auteurs préférés, notamment Kieslowski. Au Musée, j’ai vu Le Décalogue 3 et 4 [(« Tu respecteras le jour du Seigneur » et « Tu honoreras ton père et ta mère »] et j’ai eu une révélation. Je me suis dit : « c’est ce genre de films que je veux faire. ». Du coup, j’ai vu les 8 autres épisodes et mon mémoire de fin d’études a porté sur l’analyse de la narration, des scénarios et de la réalisation du Décalogue. Sur la première page, j’ai inséré une phrase de Kiesklowski : « il faut prendre la vie comme contenu du film ». Voilà, pour moi, ce mot « vie » résume tout. Les films qui me touchent et que j’ai envie de réaliser sont humains, simples et proches des gens. Des films de personnages et de psychologie. En tant que réalisatrice, j’aime aussi l’idée que les films accompagnent ma vie et que je grandisse avec eux.»

Des titres en deux mots.


« Trop jeune, Comme personne… Et mon film de fin d’études, c’était Pas fini. Tout le monde me demande si je fais tout le temps des titres en deux mots et si je compose une phrase à cadavre exquis!  Même pas ! »

Rouges, les fils.


« Récemment, je me suis rendu compte que j’étais sensible à un moment particulier dans les courts que j’avais faits à l’école et dans ceux qui ont suivi : celui où un personnage en est à un moment de sa vie où il doit faire des choix. Il réalise une prise de conscience : « où est-ce que j’en suis ? Est-ce que je mène la vie que je veux ? Est-ce que je me sens bien dans ma peau ? Est-ce que je fais le métier que je veux ? Est-ce que je suis avec la personne que j’aime ? » Et à chaque fois, mes personnages sont confrontés au temps : leur passé, le présent et leurs actions futures. Le long métrage que je suis en train d’écrire parle aussi du temps et de la vie qui passe. »

Fantasme et imaginaire.


« Dans Trop jeune, une jeune fille ne supporte pas que son père sorte avec une fille de son âge. Elle fantasme terriblement sur cette fille qu’elle n’a jamais vue jusqu’à se mettre à sa place, c’est-à-dire s’imaginer avec un homme de l’âge de son père ou carrément avec son père. Je me suis rendu compte que certains spectateurs ne rectifiaient pas l’ambiguïté du début [les corps et les visages indistincts] et jusqu’au bout, ne percevaient pas la relation entre le père et sa fille. J’ai peut-être été trop loin dans le fantasme mais en même temps, le spectateur a la possibilité de se représenter un autre film que le mien. Dans Comme personne, l’héroïne, une jeune femme d’une trentaine d’années en pleine crise conjugale et familiale, est en compagnie d’un homme dans une chambre d’hôtel. Est-ce un fantasme, son passé ou la réalité ? Je me suis rendu compte que les spectateurs imaginaient plein de choses avec ces plans. Je me dis que je ne maîtrise plus certaines parties de mon film, mais je n’en suis pas gênée car cela veut dire que les gens s’y projettent. »

S’approcher des limites.


« Mes personnages doivent s’éprouver vraiment, presque se faire du mal pour réaliser leur souffrance. Les notions de limite, d’interdit et de soi par rapport aux autres dans la société m’interpellent. Dans Comme personne, la scène du magasin est le point d’orgue du film. La mère, à bout, y abandonne son enfant. Est-elle capable de le laisser seul dans un univers étranger ne fusse que 20 minutes ? Oui, elle en est capable et cela l’effraye. C’est le basculement pour elle. Beaucoup de gens m’ont dit que ce n’était pas possible qu’une mère n’aime plus son enfant et le délaisse ainsi car l’amour filial est trop fort. Je fantasme, mais j’imagine pourtant que cette relâche parentale existe. Ça m’intéresse justement, ce petit grain de sable qui gèle les convenances et qui n’est pas comme tout le monde. C’est pour cela que j’ai appelé le film Comme personne d’ailleurs ! J’ai besoin de parler de réalités particulières et de gens imparfaits sans les juger en espérant procurer des éléments de réflexion. »

Paul Fonteyn.


« Paul Fonteyn me suit depuis le début. À l’époque, je lui avais proposé Trop jeune. On s’est rencontré à la sortie de l’IAD et on a pris le temps de se connaître. On a les mêmes envies et les mêmes avis sur le cinéma en général, ce qui est très important pour moi. Lui aussi, il aime beaucoup les films de psychologie et de personnages. Il m’a soutenu pour les deux courts et maintenant pour le long. Ce lien est chouette parce qu’il y a à la fois une fidélité et une complicité. On évolue tous les deux, on grandit ensemble ! Il me laisse faire en même temps qu’il me donne des conseils. Sur les tournages, il ne s’est pas montré directif ou intrusif. Je pense qu’il m’a vraiment fait confiance et ça, c’est important. »


En écriture : Un homme à la mer (titre provisoire).


« Le personnage principal est un homme d’une trentaine d’années que plus rien ne touche mais qui n’en a pas forcément conscience. On sent qu’il est démotivé, absent, dans sa propre vie, dans son couple, dans son travail. Un beau jour, la mère de son amie disparaît. On se rend compte qu’il a bien envie de faire la même chose parce que rien ne le retient. Il part alors à sa recherche et la retrouve. Le film parle donc de la rencontre entre cette femme et cet homme qui, à des âges différents, se posent exactement les mêmes questions sur leur vie.

L’univers sera proche de Comme personne même s’il y aura plus de silences, de regards et de résonances. D’ailleurs, dans le scénario que je suis en train d’écrire, il n’y a plus de scènes de fantasmes. Je compte vraiment me fixer à une réalité pour tenter d’être plus près de la psychologie de mes personnages. La nature jouera à ce sujet un rôle très important. Ce que j’en filmerai devra être en cohérence avec ce qui se passe entre l’homme et la femme. Que l’émotion passe aussi par un plan d’arbre ou par la couleur de l’eau me paraît un beau challenge. »

Ici Bla-Bla.


« Je collabore à Bla-Bla depuis que je suis sortie de l’IAD, il y a sept ans. C’est très intéressant parce que même en travaillant à la télé, je reste dans la fiction. Généralement, il y a un pôle de trois réalisateurs. Moi, je m’occupe à chaque fois de deux ou trois émissions par semaine. Bla-Bla comporte un aspect créatif et imaginaire que j’aime beaucoup. Grâce à cette émission, j’ai rencontré beaucoup de comédiens, de scénaristes et des gens qui, comme moi, se partagent entre la télévision et le cinéma, comme Delphine Noëls par exemple . »

Format et durée.


« Trop jeune fait 18 minutes et Comme personne 26 minutes. Comme Serge [Mirzabekiantz], je n’ai pas fait des réalisations de 12 minutes. On m’a dit que j’avais fait des mini longs. Je ne prends pas forcément ça comme une critique; peut-être que je ne corresponds pas complètement au format du court et que je m’exprimerais mieux en long. Mais moi, comme j’aime bien développer, je ne crée pas forcément une psychologie de personnages en cinq minutes... »

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