Entretien avec Vincent Tavier, rocker frustré et producteur-acteur namurois qui aime l'humour décalé. Le tournage d'Aaltra, un film autoproduit a été une aventure sans mésaventures mais avec quiproquos.
Vincent Tavier à propos de Aaltra
Cinergie : A La Parti, c'est toi qui relis les scénarios qu'on vous propose ?
Vincent Tavier : Ils sont lus par tout le monde. On est très polyvalent à La Parti. On aime bien connaître le projet avant même l'écriture du scénario. Fabrice, avant de proposer Calvaire, en avait développé deux ou trois autres. On se voit souvent. Il y a donc un accompagnement dans le développement et dans l'écriture.
C. : Et pour Benoît Delepine et Gustave Kerven cela s'est-il passé de la même façon ?
V.T. : Depuis que je connais Benoît, il y a de cela plus de sept ans, celui-ci a toujours eu l'ambition de faire du cinéma. Pour lui la Belgique est un peu une terre bénie des dieux, il y existe une liberté qui n'existe pas en France. Benoît est quelqu'un qui a une idée par jour. Lui et Gustave viennent, tous deux, de la télé. Ils nous présentaient des sketches ou des films à sketches qu'ils voulaient développer sur 90'. L'année dernière, ils se sont amenés avec Aaltra, un projet qui tenait sur trois pages. Je leur ai demandé de le développer. Quinze jours plus tard, ils m'ont envoyé une dizaine de pages. C'était très bavard. On s'est dit : on va essayer d'être plus radical et on va se donner comme contrainte que Benoît ne puisse pas parler avant la moitié du film (rires). Puis on s'est dit qu'on allait le faire en scope et en noir & blanc pour des facilités d'éclairage. D'autant qu'on devait aller très vite. Au final on avait trente pages.
J'aimais bien l'idée de pouvoir garder la liberté d'improviser au tournage. D'habitude on a de multiples versions du scénario au point qu'en fin de parcours plus personne n'a le désir de le tourner. Surtout pour un road movie. Si on avait fait les diverses Commissions pour trouver de l'argent, on serait épuisé. D'autant que les 25 premières pages du scénario correspondent au premier quart d'heure du film. Donc on a entièrement financé Aaltra, sur fonds propres et avec l'argent privé. On a trouvé un mécène qui a accepté de prendre le risque d'investir avant même que le tax-shelter ne soit d'application.
On a constitué l'équipe en prenant des gens proches de nous. Ce qui signifie qu'en tout, y compris Benoît et Gus, on était dix. On est parti vers la Finlande avec un minibus et un petit camion dans lequel on a entassé, la caméra, les lumières et les accessoires. Entre le moment où ils sont venus me proposer l'idée et le moment où le film a été présenté à Rotterdam il ne s'est même pas passé un an. Quatre semaines de préparation et quatre semaines de tournage sans qu'on ait l'impression de travailler comme des dingues.
C. : C'est une façon de travailler que tu aimes ?
V.T. : Je la connaissais grâce à C'est arrivé près de chez vous. Une équipe légère est d'une efficacité redoutable. Il y a une ambiance générée par le tournage qui fait que pour tout le monde cela restera un souvenir inoubliable. Ce sont des films dont l'esprit transparaît sur l'écran. Il y a une sympathie naturelle du spectateur qui n'est pas la même que pour une grosse machine commerciale. Par exemple, tout l'hébergement pendant le voyage nous a été offert par les mairies où l'on tournait. A quarante c'est impossible, a dix on attire une certaine sympathie. Ceci dit chaque film a ses particularités. Il ne faut pas faire que du cheap. Pour Aaltra le mode de production correspondait au film.
