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Philippe Reynaert à propos de Wallimage

Publié le 01/03/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

On dit que pour calculer l'âge des chats, il faut multiplier chacune de leurs années par 7. Il faut croire qu'il en va de même pour les Fonds Régionaux d'investissements dans le Cinéma, puisque, incontestablement, Wallimage, créé en 2001 pour une durée de trois ans, est arrivé à maturité ! Pour fêter cet important anniversaire, le fonds wallon a convié à Mons l'ensemble des Fonds Régionaux qui du Nord au Sud de l'Europe effectuent un travail semblable au sien. Nous avons interrogé Philippe Reynaert qui dirige depuis ses débuts Wallimage et préside depuis peu à la destinée de Cine-Regio, une coordination européenne soutenue par le Fonds de développement régional de la Commission Européenne.

Philippe Reynaert à propos de Wallimage

Cinergie : Les fonds régionaux se multiplient en Europe. Quelle évaluation tirez-vous après les trois ans d'existence de Wallimage ? 
Philippe Reynaert : Effectivement, Wallimage a trois ans. Il faut se souvenir qu'il s'agissait d'une expérience calibrée. Au démarrage, le Ministre Kubla avait vraiment prévu de financer trois ans de fonctionnement. Depuis le début j'ai été inquiet sur ce timing. Puisqu'on sait, en production, qu'il faut au moins 18 mois pour faire un film et lorsqu'il est terminé, s'il sort immédiatement, il a encore cinq ou sept ans de vie devant lui pour parcourir le cycle qui va des festivals aux sorties salles, aux sorties télévisées, vidéo DVD ainsi que les sorties internationales qui ne se font pas simultanément dans tous les pays du monde. Faire un bilan après 36 mois était donc périlleux. Heureusement celui-ci s'est avéré très satisfaisant sur le plan macro-économique, parce que l'objectif qui nous avait été fixé était de générer en dépenses wallonnes une fois et demi l'argent qu'on nous confiait. Or, en moyenne - sur l'ensemble des projets que nous avons financés - on est à plus de 180% de retombées en région wallonne au lieu des 150% qui étaient demandées. Cela représente : 23.714 jours de travail soit l'équivalent de 38 personnes ayant été engagées à temps plein pendant trois ans. Ce qui est énorme. Même s'il faut traduire la chose en terme « d'intermittents » puisque ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui ont travaillé sur les différents tournages.

Mais, pour mes administrateurs et moi-même, le bilan est plus nuancé, même si les autorités régionales le perçoivent très positivement, parce qu'on a surtout fait travailler des individus, des talents, en tant que personnes et que notre objectif est d'arriver à ancrer des sociétés de services, à développer ce fameux tissu d'industries techniques. Je suis ravi que toutes ces personnes aient travaillé mais j'aimerais qu'il y ait beaucoup plus de dépenses en post-production et que cela débouche sur la constitution de structures de services en Wallonie. Un autre facteur de déception ce sont les recettes qui remontent beaucoup trop faiblement et lentement que pour que le Fonds s'auto-alimente comme certains avaient pu l'espérer. Mais j'ai été ravi de constater que tout le monde, et notre Ministre de tutelle en tête, s'accordait pour qu'on prolonge l'expérience. Ils ont compris que l'on est à un moment-clé du processus : l'arrivée du tax shelter qui est un incitant financier privé peut booster l'expérience. Et on est sur le point d'arriver à implanter quelques grandes sociétés en Wallonie. C'est une question de quelques mois. Les industriels de la profession attendaient de voir si Wallimage allait continuer ou non. On ne peut pas leur reprocher : ce sont des investissements lourds. Maintenant la chose est officielle. Wallimage continue et le contrat que nous avons avec la Région Wallonne n'est plus limité dans le temps. L'idée c'est que chaque année la Région s'engage pour pérenniser ce mécanisme. Après trois ans nous fêtons donc un anniversaire hautement symbolique.

