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Sur le tournage de Marvin Gaye remember

Publié le 01/09/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Documentariste à la tête d'une filmographie qui se décline comme un jeu de l'oie sur la Belgique, Richard Olivier n'arrête pas de fixer sur pellicule (cinéma, photo et depuis peu vidéo numérique) les curiosités, les révoltes, les coup de gueule ou de tendresse que lui inspire ce pays secret qui dissimule son identité en cultivant un folklore où l'autodérision le dispute aux nunucheries kitsch de tout acabit.

Cinéaste d'intervention, mousquetaire et bretteur, électron libre, n'appartenant à aucune chapelle, tenant les institutions pour suspectes, Richard Olivier est tout sauf consensuel dans un pays et à une époque où le consensus est devenu un credo.

Un mousquetaire

Il aime capter les existences dans ce qu'elles ont de plus singulier (si la notion avait du sens, nous pourrions dire que c'est un cinéaste existentialiste - pour qui le vécu intime est plus important que le look)."On essaie de faire croire que tu es parano, nous confie Richard Olivier, vêtu d'une veste en daim brun, dans la Honda qui nous mène au Studio l'Équipe, sa chienne Alpi étant affalée sur la banquette arrière. Les gens disent que tu es parano par essence, il n'empêche que le lapin sur lequel les chasseurs tirent tout le week-end, peut aller trouver son psychiatre le lundi matin en lui disant : Docteur, je crois que je suis parano ! C'est dans cet état d'esprit que je me suis trouvé. Celui d'un cinéaste qui se trouve occupé à faire des films dans son pays, sur des Belges avec des Belges, ce qui est la chose la plus délicate à faire. C'est plus simple d`aller à l'autre bout du monde même s'il est parfois dangereux d'aller en Papouasie, comme notre copain Philippe Simon. Ici, il est extrêmement difficile de traiter - en dehors d'un langage mou et consensuel qui est celui de la télévision - avec pertinence ou impertinence un sujet qui effarouche."

 

Regina Louf

La Honda contourne la tour de la RTBF et s'engage rue du Colonel Bourg, absolument déserte en ce samedi matin du mois d'août. Votre serviteur en profite pour lui demander où en est son projet de film avec Regina Louf.

"Qui a peur de Regina Louf est un projet qui n'a pas trouvé de financement. Il m'a été inspiré par la lecture de son livre que je crois - ou alors je suis extrêmement naïf - en tout ou partie honnête. Il faut lire son livre si l'on veut parler d'elle. J'ai été chez elle, avec Marc Reisinger, près de Bethléem, où elle vit avec son mari, ses chiens, ses ânes, ses poules. Quoi qu'il en soit, ce que je voulais faire ce n'était pas de jouer au bon Dieu et de découvrir si elle disait la vérité. Mon projet consistait tout simplement - avec son accord - à vivre avec elle le plus longtemps possible pour la voir s'occuper de ses enfants, de ses chiens, de ses chats pour lesquels elle a une passion (c'est un refuge chez elle), de son mari camionneur, de manière à la " normaliser ". Puisqu'on en avait fait une espèce de mythomane hystérique, il s'agissait de montrer que c'était une femme comme tout le monde qui dans sa jeunesse a été maltraitée comme elle l'a raconté."

 

Le prince de la soul

Marvin Gaye Transit Ostende

 

Passionné de chanson française et de music-hall, Richard apprend en 1981 que Marvin Gaye, le prince de la soul music, réside à Ostende. Pschiiiit ! Coup de coeur et coup de tête, il s'y précipite, sans avoir l'once d'un financement.
Qu'importe, il casse sa tire-lire et réalise Marvin Gaye Transit Ostende, un film de 29' qui démarre dans la malle Ostende-Douvres avec Marvin prononçant cette phrase emblématique : " Mon père était pasteur "et qui se poursuit en off  (Marvin étant une ombre dans l'obscurité sur le pont) :

Nous avions toujours assez à manger, ma mère travaillait très durement. Quand j'étais enfant, j'écoutais continuellement de la musique, j'aimerais que ce temps revienne mais c'est terminé, révolu. Une pause. Mes souvenirs d'enfance sont de bons souvenirs ".

