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Rencontre avec Julia Ducournau, jurée du 36è Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF), du 3 au 15 avril.

Publié le 12/04/2018 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

« La communion entre spectateurs au BIFFF atteint parfois des moments d'anthologie »

À peine remise de l'épopée de son film Grave, une première œuvre de genre qui lui a valu une cascade de nominations, de sélections et de récompense à travers le monde, Julia Ducournau figure dans le jury international du 36è Festival du Film Fantastique de Bruxelles né - comme elle! - en 1983. Là-même où, il y a trois ans, la réalisatrice venait nouer avec les Liégeois de Frakas la coproduction belgo-française de son film...

Cinergie: Comment allez-vous, et comment s'est organisée votre venue à Bruxelles, comme jurée?
Julia Ducournau: Comme j'ai pu échapper aux grèves des transports à Paris, je suis très contente d'être là (sourire)! Je ne me suis pas trop posé de questions pour être de la partie, car j'ai un certain attachement pour ce festival. C'est tout de même ici, lors du marché de coproductions, que j'ai rencontré Jean-Yves Roubin, qui est devenu le partenaire de Grave. J'en avais alors profité pour assister à quelques projections mémorables, en découvrant ce public du BIFFF, ses rituels et son ambiance survoltée. Il faut bien se rendre compte que le degré de communion entre fans atteint parfois des moments d'anthologie!

C: Qu'une réalisatrice proclamant refuser que le cinéma soit «genré» se retrouve jurée d'un des cinq principaux festivals de ...genre dans le monde, c'est plutôt paradoxal, non?
J.D.: C'est vrai, mais bon, il y a aussi les goûts personnels qui jouent (rire). J'adore les films d'horreur depuis ma tendre enfance. Se retrouver ici, c'est donc un peu comme se trouver à Disneyland pour d'autres! J'aime aussi cet événement pour ce qu'il représente, le fait qu'il propose un cinéma de transgression et surtout, qu'il encourage à harmoniser des genres très différents à travers des œuvres complètement décalées. J'encouragerai toujours ce type de distributions en marge, car elles proposent d'autres réalités. En tout cas, j'espère qu'il y aura au moins un film qui me fera flipper!

C: Pendant deux ans, Grave vous a permis de vivre un conte de fée, mêlant prix et rencontres importantes. Quel bilan en retirez-vous?
J.D.: Depuis tout juste deux ans et la sélection cannoise, cela ne s'est jamais arrêté, en effet. La saison des prix a presque paru extensible, jusqu'aux six récentes nominations aux César. Je me retrouve donc avec moi-même à peine depuis un tout petit mois, en ayant l'impression de repartir à zéro mais en étant déjà replongée dans l'écriture de mon prochain film. Dont je ne peux rien dire de plus! (NDLR: la réalisatrice a néanmoins déjà évoqué qu'il s'agirait d'un thriller, autour d'une tueuse en série)

C: Vous envisageriez à nouveau une coproduction avec la Belgique?
J.D.: On va voir comment vont se profiler les choses, mais j'en serai ravie, car l'expérience a été superbe. J'ai passé quatre mois formidables sur le tournage à Liège, qui m'ont permis de rencontrer et de travailler avec des gens particulièrement talentueux, tels que Ruben Impens, un directeur photo qui arrive à être au moins aussi exigeant que moi, et une décoratrice formidable, Laurie Colson. J'ai d'ailleurs trouvé émouvant qu'elle reçoive un Magritte pour Grave...

C: ...qui semble bien avoir marqué un tournant dans la considération du film de genre. Vous en avez conscience?
J.D.: Il me semble que depuis un an, il y a un intérêt accru pour le genre. Est-ce grâce à Grave? Je l'ignore, mais je crois que le film a permis de faire se rapprocher le cinéma de genre et les institutions. Après, nous en sommes peut-être là à des balbutiements, mais j'espère qu'il ne s'agit pas juste d'une mode et surtout, que cela provoque une réelle prise de conscience dans l'ouverture et le renouvellement du paysage cinématographique. Mais ça me semblerait sain qu'on continue de diversifier ce type d'expériences, pour pouvoir proposer encore d'autres choses au spectateur. Et peut-être, qu'on ne range plus le film d'horreur simplement comme sorte d'objet filmique non identifiable, en se disant qu'il peut aussi être une comédie, un drame ou film d'animation à part entière. Je pense qu'il faut viser cela! 

C: Un public que vous évoquez presque continuellement, au cours de vos entretiens...
J.D.: Bien sûr, car moi-même comme spectatrice, j'ai vraiment besoin d'être immergée dans un film pour pouvoir me projeter dans des personnages. J'ai en fait un rapport épidermique et physique au cinéma! Du coup, forcément, j'y pense toujours quand je songe à la réalisation d'un film. Car même quand on parle de monstres, c'est important qu'il y ait cette identification pour le public, histoire de déjouer ses attentes au début du film. Pour au final mieux le surprendre, en fait!

C: Pour la fille de médecins cinéphiles que vous êtes, ce cinéma d'horreur constituerait donc une sorte d'échappatoire, depuis toujours?
J.D.: Complètement! Quand je découvre Massacre à la tronçonneuse alors que j'ai six ans, c'est à la fois le début d'une passion éternelle pour ce cinéma de transgression qu'une façon de m'échapper des goûts de mes parents. Mais vu qu'ils m'ont montré abondamment de grands films de réalisateurs et d'époques différentes, ils ont été précieux, car ce sont eux qui m'ont permis d'éduquer mon œil à la technique. J'ai toujours eu une attention pour les choses bien réalisées, bien avant de commencer mes études à la Fémis.

C: Dernière chose, le Festival de Cannes a été un premier objectif accompli, quel sera le suivant, avec votre prochain film?
J.D.: Ah, si le Festival de Cannes poursuit son ouverture actuelle, pourquoi ne pas continuer sur cette lancée? Mais au-delà du seul prestige de ce festival, le challenge est vital que les plus grands événements de cinéma permettent aux films de genre de continuer à être mieux reconnus. Mais pour le moment, je pense surtout à ce BIFFF, dans l'espoir de pouvoir dire à la fin du festival que je suis passé dans une essoreuse!

 

 

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