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Rencontre avec Séverine De Streyker et Ingrid Heiderscheidt à propos de Calamity

Publié le 25/01/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Entrevue

Le court-métrage Calamity de Maxime Feyers et Séverine De Streyker a été sans grand étonnement sélectionné lors de cette 8e édition du Ramdam festival de Tournai en compétition nationale.
Monteuse pour plusieurs documentaires et fictions mais également auteure de clips vidéos, Séverine De Streyker réalise, en 2011, son premier court-métrage,
Ciné-Palace.
Maxime Feyers, quant à lui, accumule diverses expériences, en tant que comédien et assistant réalisateur. Il réalise son premier court-métrage en 2012,
Come what way.
Dans cette première coréalisation,
Calamity, ce court-métrage new wave retrace les étapes d’acceptation d’une mère lors d’un repas de famille avec son fils cadet et sa petite amie, Cléo, transsexuelle.
La voix de la speakerine retentit à la radio et comble le sombre silence de ce couple de quinquagénaire pour qui l’attirance semble s’être estompée. La voiture garée, un retour sans doute prématuré. Une humeur fade. France, découvre par surprise son fils cadet au lit avec sa copine qu'il ne leur a jamais présentée. Au cours du repas, les tensions et les regards se feront de plus en plus cinglants envers Cleo.
Les réalisateurs jettent un regard sans concession sur un sujet d’actualité. Un film qui s’ancre dans le 21e siècle comme écho de ce dont il n’ose parler, une démarche nécessaire en regard des polémiques sur les questions de genre. Ils abordent le transsexualité avec justesse dans laquelle évolue des phases successives de répulsions et de fascinations, de sexualisation et de fantasmes. Abordant la féminité à travers le personnage de France, c’est une femme fragile que nous rencontrons, une femme qui doute.

Séverine De Streyker : On voulait un élément assez perturbateur, fort et visible. En faisant un court, nous n’avions pas le temps de développer en profondeur la psychologie des personnages. Nous connaissons des transsexuels qui nous sont proches et, dans ce milieu mais également en regard de l’actualité, c’est une vraie question qui se pose, celle du changement de sexe, de l’identité, de la reconnaissance, de l’acceptation. En ce qui concerne l’identité, on restreint toujours le genre à la femme et à l’homme en faisant abstraction de l’être. Le genre prime et on assiste à un retrait de l’essence de chaque personne. Ça m’énerve de devoir cataloguer les personnes, le fait de devoir absolument appartenir à une catégorie, c’est très exclusif et restrictif. Tout ceci tend à restreindre la personne à son genre. De plus, ça peut poser des problèmes pour certaines personnes d’appartenir à des notions de genre, de devoir absolument appartenir à un genre. Le fait de devoir changer de genre pose des problèmes sur différents plans, personnels et professionnels. Parler de ce problème, c’est aussi se libérer de l’appartenance historique, culturelle et biologique à une catégorie, on voulait tenter d’interroger cette problématique qui est envisagée par la société comme un problème sociétal. Au final, je trouve cela pas très important d’affirmer appartenir à telle ou telle catégorie absolument. C’est le devoir qui me gêne. J’ai deux amis autour de moi qui ont décidé de changer de sexe. Ça pose énormément de problèmes au niveau de leur famille, le prénom change aussi, physiquement aussi et ça dérange fortement car on est habitué à voir une personne, on imagine qu’elle ne sera plus la même or c’est faux, le genre est superficiel.
L’étrangeté dans notre film est abordé sous un angle comique et absurde. Nous avons pris énormément de plaisir à écrire le film et nous sommes heureux que le public rie lors de certaines scènes. C’est un rire qui dérange, car on ne voulait pas écrire une comédie ni présenter nos personnages comme des clowns. Nous voulions envisager le film avec un élément extérieur qui arrive presque dès l’ouverture et qui aura un impact sur le reste de la narration et des personnages. Le personnage de Cleo, transsexuel, vient perturber ce repas et renvoie évidemment à l’identité de chaque protagoniste, il est un miroir pour chaque protagoniste et plus particulièrement pour la mère. La question de la transsexualité nous est venue à travers la question de l’identité de minorité que nous connaissions et non pas avec des faits d’actualité. Je me souviens, lors de l’écriture, nous étions en plein dans les questions brûlantes de l’actualité sur le genre, le mariage homosexuel. Mais c’était complètement parallèle. La transsexualité pour moi s’accepte toujours chez les autres, on pense toujours être tolérant, même pour des causes qui nous dépassent, ou des causes qui n’ont pas encore éclos. Mais dans sa propre famille, on a du mal à l’accepter, le rejet des minorités est interchangeable. Et ce questionnement est incarné par le personnage de la mère.

