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Sur le tournage de Chaque jour est un jour du mois d'août

Publié le 01/03/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Van Volxem

Pas beaucoup de passage dehors. Normal. C'est un matin gris et pluvieux qui vous fait patauger dans les flaques d'eau ou la boue. Dans la cour du 264, avenue Van Volxem, un mec en jeans et parka à capuche couleur de la US Army nous regarde d'un air suspect. Brrr. Nous bredouillons que c'est pour le tournage. Il nous lance un regard las, tourne le dos en haussant les épaules, ouvre la grille et quitte les lieux. Un chat miaule mais nous n'arrivons pas à décrypter son message.

Sur le tournage de Chaque jour est un jour du mois d'août

Nous nous décidons à faire coulisser la porte d'une sorte de hangar plongé dans la pénombre. L'endroit est vaste et à moitié vide. Nous avisons une ombre et nous précipitons sur une forme humaine qui s'avère être Françoise Hoste, la productrice, laquelle nous fait comprendre que la scène que l'on prépare, au fond du hangar transformé en décor de film, n'est pas seulement peu éclairée mais d'une grande complexité.

Ad obscurum per obscurum. L'obscurité par une plus grande obscurité. Car il faut ajouter, métaphore filée oblige, que nous sommes dans l'obscurité complète quant au synopsis du court métrage qui se tourne. Nous allumons notre mini Mega-lite (vieux souvenir américain) et distinguons une quinzaine de fantômes s'agitant dans une semi-pénombre pour répéter la séquence à laquelle nous assistons et qui voit (si nous osons dire) les acteurs plongés dans une telle absence de lumière que l'un d'entre eux agite une torche électrique. Inutile de dire que notre spotmètre Minolta affiche à 1/60 non pas le diaph. mais "Err.". Ella van den Hove et Kommer Klein nous expliquent qu'ils travaillent avec de la Kodak 500 asa et que le cadre de la caméra (une Arriflex 35mm montée sur grue Pegasus Panther) se commande avec des manivelles devant un écran de contrôle vidéo. Le plan que tourne Nathalie André, la réalisatrice de Chaque jour est un jour du mois d'août, démarre sur une dame d'âge mur, en manteau bleu marine avec vison autour du cou et toque de fourrure sur la tête, et Pierre Lekeux, dans la peau d'un agent immobilier, qui visitent un ensemble de pièces vides plongées dans l'obscurité. Cadre large, travelling arrière. La caméra pivote à droite pour suivre Pierre qui ouvre les rideaux, laissant pénétrer une lumière du jour dispensée par des HMI. Puis, Pierre revient vers la visiteuse en lui expliquant que l'immeuble est bien situé et que la maison est saine. La caméra pivote, cadre le lustre éteint qui se met à bouger.

 

Nathalie André

Il y a plusieurs choses dans le film : ce n'est pas seulement le regard d'un personnage fantôme mais ce sont aussi les souvenirs de quelqu'un qui revisite son passé ; à ce moment-là il devient un homme et on a fait des mouvements caméra à l'épaule.

Comme le film s'est tourné en studio, on en a profité pour utiliser des mouvements de caméra et exploiter le décor au maximum ! J'ai commencé par faire un story-board du film et que j'avais imaginé de façon idéale, sans penser aux impératifs de la production. Puis j'ai rencontré Kommer Klein, bien que ce soit Ella van den Hove qui ait fait la lumière ainsi que Stef Janssens, le chef machiniste qui ont regardé mon story-board et m'ont conseillé l'utilisation de la Pegasus, d'autant qu'on leur demande rarement d'opérer ce genre de mouvement. On s'est donc dit : allons-y gaiement ! C'était un défi sur le plan de l'éclairage également puisque dans la séquence que tu as vue il y a toute une lumière qui bouge en tenant compte du déplacement des comédiens. C'était une séquence difficile à régler et donc intéressante à régler pour Ella, Stef, et les comédiens et moi.
Le décor joue un rôle important dans l'histoire et donc ici le décor est presque lui-même acteur. Je me suis appuyée sur mon expérience de scénographe pour développer l'histoire. Celle-ci n'est pas hyper-découpée, il y a beaucoup de plans-séquences. 

En fait, il y a un temps réel, le temps présent, l'appartement complètement dévasté plus de trente après qu'un crime y a été commis dans les années soixante, et puis il y a cet esprit tourmenté qui se pose inlassablement les mêmes questions sur un passé dont il essaie de se souvenir pour pouvoir y répondre. 

Donc, j'utilise plein de flashbacks, de retours dans le passé ou alors des fantasmes, surtout des fantasmes du personnage par rapport à une reconstitution de ce qu'a pu être sa vie et des erreurs qu'il y a commise. Il essaie de savoir qui il a été. Il y a donc une sorte d'errance en boucle ou plus précisément sur la bande d'un anneau de moebius. J'agrémente le film de séquences en Super 8 qui sont des images ayant été filmées par le personnage dans le passé. Et c'est quasi infini puisque tous les jours il reprend d'autres éléments de sa vie pour tenter d'éclaircir les choses. D'où le titre. Je commence le film au lever du jour et le termine au crépuscule et pendant ce laps de temps l'ombre essaie de comprendre. Le lendemain, à l'aube, il va essayer de se faire un autre film de tout ça. Il ment, il fantasme parce qu'il a un souvenir très réduit de sa vie. Il ne sait pas pourquoi il a fait certaines choses. Mon personnage principal est comme un cinéaste : chaque jour il se fait un film de sa vie... Je donne à mon personnage les moyens de faire du cinéma.
Ce film m'oblige à me poser des questions : Qui est-on ? Qu'est-ce qu'on vit ? Et si l'on vit les choses en rapport avec ce que l'on est. Et puis il y a les gens qui disparaissent de sa vie sans rien dire, l'existence s'en va aussi. "Nathalie André professe une grande admiration pour les films d'Hitchcock parce qu'ils sont extrêmement bien construits avant même d'être tournés : "Il faisait aussi des story-boards dans lesquels toutes ses images étaient extrêmement bien calibrées, ce que j'adore faire. Cela dit, il est intéressant que tu me parles de David Lynch, parce que les questions qu'il se pose dans ses films rejoignent les questions mêmes du cinéma. Quand est-on dans le vraisemblable et quand est-on dans le fantasme ou le rêve ?"

 

Francoise Hoste

"One move n'est pas vraiment une nouvelle maison de production", nous confie Françoise Hoste, on a démarré dans la co-production.

"Ça faisait longtemps qu'on avait envie de travailler avec Nathalie. Chaque jour est un jour du mois d'août est le premier projet de film en production propre. Mais on avait auparavant présenté d'autres projets qui n'ont pas été reçus. D'où l'idée de diffuser des films qu'on jugeait intéressants via une salle. Cela a été la base du Nova. L'idée d'offrir un écran à des films qui partout ailleurs ne sont jamais vus. Le projet ayant été accepté par la Commission, on a rassemblé une équipe pour le réaliser. On a pensé à Kommer parce qu'il fallait intégrer du Super 8 en 35mm, il y avait des changements de lumière à vue, un décor à éclairer de manière différente suivant les heures du jour, etc. Comme le travail était assez lourd il a préféré le partager avec Ella van den Hove qui s'est occupée de la lumière. Kommer a pris aussi en charge du travail de la post production". Nathalie André ajoute avoir vu travailler Ella sur un épisode de la série l'Instit : "Je l'ai vue travailler et pour moi c'est un champion toute catégorie !" (et un ballotin de pralines pour Ella, un !)".

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