Contrepoint avec des images en noir et blanc de l'Ostende de jadis filmé par Henri Storck. Le film ne joue pas du contraste entre l'Ostende balnéaire qui a vu naître les figures de James Ensor et d'Henri Storck et celui dans lequel Marvin promène sa douceur, son sex-appeal, ses chansons, sa chair musicale ; que du contraire : on a l'impression de se retrouver devant un décor intemporel. Comme si l'espace-temps se dilatait dans un présent indéfini dans lequel Marvin se déplace avec des allures de félin.

La bande sonore nous rappelant que Chronos existe à travers la parole de Marvin, ses chansons, et ses états d'âme. "Je ne veux raconter qu'une chose en musique : c'est la tristesse, conclut Marvin Gaye, le monde, à mes yeux, n'évoque que la tristesse, lorsque j'aurai trouvé ce que je cherche, alors j'aurai écrit mon vrai chef-d'oeuvre."

 

Vingt ans après

Vingt ans après la rencontre avec Marvin Gaye (disparu tragiquement en 1984) continue à travailler l'écume des jours de Richard Olivier d'autant que sa musique ne cesse de l'émouvoir, et - bonne nouvelle pour les fans de la soul music - commence à se rééditer. Les souvenirs, les images, abolissant l'espace temps, il reprend les chutes de Marvin Gaye transit Ostende et repart, tambour battant, à Ostende sur les traces de l'auteur de What's going on.

DV-Cam en main, il interviewe Liliane Coussaert, la femme, devenue veuve de Freddy Coussaert qui a fait venir Marvin à Ostende et l'a hébergé dans sa pension de famille durant deux ans.

Nous voici dans une salle de montage, au rez-de-chaussée du studio l'Équipe. Olivier Lathuy, le monteur des films de Richard Olivier, cale une séquence. Le visage de Liliane Coussaert apparaît sur l'écran, en gros plan. Elle évoque ses souvenirs. Raccord sur la plage d'Ostende (cette plage que parcourait Marvin au pas de course le matin en tenue de jogging) et l'on revient sur Liliane. Le plan descend sur ses mains qui nous montre des photos et des polaroïds dépliés en éventail, icônes arrachées au temps qui déroule son implacable chronologie.

"Cette scène que tu viens de voir, je l'ai récemment filmée à Ostende. Liliane est une femme toute simple qui vivait avec Freddy, un mari un peu déjanté. La mort de Freddy l'a secouée et là elle commence à se réveiller d'autant que l'intérêt autour de Marvin Gaye ne cesse d'augmenter."

Richard avance son fauteuil pour mieux fixer l'enchaînement des plans. " Il n'y a rien avant ?, demande-t-il à son monteur. Ah! ici, j'ai parlé je dis, en off : `Au cours de son premier séjour à Ostende, Marvin Gaye vécut dans un petit appartement situé près de l'Hôtel Mercury, construit en 1893 sur la Koningstraat et qui à cette époque appartenait à Freddy et Liliane Coussaert. En juin 2001 nous rendons visite à Liliane Coussaert qui vit toujours à Ostende."