C. : Quelles ont été vous influences cinématographiques ? Laurence Anyways de Xavier Dolan ?
SDS. :
On nous demande régulièrement si ce film nous a influencé. Nous étions déjà très avancé dans l’écriture lorsque je l’ai vu. Bien que ce soit un très bon film et qu’il traite de l’identité, du changement de sexe, de la difficulté d’être, comme le nôtre, ce n’est pas un film qui nous a réellement influencé.
Notre film est au confluent d’influences très diverses tant sur le plan esthétique du travail de l’image qu’au niveau de la narration. La question du découpage s’est très rapidement posée comme une question qui relève de la tension que l’on va introduire dans le film et le rapport que l’on mettra avec l’étrangeté. Comment filmer un repas de famille ? Comment faire advenir l’étrangeté ? Comment articuler la dialectique entre la mère et Cleo tout en laissant place aux autres personnages du film ?
D’un point de vue esthétique, nous avons été influencé par Buffalo 66 de Vincent Gallo notamment par son découpage en three-shot de part et d’autre de la table.

C. : Dans le film, on arrive à une promiscuité entre les deux personnages, celui de la mère et celui de Cleo.
SDS
. : Nous avons envisagé le rapport mère-fils comme un choc. Elle sait que ça existe mais ne s’attend pas à ce que cela se passe sous son toit, avec son propre fils. La dialectique mère-fils est donc appréhendée comme un va et vient entre rejet et acceptation, une tension d’incompréhensibilité tout en soulignant son amour pour son fils, sa bienveillance. Elle reste une mère, et ce qui lui importe, c’est le bonheur de son fils. Il y a donc cette scène de promiscuité en silence après le dîner entre la mère et Cleo, fumant sur le lit, arborant la même gestuelle féminine, et la mère lui demande s’ils sont heureux. C’est un amour inconditionnel, et, c’est ça qui ouvre les portes à la tolérance pour la mère qui est, tout au long du film, sur le chemin de l’acceptation. Cleo l’intrigue complètement, elle ne sait pas trop comment lui adresser la parole, la regarder. Il y a une dualité homme-femme dans la même personne car elle est en train de devenir femme et finalement, le personnage de la mère est directement touché par cette féminité de Cleo qui la remet en question sur sa propre féminité. En tant que femmes mariées avec des enfants, elle a laissé sa féminité de côté, Cleo lui donne l’opportunité de se réapproprier et de réexplorer sa féminité. Elle lui réapprend des gestes de femmes, elle passe sa main dans les cheveux, etc.
La mère la regarde avec fascination et étrangeté car Cleo remet en cause ses certitudes, ses attirances, bousculent son point de vue. La scène dans laquelle la mère lui prend les mains pour caresser ses seins et celle où il y a des superpositions de visages sont très représentatives de cela.

C. : Vous avez endossé un rôle qui passe par une communication axée sur la corporéité. Comment l’avez-vous appréhendé pour y faire naître une part de comédie ?
Ingrid Heiderscheidt :
Je n’ai pas joué ce rôle comme une comédie, je n’ai pas fait ça pour que ce soit drôle. Je n’avais jamais joué une mère de famille comme cela. Au début, je n’y croyais pas trop, je me pensais trop jeune. Mais je ne me suis pas dit que j’allais le jouer en tant que comédie. En me nourrissant d’exemples, en discutant avec les réalisateurs, le personnage s’est créé naturellement, mais jamais ils ne m’ont dirigée pour que ce soit une comédie. C’est en se nourrissant du personnage qu’il y a un geste de comédie qui échappe.