C. : Vous en avez profité pour remanier assez profondément votre règlement !
Ph.R. : Effectivement qui dit anniversaire dit cadeaux et on a adapté notre mode d'intervention en fonction des remarques des producteurs mais aussi par rapport à l'arrivée du tax-shelter. Avec Stéphanie Hugé qui, depuis 3 ans aussi, accompagne et examine tous les dossiers qui nous sont rentrés, on s'est dit : donnons au mécanisme Wallimage une lisibilité évidente pour les coproducteurs étrangers. Vu de l'extérieur, Wallimage intervient désormais comme un investisseur tax-shelter. On a laissé tomber ce qui handicapait tout le monde, notre fameux accélérateur de remontées de recettes. On s'est dit on va faire comme un investisseur de tax-shelter, en mettant 40% en prêt, avec des échéances de remboursement et 60% en part de coproductions. Mais à la différence des investisseurs nous sommes prêts à baisser notre part de prêt au fur et à mesure qu'augmentent les dépenses en Wallonie en ne descendant pas au-delà de 10%. On fait d'une pierre deux coups : on est plus lisible et on rebooste encore l'idée des dépenses dans la région. Pour simplifier encore les choses au lieu de devoir dépenser 150% de dépenses en région on les a réduits à 100%. Donc si je mets 1 dans ton film tu dépenses 1 en Wallonie. Seulement on n'accepte plus que les dépenses audiovisuelles stricto sensu. On n'accepte plus de frais d'hôtel, de bons d'essence, du restau du coin, etc. Tout cela est très clairement expliqué sur notre site http://www.wallimage.be/

C. : Une chose nous frappe dans le processus actuel du cinéma belge, c'est l'investissement dans la nouvelle donne technologique qu'est le numérique (Hop, Nuit Noire, White End, trois longs métrages de fiction tournés sur ce support). On est à la pointe en Europe bien qu'elle ait du retard par rapport aux Etats-Unis. Est-ce votre avis ?
Ph.R.
 : Je suis ravi de votre question parce que -et ce n'est un secret pour personne--on travaille sur une coordination de fonds régionaux européens et, pas plus tard qu'hier, nous étions en réunion à Rotterdam. Les cinq régions, qui ont fondé la coordination, avaient amené avec elles un producteur par région, pour lui demander son avis - positif ou négatif -- sur les fonds régionaux et ce qu'il pouvait attendre d'une coordination entre eux ? On avait la chance d'avoir comme représentant de la production hollandaise Kees Kassander, le producteur de Peter Greeneway qui avait un discours radical et enthousiaste sur cette coordination, en disant : « Parlez-vous et essayez de vous répartir les différents intérêts de façon à ce qu'on ne doive pas déplacer le tournage d'un film dans cinq endroits différents. Que chacun ait son pôle d'intérêt. Je tourne dans telle région parce que le décor me plait. Je fais de la postproduction son dans telle région parce qu'ils ont d'excellents techniciens, je fais la postproduction image dans telle autre région, etc...Dans la foulée de cette analyse très pertinente mais un peu utopique il ajoutait : « Et les petits pays comme la Hollande et la Belgique, misez à fond sur le numérique. Soyez pointus parce qu'alors il y aura vraiment des raisons de venir chez vous. Parce qu'on dira, ils n'ont pas le climat ni le paysage mais ils ont la postprod numérique ». J'ai été très sensible à ces propos. D'autant qu'on réfléchit actuellement avec un des acteurs majeurs de la profession en Belgique mais aussi à l'étranger, en France, à des outils qu'on pourrait créer de manière volontariste. Il faut savoir que sur ce plan-là, j'ai beaucoup de chance parce que je ne dois convaincre personne à la Région wallonne, ils sont déjà convaincus. Serge Kubla s'est engagé très loin sur la numérisation des archives qui sera opérée dans le cadre d'un incubateur géré par l'Agence wallonne des télécommunications et dont la fibre optique est le moteur. Parce qu'il ne s'agit pas seulement de stocker mais de faire circuler les informations.