Plan de Liliane Coussaert expliquant en anglais que Freddy est allé chercher Marvin Gaye à Londres et que durant son séjour à Ostende, il n'a pas arrêté de travailler, de composer. La maquette de l'album avec lequel il a fait son come back aux Etats-Unis, Sexual Healing, à été faite chez Marc Aryan qui avait un studio à Ohain. Entre-temps, Marvin a acheté à Moere, à 10 km d'Ostende, une maison au beau milieu de la prairie flamande. Puis les ennuis de Marvin avec son label Tamla Motown se sont aplanis, il a signé un nouveau contrat avec CBS. De retour aux Etats-Unis, il est redevenu numéro un au hit parade. Richard Olivier repousse son fauteuil, extrait un album de Marvin Gaye de son sac qu'il donne à son monteur et se tourne vers votre serviteur :

"Il n'a jamais obtenu la moindre reconnaissance de la part de son père, pasteur de la House of God, l'une des congrégations les plus austères d'Amérique. Son père était continuellement en conflit avec lui, désapprouvant la vie qu'il menait, jetant l'argent par les fenêtres, ayant un succès fou auprès des femmes, chantant l'amour, la sexualité, mais Marvin avait très fort le sens de la famille, aimait beaucoup sa mère. La drogue n'a rien arrangé et le drame s'est noué. À la veille de son quarante-quatrième anniversaire, il s'est heurté avec son père et celui-ci l'a tué d'un coup de revolver. "

 

Remember Marvin

 

 

Richard Olivier se tourne vers Olivier : "Il faut que la musique justifie la scène, ne asp faire comme les Américains. Ici, ça ne va pas tout à fait."

Scotché à l'arrêt sur image de l'écran, il scrute les photos de Marvin que Liliane Coussaert a en main, secoue la tête, semble absent de la pièce, dans une sorte de pause ou d'anamnèse, puis soudain son regard s'allume et il poursuit avec entrain à notre adresse :

"Lorsque j'ai réalisé Marvin Gaye Transit Ostendele film faisait 29', j'avais des rushes depuis une vingtaine d'années qui dormaient dans des boîtes. Son décès en 1984 a donné un statut particulier à ces images. Les dernières images, tu le sais aussi bien que moi, prennent de l'importance. Je pensais prolonger le film, en faire une autre version mais je n'avais jamais trouvé la forme adéquate. Et puis l'acquisition d'une DV-Cam l'année dernière m'a débloqué comme le Pentax pour Splendeur et décadence d'un Grand magasin à rayon multiples. Je me suis dit que je n'avais pas besoin de réunir un budget pour commencer. Le fait d'avoir été sollicité - tout ça est arrivé en même temps - par Jérémie Duns, un journaliste du Bulletin désireux de faire un article sur la vie de Marvin Gaye à Ostende ; le fait qu'on réédite ses albums en CD, qu'on en parle, qu'on le découvre ou qu'on le redécouvre : tout cela m'a amené à consacrer cet été à Marvin Gaye, sur la pointe des pieds, en me disant : mais où va-t-on ? Ce que je veux essayer de faire, c'est donner l'impression qu'il est toujours là, toujours vivant, tout simplement par la magie même de l'image, en brisant le carcan des unités de temps de lieu. Déjà dans Marvin Gaye Transit Ostende, grâce aux stock shots d'Henri Stork, j'avais pu jouer sur le temps. Ce qui m'intéressait, c'est que certains plans tournés par Henri pouvaient être des contrechamps de nos plans tournés quarante ans après. C'est ça la magie. J'essaie de refaire aujourd'hui des images d'aujourd'hui qui seraient les contrechamps des images tournées il y a vingt ans avec Marvin Gaye. Il y a donc trois époques : 1936-1938 (Jeux de l'été et de la mer - Vacances d'Henri Storck), 1981 et 2001. Nous avons réalisé avec Manu Bonmariage et Dominique Warnier un entretien qui a été mené par Monique Licht. On a utilisé peu de prises dans le premier film, donc nous avons tout ça (il me montre un paquet de feuilles contenant la transcription écrite de l'entretien), que nous n'avons pas employé et qu'on va ré-insuffler dans de nouvelles séquences. La première phrase de Marvin, ses premiers mots dans Marvin Gaye transit Ostende, tu t'en souviens, sont : `Mon père était pasteur...', et sa vie s'est terminée avec son père."

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