C. Comment avez-vous abordé ce rôle de la mère ?
IH
. : Ce n’était pas plus difficile qu’un autre mais j’avais un problème avec l’âge du personnage. J’ai demandé quelque chose au maquillage, un détail, un repère, des mèches blanches dans les cheveux pour accepter le rôle. Je me suis imaginé comment ma mère réagirait si elle apprenait que j’ai une relation avec un homme qui désire changer de sexe. L’histoire me parlait. Ma mère est formidable et très ouverte, pourtant je pense que si on lui amènait quelqu’un de si différent, et que cette personne entrait dans son cercle familial, elle réagirait de manière totalement différente, peut être virulente et méfiante. Je n’ai aucun problème avec la transsexualité. Le travail du personnage s’est plus axé dans le fait de me mettre à la place de la mère qui pense qu’elle est profondément ouverte et une fois que ça lui arrive a vraiment du mal à l’accepter. Une fois qu’elle est devant son fils, elle n’arrive pas à faire semblant. C’est un sujet que je connais. Et elle évolue vers l’amoureuse de son fils qui est une personne normale, avec qui elle arrivera à partager. Elle va vers une acceptation alors que le père, lui, reste bloqué.

C. : Comment s’est déroulée la coréalisation ?
SDS :
Une coréalisation me faisait un peu peur. C’était ma première collaboration sur un plateau avec un autre réalisateur. Maxime quant à lui avait déjà expérimenté la coréalisation. Je n’avais jamais fait cela et nous avions des univers assez divergents. De fait, nous avions vraiment peur de ne pas être en symbiose. Finalement, tout s’est déroulé de manière assez organique, nous étions en équilibre, partageant une confiance mutuelle et il m’a appris beaucoup de choses, ce fut une expérience incroyable.
Nous avions tellement travaillé en amont sur le découpage, les influences, les univers, les intentions des personnages, ce que l’on voulait dire et transmettre, la moindre petite question devant laquelle nous aurions pu nous retrouver sur le plateau et devoir la résoudre fut traitée... car sur le plateau, on ne pouvait pas se permettre le luxe de se poser des questions. Tout s’est donc déroulé de manière naturelle. Si j’avais un doute, je lui faisais confiance et vice versa, on se faisait confiance et on amenait chacun notre regard dans un climat de respect mutuel, ce n’était pas une crise d’ego. Je n’aurais pas pu collaborer avec n’importe qui et j’espère retravailler avec Maxime, je pense que nous allons dans un futur plus ou moins proche collaborer à nouveau ensemble.

C. Avez-vous pu laisser quelques moments d’improvisations ?
SDS. :
Nous étions très serrés au niveau technique comme sur la plupart des tournages, la lumière prend du temps et laisse de fait moins de place pour les comédiens qui ont néanmoins assurés. Donc c’était très difficile de laisser des moments, des petits interludes d’improvisation. La scène improvisée qui me vient à l’esprit serait celle dans laquelle le père mange son frisco. Il y avait la musique que j’avais écrite, et Manu Roland a fait une déclinaison de cette chanson, une variation : on voulait que le père reprenne ce morceau-là ce qui rend la scène d’une beauté étrange, à la fois mélancolique et comique.

C. Comment s’est déroulée la collaboration avec les autres personnages qui sont très charismatiques ?
I. H
. : Ça n’a pas été difficile, bien au contraire. C’était une équipe merveilleuse, François qui joue Cleo est vraiment bluffant, c’était parfait, d’ailleurs c’est son premier tournage. Les gamins m’appelaient maman, je les appelais mes petits chéris !

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