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La Dernière Tentation des Belges de Jan Bucquoy

Publié le 01/02/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le grand saut

Jan (Wim Willaert) est un artiste polyvalent : tour à tour cinéaste impopulaire, humoriste provocateur, peintre expérimental, philosophe du dimanche ou animateur culturel en milieu hostile. Il a connu divers degrés de réussite avec ses œuvres d’art, les femmes et ses tentatives de changer le monde. Marie (Alice Dutoit, alias la chanteuse Alice On the Roof), sa fille unique, est une mauvaise stripteaseuse (elle oublie parfois de se déshabiller), mais une excellente musicienne. Elle lui reproche d’avoir été un père absent durant son enfance, toujours embarqué dans de folles aventures. Marie a dû tracer sa route sans son papa, qui ne l’a pas vue grandir. Une amie lui a dit que la vie était une fête qui ne s’arrêtait jamais. Mais pour Marie, la fête s’est arrêtée.

La Dernière Tentation des Belges de Jan Bucquoy

 

Aujourd'hui, Jan et Marie sont au bord d'un précipice. Elle veut sauter. Dans un élan d’affection paternelle, il veut la retenir. Ils ont beaucoup de choses à se dire, doivent encore tout découvrir l’un de l’autre. Jan va raconter mille histoires de sa vie à Marie pour tenter de l’empêcher de sauter. « Mais ne vous inquiétez pas, le film ne sera ni chiant ni mélo.  Il y aura du suspense, de l’action, du cul et la salle rigolera beaucoup ! », nous rassure-t-on d’emblée dans le prologue.

Évidemment, tout ça n’est qu’un prétexte à faire du "Bucquoy" ! Ça commence par une blague sur les Frères Dardenne, ça se poursuit par des réflexions - sous forme de dialogues et de maximes bien senties - sur un peu tout : la philosophie, la politique, l’amour, l’humour, la mort, le cinéma et les actrices un peu idiotes nées à Uccle (et leur accent belge dégueulasse). Ça raconte en flashbacks les aventures surréalistes et burlesques d’un artiste flamand (parfois accompagné de son complice francophone Alex Vizorek) : sa période communiste avec son périple de porte-à porte en Wallonie pour collecter de l’argent afin d’organiser une tombola nationale pour « redistribuer les richesses » ; une séance de casting éprouvante pour trouver le sosie de feu Lolo Ferrari (à laquelle participent BHL, Michel Onfray et Amélie Nothomb) ; ou encore ses nombreuses histoires d’amour, notamment avec Kim Clijsters, Justine Hénin (qui en prend pour son grade) et Sylvie Testud (jouée - pourquoi pas ? - par Sophie Maréchal…).

À 76 ans, le toujours iconoclaste Jan Bucquoy, éternel affreux jojo du monde artistique belge, n’a rien perdu de sa verve. Le regard dans le rétroviseur, il opère ici la synthèse de son humour anarchiste et surréaliste, parfois grivois et d’un mauvais goût réjouissant, souvent mordant et provocateur, à mi-chemin entre Guy Debord et Jean-Luc Godard, mais toujours avec cette tendresse et cette autodérision qui avaient déjà rendu La Vie sexuelle des Belges irrésistible en son temps. Collection de vignettes autobiographiques souvent drôles, sorte de « best-of Bucquoy » où l’on croise des têtes bien connues du cinéaste (Noël Godin, Marka, Frédéric Jannin et Stefan Liberski passent faire coucou), La Dernière Tentation des Belges a énormément de choses à dire et le fait en à peine 1h15, dans le désordre le plus total, avec sensibilité et un certain désenchantement aussi. Qu’on aime ou qu’on déteste Bucquoy (ici, on l’aime plutôt bien), impossible de ne pas reconnaître que l’artiste a trouvé dans ses drôles de films une façon unique d’exprimer son point de vue décalé sur la société belge : bordélique, mais attachant, son cinéma ne ressemble à aucun autre ! 

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