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Get Born ou la naissance du micro-budget : rencontre du producteur exé et du chef op'

Publié le 08/07/2008 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage
L'ARRF, l'association des Réalisateurs et Réalisatrices de Films, a créé une nouvelle structure pour la concrétisation de projets mus par la philosophie jusqu'au boutiste du "filmer à tout prix", même sans budget, pourvu qu'on filme !

Les Cinéastes Associés, c'est le nom que des acharnés du « Silence, Action ! » se sont donnés. Ils ont mis en place une procédure qui répond à plusieurs nécessités : « le besoin vital de tourner, car comme dans toute activité, c'est en pratiquant qu'on progresse », et la nécessité de donner forme à une dynamique de la création. Les idées et les désirs étant là, il ne manquait plus que les moyens. La Ministre de la Culture et de l'Audiovisuel, Fadila Laanan, a appuyé de tout son poids auprès de la RTBF pour concrétiser cette ambition.

L'idée est de réaliser, avec un budget limité à 140.000 €, dont 80.000 € proviennent du Cabinet de la Ministre, un téléfilm de 90', assuré d'être diffusé sur ARTE et la RTBF, offrant à un jeune réalisateur l'occasion de démontrer ses talents en mettant à sa disposition une structure hybride, professionnelle dans son expérience, amateur dans ses moyens.

2007, premier appel à projets, premier synopsis retenu, premier film réalisé : Get Born de Nicole Palo, jeune réalisatrice sortie d'ELICIT et d'une école pratique danoise; le European Film College.

Pour l'épauler dans cette tâche enivrante à haut risque de perte de repères, un producteur exécutif aguerri, qui a fait ses classes à Hollywood, John Engel, et un chef op' professionnellement serein, Serge Hannecart, drillé à l'urgence de la réalisation télé.

Rencontre avec ces deux anges gardiens.

Micro-budget, nouvelle formule pour no budget ?

John Engel : En Belgique, la tradition du film sans moyens est inscrite dans son histoire. Aux côtés de C'est arrivé près de chez vous et de Jean-Jacques Rousseau, des cinéastes tels que Vincent Lannoo, Joachim Lafosse ou Philippe Blasband font des films avec très peu de moyens, voire pas de moyens du tout et bricolent pour les terminer.
Cette façon de fonctionner n'est pas aisée et le manque se fait toujours ressentir; manque de moyens de production, d’équipements ou de temps.
L’idée de départ de Vincent Lannoo, Frédéric Sojcher et d’autres membres de l'ARRF était de mettre en place une structure qui permette à de jeunes cinéastes de faire des films avec peu de moyens mais suffisants. À l’inverse des films no budget, les techniciens qui travaillent sont rémunérés, très peu, mais un minimum, par respect du travail et de la contribution de chacun.

L’idée ici est de permettre à des cinéastes, dont c’est le premier long métrage, de faire des films de la manière la plus professionnelle possible, avec des techniciens compétents et dans une infrastructure qui soit extrêmement proche d’un film de dix millions.

Serge Hannecart : Les conditions de tournage sont très claires; Nicole Palo, pour faire un film de 90', a vingt jours de tournage. Actuellement, un téléfilm de 90' se tourne en vingt et un, voir vingt-trois jours avec une équipe expérimentée, qui a du métier derrière elle. Ici, on a une équipe jeune, une réalisatrice qui fait son premier long, et donc manque de pratique. Le contexte est tendu; chaque séquence est essentielle, vu le scénario, et nous n'avons pas l'occasion de nous couvrir.
Tournage de Get Born de Nicole PaloOn a la chance d'avoir un partenariat avec l'ULB (Université Libre de Bruxelles), qui nous prête gracieusement ses locaux à condition qu'on ne dérange personne. Nous ne pouvons tourner dans un auditoire ou dans la cafétéria qu'à des heures bien précises, et des jours bien précis; dans ces conditions, il n'est pas question de tergiverser et d'être envahis de doutes !
Pour le tournage de chaque séquence, on part à la guerre !

Micro-budget,instrument d'esthétique minimaliste ?

Serge Hannecart : Mon défi est d'aider Nicole Palo à réaliser le film dont elle rêve. Nous avons pris le temps de beaucoup parler avant, sachant qu'on n'en aurait plus beaucoup pendant le tournage. Elle a des idées particulièrement précises sur ce qu'elle veut faire, ce qui me fait vraiment plaisir. C'est quelqu'un qui sait très bien ce qu'elle veut.

