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Rencontre avec Nicole Palo pour la sortie d'Emma Peeters

Publié le 02/04/2019 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Mort joyeuse

Après 10 ans de réflexion, la réalisatrice de Get Born revient derrière la caméra pour son deuxième long métrage, Emma Peeters. Quoi de mieux qu'une comédie pour raconter l'histoire d'Emma Peeters, une jeune trentenaire qui n'en peut plus de la vie et qui se dit qu'elle serait peut-être mieux morte, finalement. Super motivée à réussir sa mort, à défaut d'avoir réussi sa vie, elle planifie tout avec Alex, un employé de pompes funèbres, qui va s'atteler méticuleusement à la réussite de ces funérailles. Rire du suicide, un pari pour Nicole Palo qui signe avec Emma Peeters une comédie "à la belge", avec Monia Chokri et Fabrice Adde dans les rôles principaux.

D.B. : De quoi parle ce film?
N.P. :
C'est l'histoire d'Emma Peeters qui est partie vivre à Paris pour devenir actrice. Après 15 ans de galère, elle se rend compte qu'elle ne va pas y arriver et elle a une idée géniale: elle décide de se suicider le jour de son 35e anniversaire qui représente, pour elle, la date de péremption pour une actrice. Pendant ses préparatifs, elle va rencontrer un employé des pompes funèbres, Alex, un type un peu bizarre qui va lui proposer de l'aider. Une espèce de romance naît entre les deux, romance qui prend comme excuse les préparatifs funéraires d'Emma. Ils jouent au chat et à la souris, ils cachent leurs sentiments et on se demande s'ils vont mener à bien le projet d'Emma.

Dimitra Bouras: Qu'as-tu fait depuis ton premier long métrage Get Born?
Nicole Palo:
Il a fallu que je trouve la bonne idée pour le prochain film et ça m'a pris un peu de temps. Et, une fois que je l'ai eue, les choses ont pris beaucoup de temps. Je pensais que ça irait plus vite comme c'est une comédie mais j'ai été confrontée à un tabou car faire une comédie sur le suicide, ce n'est pas évident à faire passer.

D.B. : À faire passer ou à écrire?
N.P. :
Les deux. C'était un défi à écrire parce que je voulais qu'on s'identifie au personnage, qu'il y ait une vérité derrière sa dépression mais que, en même temps, il y ait assez de légèreté pour en faire une comédie. Cela n'a pas été facile de trouver le ton juste. La solution, elle était dans les personnages. Pour Emma Peeters, c'est tout ou rien. Elle est déterminée, idéaliste. Je me suis basée sur ce personnage pour dépeindre cette dépression.

D.B. : Comment est née l'idée de ce film? Tu as reçu de l'aide pour l'écriture?
N.P. :
J'ai écrit l'histoire même si j'ai eu des consultances, des gens qui m'ont un peu aidée dans le parcours mais c'est un film qui est assez personnel. Je me suis basée sur mon propre vécu, sur ma frustration de ces dix dernières années où tout ce que j'entreprenais était voué à l'échec. J'ai donc décidé de baser mon film sur un personnage qui déciderait de tout envoyer balader. Je pense que c'est quelque chose que tout un chacun a fantasmé un jour de faire et n'a jamais osé faire. Du coup, j'ai créé ce personnage qui irait jusqu'au bout. Au départ, le personnage était moitié flamand et j'avais regardé quel était le prénom et le nom les plus communs en Flandre. Je suis tombée sur Emma Peeters.
Je me suis beaucoup amusée à l'écrire, c'était comme un défouloir. Ce qui me fait plaisir, c'est de voir que le film fait du bien aux spectateurs. Je l'ai conçu comme une pilule thérapeutique pour quiconque a été un jour déçu de sa vie.

D.B. : Quelle a été l'évolution de l'écriture depuis le début du projet?
N.P. :
Les moments principaux du film ont toujours été les mêmes depuis le début mais il y a eu pas mal de travail sur la structure. J'avais à l'origine un flashback de toute la galère du personnage pendant 10 ans à Paris. J'ai finalement décidé que ce n'était pas utile et j'ai fait un film plus linéaire en supprimant les trames narratives secondaires. J'ai simplifié, resserré l'intrigue. Quant au ton comique du film, il a toujours été là et s'est amélioré au fur et à mesure.