Donc, lorsque je dis que le passage au numérique en cinéma est en train de s'opérer, je trouve une oreille plus qu'attentive. Renforcé par le fait qu'à Namur -- et Cinergie s'en est fait l'écho-- il y a eu cette très brillante démonstration, faite par les gens de Cin&fix, du test comparatif entre les différents supports à laquelle Serge Kubla, qui avait tenu à inaugurer la séance, est resté littéralement scotché. Il a eu une réaction de bon sens, il a dit : « il semble évident lorsqu'on voit ces tests, que le numérique arrive à la hauteur de la pellicule argentique ». Il s'est rendu compte qu'il était presque irréaliste d'installer du chimique dont la durée de vie n'excéderait pas au maximum les dix années à venir. Il en a conclut : « O.K. Tout en numérique. »

C. : Revenons aux fonds régionaux, ils existaient dans certains pays mais sans se coordonner. Or on assiste actuellement à des échanges d'expériences, et à l'idée d'une coordination entre ces différents organismes.
Ph.R : Ce n'est pas venu spontanément puisque les fonds régionaux ont tous pour fonction d'attirer chez eux les tournages ou les postproductions et que dés lors la région voisine est un peu la concurrente. On a eu, au début, le réflexe de travailler - et je nous mets dans le tas - séparément pour éviter d'être copiés. Aujourd'hui, il faut réagir par rapport à cela parce que la multiplication des fonds régionaux risque d'aboutir à des situations absurdes. On va développer tous les outils dans beaucoup de régions avec d'inévitables faillites. Si tout le monde ouvre un studio de tournage tous les 50 km, fatalement cela ne marchera pas. On est donc condamnés à se parler et il peut en sortir des choses très intéressantes. On se félicite d'avoir pris l'initiative, il y a presque deux ans, de lancer une coordination qui a pris forme à Mons les 19 et 20 février pendant le FIFA parce qu'on entend le discours très alarmiste de la Direction de la concurrence européenne qui est parti comme l'écrit Le Figaro, « dans un délire total d'interdiction de toute territorialisation de dépenses ». Très bien. On va tous mourir. Pas seulement les régions mais également les pays. C'est le principe même de la diversité culturelle qui est fondateur du concept de l'Europe qui se trouve bafoué. Profitons-en pour réussir ce que les Etats-Unis ont raté. Parce que lorsqu'on parle de leur cinéma on ne parle que d'Hollywood. Quel est le film qui me permet de ressentir la culture des gens qui vivent dans le Wyoming ou en Alabama ? Le système de concentration hollywoodien est un formidable exemple de réussite commerciale mais est aussi une redoutable négation des cultures régionales et locales. Autant je suis un Européen convaincu, autant je me méfie d'une notion qui serait les Etats-Unis d'Europe où tout le monde parlerait anglais et où les films se ressembleraient du Nord au Sud de l'Europe. Parce que lorsque je vois un film suédois j'apprends des milliards de choses sur les Suédois. Et c'est pour ça que les films belges ont ce cachet singulier qui fait qu'ils fonctionnent.

Certains pensent qu'il faut tout uniformiser en Europe. Or, la bonne manière de se garantir contre une dérive du genre hollywoodien consiste à jouer la carte des régions parce que la seule Europe vivable de demain est l'Europe des Régions. Ce n'est pas moi qui ai inventé le terme, c'est un objectif qui a maintenant cinquante ans. Ce qu'on essaie de faire c'est que l'Europe des Régions soit aussi celle des images et du son. On a tenu récemment une réunion en Angleterre où il existe déjà, ce qu'on essaie de faire au niveau européen, un organe de coordination qui s'appelle Screen où les 7 fonds régionaux se voient et se spécialisent. Tel fonds fait du documentaire, tel autre fait du cinéma d'animation, tel autre de la fiction, etc. Il faut respecter les spécificités locales. Les Anglais y arrivent. Je ne vois pas pourquoi on n'y arriverait pas au niveau européen.


PS: Cine-regio, le congrès des fonds régionaux s'est tenu les 18 et 19 février dans le cadre du FIFA. Soutenu par le programme Intereg européen, il regroupait 29 régions provenant de treize pays. Le siège social de cette nouvelle fédération du cinéma est installé à Lecce, en Italie. Il est prévu que dans les deux ans à venir, il regroupera 15 régions. Si il n'y avait les menaces que le système d'aide pour le financement du cinéma n'expire fin juin et risque de ne pas être reconduit par la Commission Européenne, ainsi que s'en inquiété Henry Ingberg, directeur du Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel, nous pourrions crier « Eureka ». 

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