Tourner cette histoire en vingt jours, c'est court. Elle a pris le pari de tourner en caméra portée pour lui donner une liberté qu'elle n'aurait pas si elle devait installer des travellings. Ainsi, elle peut toujours réaménager l'angle de la caméra. De cette liberté, elle a voulu faire un style; l'image de la caméra portée donne une incertitude, une instabilité, un dérangement subtil qui fonctionne très bien avec ce film.

C'est un film qui s'installe dans une réalité quotidienne; c'est un impératif de production (on n'a pas les moyens de créer de la neige en été), on travaille exclusivement avec ce que l'on a, et on se sert de ce qui existe pour le renforcer. C'est un procédé de court métrage fauché, mais qui est passé en long métrage !
On a essayé de mettre en musique autant d'éléments qui nous permettrons de donner un style au film, à commencer par le choix des comédiens, leurs costumes, leurs maquillages, le choix des décors...
Oui, je crois que nous pouvons dire que nous avons l'ambition de rendre un certain naturalisme !

Le Micro-budget souffre-t-il de "jeunisme" ?

John Engel : Notre mission ne s’adresse pas uniquement aux jeunes cinéastes, mais à n’importe quel réalisateur qui voudrait faire un film dans ce type d’énergie, dans ce type d’urgence. Personnellement, je trouve que ça se prête surtout à ceux qui n’ont pas encore fait de long métrage, pour leur donner l'opportunité de rentrer dans le milieu à moindre risque, et prouver aux producteurs qu'ils sont capables de mener un long jusqu'au bout.

Serge Hannecart : Que l'on s'entende; le micro-budget n'est pas réservé aux débutants. D'ailleurs, ce terme me dérange. Nicole Palo, la réalisatrice, a déjà un court métrage à son actif, elle s'est déjà confrontée à la mise en image et à la mise en musique d'une histoire. Bien entendu, ce premier long métrage est un film beaucoup plus ambitieux que le court; on ne raconte pas une histoire de 90' de la même façon qu'une histoire de 15' ! L'équipe est jeune, mais enthousiaste. Les conditions financières proposées n'attirent pas des professionnels expérimentés, ce qui est logique. C'est un film qui permet à tous de se former. Et à moi aussi ! Chaque tournage est une expérience unique durant laquelle on apprend toujours !

Le Micro-budget, anxiogène?

Serge Hannecart : Je dis souvent « quand on part en tournage, on part à la guerre » parce que c'est un combat contre les éléments, la pluie, le soleil etc.

Mais pour ce film, chaque jour est une guerre. On se bat contre la montre, on se bat contre le temps qui passe. On travaille dans un terrible stress, ce qui n'est pas simple à gérer parce qu'on sait très bien que si on ne boucle pas la séquence, on ne l'aura pas. Il n'y aura pas de jours supplémentaires, c'est comme ça. C'est un pari, et je déteste perdre.

La télévision, réponse au déficit des salles ?

John Engel : La co-production que nous avons avec ARTE Belgique est un avantage. D’autant que le cinéma belge est en crise par rapport à la diffusion en salles : même de très gros producteurs ne trouvent pas de distributeurs. Les distributeurs ont de grosses difficultés sur les sorties belges; le public ne s’y intéressant pas vraiment. Surtout du côté francophone.

Une co-production avec ARTE signifie une diffusion immédiate sur les chaînes du réseau ARTE. C'est une authentique aubaine de ne plus devoir se préoccuper de la diffusion, d'autant que le nombre de spectateurs sera certainement plus élevé !

Un thème comme critère de participation ?

John Engel : Pour cette première édition, le thème « Avoir 20 ans » était imposé. Pour les prochains projets, nous n'imposerons pas de thèmes. Faire un film conçu spécialement pour être fait avec peu de moyens, peu d’acteurs, peu de lieux, à l’histoire décalée sont des défis suffisants que pour imposer un thème ! Mais nous serons très vigilants quant à l’aspect créatif et l’application du système micro-budget. Je pense que dans la deuxième cuvée nous aurons des propositions plus risquées artistiquement, et aussi plus ancrées dans l’idée du micro-budget, utilisant les limites comme des avantages.

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