D.B. : Pourquoi une coproduction avec le Canada?
N.P. :
On a d'abord tenté une coproduction avec la France, c'était logique au vu du parcours d'Emma qui part à Paris. Mais, on n'a pas trouvé de financement en France. Peut-être à cause du sujet, encore tabou, peut-être à cause des attentats qui ont eu lieu en France quand je déposais les dossiers. Donc, on a décidé de se tourner vers le Canada où l'humour est un peu comme celui de chez nous, un peu caustique et ils ont tout de suite compris le ton du film. Le choix de l'actrice, Monia Chokri, dans le rôle principal a aussi facilité les choses puisqu'elle est assez connue au Canada.

D.B. : Comment as-tu préparé ce film?
N.P. :
On a du temps pour écrire mais très peu pour le travail collectif avec l'équipe et les acteurs. Cela peut être positif puisque c'est gai de découvrir le plateau au moment du tournage. Mais, j'ai passé beaucoup de temps avec Monia Chokri et Fabrice Adde à lire le scénario avec eux et à réadapter les scènes en fonction de ce qu'ils me proposaient. Il y a eu un travail en amont avec ces deux personnages même si les acteurs ne vivent pas dans le même pays. Ils ne se sont pas beaucoup vus avant le tournage mais ce n'était pas plus mal au vu du synopsis et de leurs personnages. Pour le travail des scènes, cela s'est fait au moment du tournage.

D.B. : Le film a déjà été présenté dans plusieurs festivals, comment est perçu l'humour du film?
N.P. :
Les Belges disent que c'est de l'humour surréaliste à la belge et je vois que ça passe aussi dans d'autres pays: en Italie, au Canada, en Suède, aux États-Unis. Je pense que l'humour est assez universel. Je suis contente car mon film déjoue les pronostics. On m'avait dit qu'une comédie ne voyageait pas, qu'un film en français ne plairait qu'aux francophones. Or, ce n'est pas le cas puisque le film est bien reçu à l'étranger, à Venise, à Göteborg, à Santa Barbara. Je suppose que le message et l'humour sont universels. Le film incite les spectateurs à lâcher prise et à moins penser à demain. Vivre comme si on allait mourir demain et se libérer aujourd'hui, vivre à fond le présent.

D.B. : Qu'as-tu recherché dans la photographie de ton film?
N.P. :
Je voulais faire un film lumineux sur un sujet sombre. J'ai toujours voulu filmer "un beau Paris" depuis le départ, même jouer avec le cliché du Paris, la ville Lumière, la ville du rêve alors que pour le personnage, Paris est la ville hostile, la ville du cauchemar qui n'a pas voulu d'elle. Au départ, je voulais filmer en été mais on a finalement tourné en automne et ce n'était pas plus mal parce qu'on a eu de très belles couleurs et que ça a ajouté quelque chose au film.

D.B. : Tu as montré des films à ton chef opérateur pour le guider dans son travail?
N.P. :
On a beaucoup partagé de références avec mon chef opérateur, Tobie Marier-Robitaille, un canadien. Je lui ai montré des photos et des films de la Nouvelle Vague, un film de Bergman, une comédie musicale, etc. On a partagé beaucoup d'images avant de tourner.

D.B.: Comment as-tu choisi les acteurs?
N.P. :
J'avais repéré Monia Chokri dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan et j'avais remarqué qu'il y avait quelque chose d'un peu similaire dans le personnage d'Emma. Ce n'était pas facile de trouver quelqu'un qui soit bon en comédie et dans l'émotion. Il me fallait quelqu'un qui véhicule la dépression en faisant rire.
Quant à Fabrice Adde, je l'avais rencontré avant Monia. Je voulais un personnage un peu atypique et j'ai repensé à Fabrice dans Eldorado de Bouli Lanners. Ce fut un coup de foudre mutuel. C'est vraiment lui qui est le moteur comique du film.

D.B. : Comment as-tu travaillé la comédie?
N.P. :
On a fait beaucoup de lectures avec les deux acteurs et on s'est rendu compte qu'il fallait resserrer un peu, enlever certaines répliques. On n'a pas fait d'improvisations, puisque c'est une comédie, il fallait que ce soit assez rythmé mais ils faisaient rire leur partenaire en inventant certaines répliques sur le plateau. Ce n'est pas une comédie pure, il y a aussi des moments d'émotions. Je demandais parfois de faire plusieurs prises de la même scène, tantôt comiques tantôt plus émouvantes, pour pouvoir choisir et doser au montage.

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