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Juliette Duret, Head of Cinema @Bozar

Publié le 09/12/2021 par Josué Lejeune et Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

Bozar, salle Maecenas. Ce n’est pas une salle de cinéma, mais presque, tant l’acoustique est agréable et les fauteuils confortables. L’espace d’un après-midi pluvieux, nous y avons rencontré Juliette Duret, responsable cinéma de cette institution bruxelloise presque centenaire. L’occasion de faire le bilan de deux années particulières, mais qui n’ont rien entamé des envies et des aspirations de cette programmatrice. Avec elle, nous avons parlé de cinémas particuliers, différents, et de ce que Bozar souhaite être aujourd’hui comme demain pour le Septième art.

Cinergie : Quelle est la place du cinéma à Bozar ?

Juliette Duret : Depuis 8 ans, le cinéma est le troisième pilier du Palais des Beaux-Arts, aux côtés des deux départements majeurs que sont la musique et les expositions. Aujourd’hui, nous travaillons sur une programmation de cinéma en tant que Septième art, mais aussi sur le cinéma en tant que ciment entre les différentes activités de Bozar, au même titre que notre quatrième pilier - avec lequel nous entretenons de nombreux liens - Talks & debates.

 

C. : Comment définiriez-vous votre ligne éditoriale ?

J. D. : Particulière, artistique, et inédite. Je dirais que nous proposons d’une part 80% de films en première, des œuvres qui ne se retrouveront pas forcément dans les salles belges, et d’autre part des avant-premières plus classiques, négociées avec des distributeurs avant les sorties. Pour chacun des films, nous créons un événement, une mise en relation avec nos autres départements et nos thématiques artistiques mais aussi géographiques, en fonction des partenariats et des programmes mis en place. À ce titre, le cinéma belge mais surtout le cinéma européen constituent nos fonds de commerce, si je puis dire.

 

C. : Êtes-vous dès lors une salle de cinéma ?

J. D. : Non. Pour moi, une salle de cinéma c’est un lieu qui programme tous les jours, sur une ou plusieurs salles, plusieurs séances par jour. Ici à Bozar, nous ne proposons les films qu’une seule fois, sauf exception. Nous créons de l’événement autour d'œuvres inédites mais aussi de films présentés par les cinéastes, le casting, ou enfin parce que nous pensons que ces créations vont mener à débat. C’est notre spécificité, et nous restons sur cette ligne à l’heure actuelle, celle d’un cinéma particulier.

 

C. : Comment vous intégrez-vous dans le tissu du cinéma bruxellois ?

J. D. : En travaillant avec les festivals, comme le BRIFF, Millenium, Offscreens encore, Elles tournent, Peliculatina, Filem'on, et j’en oublie certainement. D’une manière ou d’une autre, nous échangeons avec tous ces acteurs pour organiser des événements, que ce soit l’ouverture, des séances spéciales, ou d’autres ateliers. Cela étant dit, nous ne sommes pas une structure d’accueil mais un lieu co-programmateur, avec un regard sur les films choisis. Avec les exploitants, nous créons des synergies selon les thématiques qui nous sont communes. Avec le cinéma Galeries notamment, ou encore la Cinematek.

 

C. : Et de votre côté, pensez-vous organiser ou créer des festivals ?

J. D. : Pas au sens littéral. Nous n’avons pas la structure de communication nécessaire à ce type d’organisation, et par ailleurs la compétition ne nous intéresse pas. Par contre, nous mettons en place des petites formes festivalières, comme le Are you series ?  en décembre. Non seulement pour faire découvrir ce médium, mais aussi dans l’optique de journées professionnelles autour de la coproduction, de rencontres entre auteurs et producteurs, ou encore des think tanks sur la place de la série TV en Belgique ou en Europe, dont le thème évolue chaque année.

 

C. : Quelle est la place du cinéma belge à Bozar ?

J. D. : Elle a toujours été importante et l’est encore aujourd’hui, surtout autour du documentaire tant flamand que francophone. Malheureusement, l’après-covid est là, les salles ont changé et le public aussi. Nous organisons moins d’avant-premières, notamment car nous ne sommes plus les seuls acteurs à demander ce type d’événements aux distributeurs. Il y a donc certaines productions belges que nous ne réussissons pas à avoir malgré nos envies, mais cela dit il y a tellement à faire en cinéma… C’est un défi qui nous ouvre finalement d’autres portes, vers d’autres découvertes.

 

C. : Quelles sont vos envies pour Bozar ?

J. D. : Retrouver le public, ce que nous avons pu faire depuis septembre. Trois mois qui nous ont permis de voir que l’envie était toujours présente du côté des spectateurs également. Ces semaines de programmation ont été particulières et diversifiées, avec du cinéma ukrainien, arménien, coréen, espagnol, et belge évidemment. L’événementiel a repris aussi, avec la venue de réalisateurs, ou leur présence via des Q&A online lorsque les circonstances n’étaient pas favorables. Mais toujours dans cette volonté d’aller au-delà du film.

Je suis contente d’en être là aujourd’hui. Le cinéma sur grand écran, dans ces conditions et avec ce public, c’est ce qui m’inspire et qui porte nos équipes. Il n’y aura pas cependant de retour à l’avant pandémie, et nous devrons adapter. Préciser nos choix éditoriaux, tout en affinant notre communication et en ciblant au mieux le public que nous voulons amener à Bozar. Pourquoi ici, autour de quels axes peut-on proposer nos choix, et enfin comment réduire pour amener plus de qualité ? Nous étions à 240 projections en 2018, nous aspirons à 120-130 événements par an dorénavant. Pour mieux les encadrer, les promouvoir, les activer en ligne, les décliner en podcasts, etc. L’année 2022, nous l’envisageons de manière sereine, mais différente.

 

C. : Via les nouvelles formes de cinéma comme la VR également ? 

J. D. : Tout à fait. La VR est présente à Bozar depuis trois ans maintenant, avec notre Bozar Lab. Via le festival I Love Science, ou par l’accueil d’installations comme Kinshasa Now, que nous présenterons du 16 au 26 janvier 2022. Il y aura toujours un événement VR par an, et c’est une ligne sur laquelle nous travaillons activement.

 

C. : En tant que sa promotrice, comment voyez-vous l’avenir du cinéma européen ?

J. D. : Quelques inquiétudes, tout d’abord. Notamment avec l’avènement des plateformes sur l’échiquier de la production européenne, et sa récupération. Des narrations qui risquent d’être plus attendues, des contraintes plus strictes, un cinéma au final plus uniforme, moins artistique, plus anglophone. La qualité des séries et des films de ces plateformes n’est pas forcément en question, mais ce sont des produits avec une identité de marque, pour le meilleur et pour le pire. De mon côté, j’espère que le cinéma européen va pouvoir conserver son originalité et sa particularité, notamment grâce aux aides nationales et internationales. Cette capacité de nous donner de vraies respirations, la possibilité de voir le monde autrement. Là est tout l’enjeu de notre cinéma, même s’il n’est pas simple.

 

C. : Et la place de Bozar dans cette galaxie de cinéma ?

J. D. : Nous travaillons beaucoup sur les présidences européennes, la France prochainement, la République Tchèque également. Les dossiers européens que nous avons remportés récemment comme Halaqat, un cycle de mise en liens politiques, sociétaux et artistiques des pays arabes avec l’Europe, font partie intégrante de notre programmation. Une autre façon de découvrir ce cinéma européen, pour construire d’autres visions. Depuis quelques années, Bozar se positionne vraiment comme maison des arts européens, pour le cinéma et bien plus encore. Une plateforme de découvertes, et une plateforme de vie.

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