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Jan Bucquoy, réalisateur de La Dernière Tentation des Belges

Publié le 31/01/2022 par Harald Duplouis et Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

Pourquoi la vie ? Cette question parcourt l'œuvre et la vie de l'artiste Jan Bucquoy, auteur complet et cinéaste de retour pour ce qui ressemble à un dernier baroud d'honneur, La Dernière Tentation des Belges. Un titre qui sonne comme une fin, pour une œuvre pétrie de (re)commencements. Rencontre.

Cinergie : Quel chemin depuis La Vie sexuelle des Belges, qu'est ce qui a changé le plus selon vous depuis cette époque?

Jan Bucquoy : Dans la vie, et dans la société en général, il y a eu une accélération. Et cela s’est reflété dans mon cinéma. Depuis La Vie sexuelle des Belges, j’ai fait beaucoup d’expériences, je suis allé au bout d’un cheminement. Comment raconter les choses, et comment les mettre en scène ? Je pense que dans ce film aujourd’hui, je réunis tous ces apprentissages. C’est une remise à plat, un retour aux sources du cinéma, un art populaire mais fait de nombreuses couches, de différents niveaux de lecture. Pour s’adresser à la fois à un public intellectuel et large, sans forcément vouloir les brusquer comme j’ai pu le faire par le passé, mais accepter le monde tel qu’il est. Et comment, au sein de cette société, raconter une histoire à la fois légère mais avec de la profondeur. En tout cas, c’était l’ambition.

 

C. : Vous avez donc l’impression de vous être assagi?

J.B. : J’ai vieilli, c’est certain, je cours moins vite que les flics aujourd’hui [rires]. Tu prends plein de leçons, tu comprends que lorsque tu bouscules les gens, tu ne vas pas forcément provoquer le changement. Comment amener celui-ci, c’est la vraie question. Pour citer Confucius, “l’expérience est une lanterne qu’on porte dans le dos”, on fait toujours les mêmes erreurs mais petit à petit on gagne en sagesse tout de même. Et l’important de nos jours, c’est de communiquer. L’humour est une des plus belles armes pour cela, et j’en use différemment aujourd'hui qu’hier.

 

C. : Mais le film reste iconoclaste. C’est important pour vous de provoquer le spectateur, de le faire réagir?

J.B. : Bien sûr. La vie est mortifère, elle l’est encore plus depuis deux ans, c’est donc primordial d’ouvrir des portes. Auparavant, quand je les ouvrais c’était pour les reclaquer ensuite, maintenant j’ai fait évoluer ma méthode du discours, pour reprendre l’idée de Foucault. Michel, pas Jean-Pierre [rires]. Comment parler aux gens de choses importantes, tabous, pas seulement en placardant un propos, mais aussi en s’intéressant aux personnes elles-mêmes. Nous avons tous les mêmes besoins, les mêmes tracas. Faire passer cette émotion universelle, mais avec son ressenti propre, son style, c’est là le rôle de l’artiste. Tout était déjà dans mon premier film, d’une autre façon.

 

C. : Votre film - tout comme les précédents - parle de vie et de mort. Avez-vous trouvé la réponse à cette question, pourquoi la vie?

J.B. : Non. Comme dit Camus, la vie est absurde. À la fin, on meurt, ce n’est pas un bon scénario. Comment la rendre intéressante, c’est là, la vraie question. Et personne n'apporte de réponse toute faite. C’est ce que j’ai voulu dire aux jeunes générations avec mon film. Il faut contester, prendre les choses en main. Tout en continuant à vivre sa propre vie, ses histoires d’amour, ses sentiments. L’existence n’est pas qu’un discours idéologique. Cette Dernière tentation est un peu tout cela à la fois, un message mais aussi une sorte de massage.

 

C. : Réaliser ce film aujourd’hui, cela a été difficile pour vous?

J.B. : Revenir sur la perte, sur la disparition a été difficile. Quand ton enfant meurt, tu perds un morceau de toi, c’est une blessure qui ne guérit jamais. En replongeant dedans, tu retrouves la douleur, mais je pense que tous les artistes fonctionnent de cette manière. En communiquant, tu arrives à faire ressentir cette peine, pour faire comprendre qu’on est tous dans le même bateau, que la vie n’a aucun sens. Mais pendant que Sisyphe va rechercher sa pierre, il peut avoir d’autres projets, des rêves. C’est notre lot à tous, il faut pouvoir prendre notre vie en main. Qu’importe de mourir jeune, si l’on a vécu avec intensité. C’est peut-être un peu banal comme propos, mais cela mérite d’être redit aujourd’hui. Si ma contribution même infinitésimale peut faire bouger les lignes, alors j’en serai heureux.

 

C. : Rire même des sujets les plus tristes, c’est assez belge.

J.B. : C’est un peu La vita è bella, la vie est belge. C’est la merde partout, mais en Belgique on a pas une grande structure, on est pas un grand pays, donc on a une sorte de “permis de jouer”. Pour moi, c’est une force, cette distance par rapport au monde qui nous entoure. En découle une créativité avec les mots, les images, une particularité que l’on peut et l’on doit vraiment développer. Le cinéma belge est unique, et cela peut nous faire exister en tant que pays. Je suis ravi que mon film soit diffusé autant en Flandre qu’en Wallonie, pour pouvoir faire découvrir à tous les Belges - et à l’international - la beauté de ces paysages wallons, et la beauté des gens qui y habitent. Cette richesse, il faut la cultiver. Avec un Flamand en pays wallon, un Belge parisien, et une actrice issue d’un autre monde, celui de la chanson.

 

C. : Vous saviez déjà qui vous vouliez pour le film?

J.B. : Absolument, je ne peux pas écrire sans avoir une idée précise des personnes qui incarneront mes personnages. La réflexion est posée bien en amont, et vient ensuite une phase de réécriture lorsque le casting est terminé. Parce que cela leur permet d’être dans leur rôle plus intensément, plus réel. Mon histoire n’est pas figée, elle évolue au gré des rencontres avec un fil rouge, mais des variations. Ce qui est important, c’est que les émotions que tu insuffles dans ton film soient le reflet de la réalité.

 

C. : Vous avez tourné en numérique, mais avec très peu de prises, c’est bien ça?

J.B. : Comme si je tournais en pellicule et qu’on devait compter les centimètres [rires]. Cela correspond à mon style, il y a une intensité, un besoin. Avec l’électronique, on peut tourner et tourner encore, mais ce n’était pas mon but. Il n’y a pas de grandes envolées, de grands mouvements lyriques dans mon film, je préfère me concentrer sur l’instant, sur la force de cette première prise qui est souvent la meilleure. Ce qui fait qu’on a tourné à une vitesse incroyable, en tout cas c’est le ressenti qu’ont eu les jeunes travaillant avec moi pour ce film. Cela a contribué à l’atmosphère, au happening qu’a été cette production mémorable.

 

La Dernière Tentation des Belges sort en salles ce mercredi 2 février.

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