C. : Vous saviez que vous alliez rencontrer Aki Kaurismaki ?
V.T. : Au départ c'était oui, puis en cours de route c'était non et quand on est arrivé là-bas il est venu. Il nous a jaugés et il a accepté de jouer. C'était assez rock and roll (rires). En tout cas il nous l'a fait savoir d'une façon très élégante. Chez lui, il avait racheté un home qu'il a transformé en hôtel-restaurant. On était invité à y manger mais lui, n'était pas là. En plein milieu du repas, il est arrivé - impressionnant, une sorte d'ours - sans dire bonjour, ni prononcer la moindre parole. Il est allé s'asseoir. On ne savait plus où se mettre. Silence de mort. A la fin du repas il a dit : « il existe une tradition en Finlande, les acteurs payent leur repas ». C'était une façon de nous faire savoir qu'il allait jouer l'après-midi. Il l'avait prévu avant le repas. On avait besoin de cinq figurants et il avait appelé ses copains pour jouer avec lui.
C. : La fin est vraiment « too much ». Le film a fait sensation aux festivals de Rotterdam et de Bruxelles.
V.T. : A Rotterdam il a bien marché. Il doit avoir une portée universelle parce que les Anglais et les Hollandais ont adoré le film. Il a eu une bonne presse dans Screen International et Variety dont le journaliste a écrit un article dithyrambique.
C. : Benoît Delépine est-il vraiment passionné par la moto ?
V.T. : C'est un vrai passionné.
C. : La rencontre entre les deux Benoît ( Delépine et Poelvoorde) est savoureuse. C'est lors d'un motocross à Namur ?
V.T. : Le motocross de Namur, depuis qu'on est petit on le voit. Même si on ne s'intéresse aux sports moteurs on ne peut pas échapper à la montée de la Citadelle.
C. : Il y a des similitudes avec C'est arrivé près de chez vous ...
V.T. : Quand il n'y a pas de moyens on demande à tous les amis de participer. Quand on est léger on peut faire feu de tout bois. On réagit, au quart de tour. Toute la scène avec la famille allemande n'était pas prévue. C'était Bouli qui devait l'interpréter. On s'est retrouvé près de Munschaü, en cherchant une maison pour tourner. Et les gens de la maison ont accepté de tourner dans le film. Bouli nous dit : « ils viennent de me piquer mon rôle » ? C'est comme cela que Bouli s'est retrouvé chanteur dans une scène qui est assez énorme.
C. : On se demandait si c'était lui qui chantait ou un play back ?
V.T. : Si, si c'est lui qui chante. On a tourné la scène en Belgique avec Bouli que certains n'ont pas reconnus, tellement elle est surprenante. Aaltra est un mélange de gens qui n'ont jamais tourné devant une caméra et d'acteurs chevronnés comme Benoît Poelvoorde qu'on filme de dos ou de Bucquoy qui apparaît trois secondes. La famille hollandaise c'est notre mécène. Et, ils s'en tirent très très bien.
C. : La scène des vieux qui se font piquer leur fauteuil de handicapé à moteur nous intrigue.
V.T. : C'est mes parents (rires). Ma mère a toujours été dans les films. Dans C'est arrivé près de chez vous, elle se fait tuer tout au début. La famille a toujours été mise à contribution.
C. : Et le gros grain de l'image, c'est voulu ?
V.T. : On a peut-être forcé sur le gros grain. C'était une volonté d'être assez dur dans l'esthétique du film. On a fait des essais de pellicules en couleur tirée en noir et blanc mais c'était trop doux. On voulait quelque chose de plus carré. Et puis c'est du faux scope. L'image 16mm n'est pas anamorphosée. On cadre en scope donc on perd de la pellicule. C'est minuscule comme du Super 8, gonflé en 35mm.
C. : Le film est quasi muet.
V.T. : Oui, c'est aussi une volonté. On peut le projeter sans le son et tout le monde comprend quasi toute l'histoire.
C. : Même volonté de ne pas traduire les dialogues en hollandais, allemand ou finnois ?
V.T. : C'est se mettre dans la situation du pays où l'on ne comprend pas la langue.
C. : Et les gens de Aaltra, ils jouent leurs propres rôles ?
V.T. : Ils jouent leur rôle. Quand on a traversé l'usine en hurlant, les ouvriers ne savaient pas qui on était ! Ils étaient étonnés ou ils riaient.