Ballade en Wallonie
Après Jaco Van Dormael, c’est au tour de Bouli Lanners de se faire tirer le portrait dans la collection « Cinéastes d’aujourd’hui » consacrée par la Cinémathèque de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux cinéastes belges. Et c’est Benoît Mariage qui réalise ce second volet. Loin de l’image d’acteur trublion des Snuls qui fit le début de sa popularité, On the road again se balade dans le sillage de Bouli Lanners, à travers son univers, ses films, ses paysages géographiques pour nous entraîner dans les lieux de ses souvenirs et de ses affections et construire un portrait tout en fragments et en éclats de cet artiste devenu, en quelques années, l’un des piliers du cinéma belge.
On the Road again de Benoît Mariage
Avec ses plans en scope largement ouvert à l’ailleurs, ses bagnoles américaines qui glissent et voguent, ses longs travellings en champs, forêts ou zonings, tout le cinéma de Bouli Lanners est sous le signe de la balade, du paysage en défilé, de l’errance inattendue et ses rencontres en bord de route. Alors, filmer Lanners en bagnole, c’était entrer de plain-pied dans son rythme, son mouvement, sa respiration. Fidèlement, Benoît Mariage choisit donc la forme de la déambulation pour filer Lanners dans sa mythique Mercedes rouge sur les chemins de son pays. Il le suit dans les repérages de son prochain film, traverse avec lui les lieux de ses tournages, et fait résonner, dans les mêmes mouvements de caméra en bord de route, la réalité du documentaire avec les travellings des fictions. Il ancre sa narration à partir des lieux traversés, filmant la peinture du réalisateur à la manière des paysages que la route fait défiler ou faisant émerger d’une banlieue traversée des souvenirs d’enfance qui nourrissent d’autres fictions. La route où nous conduit Lanners vient le dévoiler à mesure qu’elle trace ses allées et venues, qu’elle enfonce les lignes droites ou sinue de baraques en zonings.
Brodant sur les lieux traversés de ses histoires et ses obsessions, ses amitiés ou ses rencontres, au fil des chemins, Lanners se raconte. De ses déboires à ses succès, de ses frasques d’adolescents à ses déconnades d’aspirants réalisateurs, On the Road again tisse peu à peu son parcours vers la réalisation. Se raconte là aussi une manière de travailler, des doutes du réalisateur à sa capacité à tout réinventer sur un tournage, une façon de s’inspirer toujours d’une réalité proche, souvent autobiographique, charnelle et incarnée par des rencontres, des corps en mouvements, des fragilités désarmantes. Par sa forme fragmentaire et éclatée, qui se construit au gré de ces mouvements, On the Road again, parfois, prend le risque de survoler certains aspects de l’œuvre de Lanners, passant par exemple rapidement sur Muno ou Ultranova, plus centré sur Les Géants ou Travellinckx. Son travail d’acteur ou de peintre est aussi vite évoqué. Ses amitiés et ses complicités rapidement feuilletées. S’il va vite, volant de-ci de-là par-dessus un chemin dont il marque les bornes les plus importantes, c’est qu’il préfère, au récit de vie, aux longues explications, à la chronologie d’un temps vécu et passé, l’intimité d’une présence, des éclats de situations, des bribes de confidences. Sans chercher à définir celui qu’il filme, à l’enfermer dans un cadre, On the Road again se glisse avec beaucoup de finesse dans les pas de Lanners, et se laisse conduire à son rythme dans cet univers fait d’émotions plastiques, d’affinités sensibles, de complicités rieuses ou de réminiscences vaporeuses. Peu à peu, le film de Benoît Mariage réussit à mettre en partage cette intimité qui se livre pudiquement, il s’hybride doucement aux fictions du réalisateur et expérimente enfin la même rêverie mélancolique pour se saisir d’un regard de cinéaste, une manière d’habiter un monde.