T'as d'beaux yeux, tu sais !
C'est avant de dépasser les bornes qu'il faut prendre des mesures. Philippe Vandendriessche. Pensées du jour.
C'est avant de dépasser les bornes qu'il faut prendre des mesures. Philippe Vandendriessche. Pensées du jour.
"Tu redresses. Maintenant. Meeerveilleux !" dit-elle en retenant son rire. "C'est bon là ?" demande d'une voix neutre le mec assis à côté d'elle sanglé dans un complet anthracite. Il tient le volant du véhicule, le crâne rasé et une minerve autour du cou genre Eric Von Stroheim dans La grande illusion.
"Evidendtly !" dit la fille qui marche à l'instinct, avec cet accent français dont Belmondo use pour le bonheur des cinéphiles dans A bout de souffle.
La fille a l'air survoltée, genre douée pour l'abus systématique, elle fouille dans son sac à main, en sort une petite boite métallique et se roule un joint qu'elle allume avec un briquet Dupont. Elle taffe et soupire d'une voix moins lascive : "Là où on va, pas besoin de chauffage. Pause et battement de sourcils : "Tu crois qu'il fait vraiment chaud en enfer ?" Elle lui tend le spliff et il en tête de grosses bouffées avec un bien-être béat. "C'est un bruit qui court depuis longtemps !"
Le véhicule fait une embardée. La fille attrape une bouteille de Champ qu'elle essaie vainement de déboucher. "Ecoute celle-ci." Elle lui lance un long regard, sulfureuse et toute douce. "Si tu avais une bitte entre les deux yeux, quelle longueur devrait-elle avoir pour que tu puisses en voir le bout ?"Et elle éclate d'un rire qui la secoue toute entière tandis que la Volvo continue sa folle course dans la nuit.
Non, vous n'êtes pas dans Baise-moi, le polar-culte de Virginie Despentes mais dans le nouveau court métrage que Manuel Gomez a tourné dans la forêt de Chiny cet été. Le réalisateur de Peccato, l'Arriflex SR3 à l'épaule, calé sur le siège arrière du véhicule, entre Philippe Vandendriessche, ingénieur du son, auteur d'aphorismes qui décoiffent (1) et Cathy Mlakar, scripte et réalisatrice de Quelque chose et d'Autre Chose, enregistre la scène en noir et blanc à l'aide d'un objectif grand-angle de 5,5mm.
"C'est un fait divers que j'ai entendu sur France Inter, il y a quelques années et qui s'est passé, je crois, en Allemagne, nous explique Manuel Gomez. En l'écoutant je me suis dit : "Putain ! C'est un court métrage à faire !
C'est l'histoire d'un couple qui roule dans une bagnole. Ils attirent l'attention des flics qui arrêtent le véhicule. Ils demandent les papiers du chauffeur, se rendent compte que le mec est aveugle et que la nana à côté de lui, pliée en quatre est complètement pétée. Les flics demandent au chauffeur pourquoi il tient le volant et il répond parce qu'elle est plus bourrée que moi ! Louis Savary m'a aidé à adapter le récit pour l'écran. On en a fait un couple de la grande bourgeoisie qui, après une soirée champagne-caviar, rentre, bien pété, à trois heures du matin et se croit au-dessus des lois.
Pour le montage financier, Marc Levie m'a apporté de l'argent, une sorte de pré-achat sur la distribution du film, le CBA est intervenu en prêtant la caméra, Volvo en nous prêtant un véhicule, Locaflash du matériel. Je m'investis ainsi que toute l'équipe bénévolement. Bref, on travaille tous gratuitement. On nous a proposé de le tourner en 35mm mais je voulais tourner caméra à l'épaule, en son direct et ne pas devoir dépendre d'une post-production coûteuse. On a opté pour le noir et blanc et pour le Super16, la plupart des plans étant tournés à l'arrière de la voiture dans un espace restreint. Ce qui est amusant c'est qu'aujourd'hui on se pose la question du noir et blanc alors que je trouve qu'on devrait plutôt se poser la question de la couleur. Le cinéma c'est de la fiction, ce n'est pas la réalité. Avec le noir et blanc on est automatiquement dans un monde fictif, on se distancie de la réalité, on stylise."
"Je me suis intéressé au cinéma il y a une dizaine d'années, nous confie Michel Angely, un comédien d'une trentaine d'années que l'on a pu voir récemment dans la Vie sexuelle des belges. Comme tout le monde j'ai commencé par faire de la figuration. J'ai démarré avec Georges Dandin, la pièce de Molière, qui est aussi le premier long métrage de Roger Planchon. Ensuite j'ai fait pas mal de théâtre mais je n'en fais plus actuellement car les répétitions tombent mal par rapport aux films, téléfilms ou publicités que je tourne.
Dans In vino veritas, je suis l'un des deux policiers qui sont témoins des faits. On roule en camionnette. On double la Volvo qui fait des embardées, on leur fait signe de s'arrêter, on descend de voiture. On est un peu méfiants parce que la voiture zigzague mais surtout le gars qui est derrière le volant a une minerve, un air un peu bizarre et la fille qui est à côté de lui à l'air complètement ivre. On leur demande leurs papiers. Il y a des cadavres de bouteilles de Champagne sur le sol, des mégots.
On leur dit : "C'est quoi ce bordel ? Qu'est-ce qui se passe ?" Et on s'aperçoit que le gars est aveugle en lui passant la lampe sur les yeux. On lui demande donc pourquoi c'est lui qui conduit et pas elle. Eux, se foutent carrément de notre gueule. On est ahuris, déboussolés. On ne sait pas trop quoi faire. Manu a filmé la scène caméra à l'épaule, en plan-séquence et avec quelques plans fixes. Le découpage est très détaillé, un storyboard, des dessins précis de chaque plan à faire mais il ne le suit pas aveuglément. Il tient compte des aléas du tournage."